En tête-à-tête avec Abdelwahab Doukkali, monstre sacré de la chanson marocaine: «L’authenticité, la clef de toute réussite durable»

Le compositeur et interprète Abdelwahab Doukkali. (S.Bouchrit/Le360)

Le 20/04/2025 à 19h25

VidéoAbdelwahab Doukkali, inoxydable compositeur et interprète revient dans cet entretien sur la distance qui s’est installée entre les musiciens et le septième art. Entre critiques, constats lucides et espoirs pour les générations futures, il livre une parole sincère sur les dérives de l’imitation, le pouvoir de l’originalité et l’importance de rester fidèle à son art.

À l’occasion de la clôture du Festival du cinéma indépendant de Casablanca, un hommage émouvant a été rendu à l’un des grands noms de la scène musicale marocaine. Artiste engagé, figure emblématique de la chanson classique marocaine, il porte un regard lucide sur l’évolution du paysage culturel marocain et les liens devenus ténus entre musique et cinéma.

Dans cet entretien, il partage sans détour ses réflexions sur l’industrie artistique, la modernité et la place du patrimoine musical à notre époque.

Le360: Vous venez de recevoir un bel hommage lors du Festival du cinéma indépendant de Casablanca. À votre avis, pourquoi les spécialistes de la musique se sont-ils autant éloignés du 7ème art?

Abdelwahab Doukkali: C’est avant tout une question de choix, mais aussi d’écriture des scénarios. Il est difficile d’intégrer un musicien dans un film s’il n’y a aucun lien avec un univers musical. Le scénario doit, par exemple, tourner autour de la vie d’un interprète ou d’un musicien pour que cela ait du sens.

Ces dernières années, de nombreux musiciens se sont lancés dans le cinéma. Ne pensez-vous pas que cela peut être quelque chose de négatif?

C’est d’abord un choix propre et une aventure personnelle. Celui qui cherche l’authenticité finira toujours par réussir. En revanche, si c’est une démarche purement opportuniste, cela finit par se voir. Aujourd’hui, les jeunes sont excessivement influencés par l’Occident, et cela donne lieu à une forme d’imitation aveugle. Car c’est toujours ce qui est original qui a le plus de valeur.

«Il fut une époque où les comédies musicales avaient la cote. Aujourd’hui, on en voit beaucoup moins. C’est devenu une question de rentabilité, de business.»

—  Abdelwahab Doukkali, compositeur

Pourquoi, d’après vous, les cinéastes marocains n’osent-ils pas travailler sur des biopics de chanteurs ou de musiciens?

Encore une fois, cela dépend des scénarios. Il faut que quelqu’un ose écrire l’histoire d’un artiste. Les cinéastes américains l’ont fait maintes fois et d’autres pays ont aussi su en tirer parti. En fait, il fut une époque où les comédies musicales avaient la cote. Aujourd’hui, on en voit beaucoup moins. C’est devenu une question de rentabilité, de business.

Pourquoi, à votre avis, le public se détourne-t-il du cinéma exigeant?

Les gens préfèrent aujourd’hui la facilité, les textes simples. Prenez ma chanson «Mani Illa Bachar», elle a 60 ans et elle est toujours interprétée comme si elle avait été écrite hier. J’ai moi-même expérimenté des formes modernes de chanson, j’ai été un temps à l’avant-garde, mais j’ai compris assez rapidement que seuls le classique et l’authentique résistent au temps.

L’industrie musicale privilégie aujourd’hui la chanson commerciale. Ne pensez-vous pas que cela nuit à l’héritage de la chanson marocaine classique ?

C’est une question de culture et d’amour du pays et de sa culture. Si certains veulent simplement en tirer profit, c’est leur choix. Mais c’est leur problème, pas celui de la chanson et du patrimoine marocains.

Par Achraf El Hassani et Saïd Bouchrit
Le 20/04/2025 à 19h25

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