Je n’ai jamais aimé Godard. Je le trouvais snob et prétentieux, poseur et logorrhéique. Comme ses films, surtout à partir des années 1980, un cinéma froid et glacial, du charabia qui ne menait à rien et un défilement d’images qui sentait la mort.
Godard? Non, merci, pas pour moi.
Pourtant, sa disparition me touche. Quand j’ai lu l’information, j’ai eu la sensation de perdre quelqu’un de proche, quelqu’un que je connaissais depuis toujours. Parce que le cinéma crée cette illusion extraordinaire que ceux qui font des films sont vos amis.
J’ai découvert «l’ami» Godard au moment où il a commencé à faire des films sans queue ni tête, dans lesquels on pouvait rentrer et sortir, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980. Quand on me demandait, je disais: «Je préfère Truffaut». Parce que Godard et Truffaut, c’était comme les Rolling Stones et les Beatles, Oum Kaltoum et Faïrouz, Doukkali et Belkhayat, Ghiwane et Jilala. Il fallait choisir son camp.
Parce qu’il y avait débat. La question, qui peut aujourd’hui faire sourire, était de savoir qui était de gauche ou de droite. Cela n’avait rien à voir avec les idéaux de Marx et Lénine, même si Godard était le plus politisé de tous. Le distinguo gauche/droite se faisait plutôt sur des bases, disons, plus artistiques, c’est-à-dire floues.
Un cinéaste de gauche, par exemple, tournait beaucoup en extérieur et faisait plus de montage que de découpage. En plus simple, il improvisait, comme un musicien de jazz.
Quant aux chanteurs, ils étaient de droite quand ils se produisaient avec de grands orchestres, faisaient un récital plutôt qu’un set nerveux et louaient les régimes politiques plutôt que les opposants et les révolutionnaires.
Appliquez ces règles, tombées aujourd’hui en désuétude, aux artistes cités plus haut et tirez vos propres conclusions…
Godard devenait ainsi un cinéaste de gauche, et même à gauche de la gauche. Un radical. Ses films confus devenaient des brûlots révolutionnaires. Son collage de cartons et d’images parfois à l’emporte-pièce, devenait de la poésie. Et ses personnages décharnés, sans psychologie, sans contours, renvoyaient soudainement aux existentialistes et à la réflexion d’un Camus sur l’absurde, la mort, etc.
Bref, Godard, c’était ça. Un mélange de génie et de n’importe quoi.
Bien entendu, j’ai eu le temps de découvrir, plus tard, ses premiers films, qui sont tous d’une modernité étourdissante. L’équivalent, pour la musique, du Velvet Underground (les connaisseurs apprécieront). Ça n’a pas pris une ride. Godard est celui qui a sorti le cinéma du confort des studios et des scénarios «spin doctorisés», c’est-à-dire revus et lissés par les marketeurs et ceux qui coupent les cheveux en quatre.
Aujourd’hui encore, des objets comme «La Chinoise», «Masculin féminin», «Les Carabiniers», «Bande à part» ou «Le Petit soldat» sont de vraies bouffées d’air. De l’oxygène. C’est-à-dire de la fraicheur et de la vie.
Pour ces films et pour le reste, Godard restera mon «ami». Et tant pis si sa mort a éclipsé celle d’un autre grand monsieur, mort un ou deux jours avant lui: Alain Tanner, un authentique poète, un autre «ami», Suisse lui aussi, dont certains films, comme «Les années lumière» ou «Dans la ville blanche», ont fait tourner et retourner bien des têtes. Amen.