Il a dirigé les plus grandes écoles d’architecture de France, donné des cours et animé des conférences aux quatre coins du monde, notamment à New York, et siégé à la tête de prestigieuses institutions. Mais c’est pour Casablanca que son cœur n’a cessé de battre, avant de s’éteindre lundi 7 août dernier. Lui, c’est Jean-Louis Cohen, l’un des plus grands historiens de l’architecture et de l’urbanisme du XXe siècle et qui a tiré sa révérence à l’âge de 74 ans. En France, toute la profession est en deuil. Présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes, Christine Leconte salue un «grand homme de combat et d’engagement».
Né le 20 juillet 1949, Jean-Louis Cohen a effectué ses premières études à l’École spéciale d’architecture avant d’obtenir un doctorat en histoire de l’art en 1985. Après un parcours où il a notamment dirigé des recherches à l’École des hautes études en sciences sociales, au ministère français de l’Équipement, à l’École d’architecture Paris-Villemin et à l’Institut français d’urbanisme de l’Université Paris-VIII, il est nommé professeur d’histoire de l’architecture à l’Institute of Fine Arts de l’Université de New York.
C’est à lui que la France doit la Cité de l’architecture et du patrimoine qu’il a dirigée pendant de longues années. La France où il a également présidé aux destinées de l’Institut français d’architecture et le Musée des monuments français. Véritable citoyen du monde, Jean-Louis Cohen était également membre des conseils scientifiques du Museum of Modern Art de New York, du Centre canadien d’architecture de Montréal et de la Getty Grant Program à Los Angeles. II était, depuis 2014, professeur invité au Collège de France sur la chaire internationale «Architecture et forme urbaine». Sans parler de ses innombrables conférences de par le monde.
Casablanca, un patrimoine universel
Auteur fécond et généreux, Jean-Louis Cohen est derrière de multiples travaux sur l’architecture et les villes. C’est là où sa rencontre avec Casablanca est née. Fruit de 10 ans de travail et de recherches, «Casablanca: mythes et figures d’une aventure urbaine» (Hazan, 1998, réédité en 2004) est un ouvrage qui constitue la référence absolue s’agissant de la riche et variée architecture de la capitale économique.
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À la demande du Centre national français de la recherche scientifique (CNRS), ce travail essentiel a été mené avec Monique Eleb, une Casablancaise éprise de sa ville et une grande figure de la sociologie au Maroc. «C’est d’ailleurs elle qui l’a entraîné dans cette aventure casablancaise et c’est là où je l’ai connu», témoigne Rachid Andaloussi, figure importante de l’architecture au Maroc et fervent militant pour la préservation et la valorisation du patrimoine casablancais. Casablanca, Jean-Louis Cohen le considérait comme un patrimoine universel, et qui mérite d’être classé par l’Unesco. La vraie magie de la ville blanche était pour lui la diversité des mouvements architecturaux qui l’ont traversée, du Bauhaus au post-modernisme en passant par l’art déco ou encore l’art nouveau.
«C’est l’une des raisons pour lesquelles Jean-Louis Cohen comme Monique Eleb nous ont accompagnés dans la création de l’association Casamémoire, avec Jacqueline Alluchon et quelques architectes dont je faisais partie. À cette époque (la première moitié des années 1990, NDLR), il y a eu une prise de conscience quant à l’immense richesse patrimoniale de Casablanca et c’est de là où tout un travail de prospection, de recherche des joyaux d’une ville extraordinaire a commencé», ajoute cet inconditionnel amoureux de la capitale économique.
Naissance d’une amitié
Une belle amitié et une passion commune sont nées. «Le destin a fait que Monique Eleb nous a également quittés, il y a à peine trois mois. C’est un choc pour nous de voir disparaître notre grand ami Jean-Louis Cohen qui, personnellement, m’a beaucoup apporté, notamment en portant un regard positivement critique sur mon travail. Véritable monument et incomparable érudit, il nous a, à moi et à bien d’autres, montré le chemin», souligne Andaloussi, ému. Et de préciser que Jean-Louis Cohen, en véritable force de la nature, est littéralement mort sur son bureau de travail, puisqu’il était en train d’achever un ouvrage de huit tomes sur le grand architecte Franck Gehry.
À l’humanité, il cède une vision dont voici un aperçu, ou plutôt une leçon:
À Casablanca, il laisse un ouvrage qui devrait servir de livre de chevet à tous les responsables en charge de la ville, et surtout le souvenir d’un grand de ce monde que la métropole a habité, pour ne plus le quitter.