Le qsar de Tindouf comme ceux du Sahara marocain sont associés à l’appellation de Mouggar ou de moussem. C’est le cas du Mouggar d’Assa, Guelmim et Asrir. L’histoire du Maroc a enregistré pendant plusieurs siècles cette réalité historique, économique et sociologique. Mais comment et dans quelles circonstances est né le chouffan de Tindouf? Comment ce centre commercial, véritable relais transsaharien, est-il devenu un lieu pour séquestrer les populations sahraouies?
La tribu des Tadjakant, d’origine arabe ou Sanhaja (Lemtouna), est celle qui fut derrière la création du qsar de Tindouf. Leur alliance avec les Berbères des Ait Khebbach et Ouled Hammou et les Arabes Béni Mhammed du Tafilalt, garantit à cet axe commercial un rôle primordial qui a prospéré entre 1852, date de sa fondation et 1894, date de sa destruction à la suite d’une rivalité avec les Reguibat. Toutefois, cette destruction n’est pas établie et il faudrait dire que la conquête du Maroc depuis les régions sahariennes a poussé les alliés des Tadjakant à défendre leur territoire et surtout à sauver leur commerce qui empruntait la voie allant du Tafilalt vers le Touat et Tombouctou. C’est ainsi que l’alliance Ait Oussa-Reguibat a consacré une domination de l’espace selon un axe est-ouest.
C’est dire que les axes Guelmim, Tindouf et Tombouctou tout comme celui du Tafilalt, Touat et Tombouctou furent contrôlés jusqu’à la période coloniale par les tribus marocaines des Tajakant, Ait Khebbach, Béni Mhammed, Jerrir et Oulad Moulat (une fraction des Aouled Dlim anéantie par l’armée coloniale). Ce qui explique que les régions du Tafilalt et de Tindouf constituaient une plaque tournante du commerce transsaharien comme en témoigne le récit des autorités coloniales lors de l’occupation du qsar. Voici le témoignage de J. Larribaud:
«Leur histoire nous est mieux connue à partir du XIXème siècle, et elle est marquée par leur rivalité avec les Reguibat. Une première guerre victorieuse, déclenchée à la suite d’un meurtre, permit au cheikh Mrabet Ould Belamech de fonder Tindouf en 1852, sur l’emplacement d’un ksar qui existait déjà au début du XVème siècle. Grâce à sa situation entre le Sud marocain, la Mauritanie et le Soudan, grâce aussi à l’importance de sa confrérie religieuse, la petite cité prit un rapide essor. Très vite la population s’éleva à un millier d’habitants, sans compter les esclaves. Les Tadjakant apportaient au sultan de l’encens, des plumes d’autruche du henné, des cuirs, de l’or, de l’ivoire, enfin et surtout des esclaves Bambara. C. Douls en vit une caravane de 520 personnes lors de son passage à Tindouf, en 1884 (…) En effet, en vue de récupérer des animaux volés, Ahmed Degna Ould Mrabet Belamech constitua un djich formé de Berbères, de Doui menia et d’Ouled Djerir. Malgré un succès initial, le sort des armes ne lui fut pas favorable; les Reguibat, alliés aux Ait Oussa, pillèrent Tindouf et décimèrent ses défenseurs en mai 1894».
Tindouf: histoire et processus d’une occupation
Plaque tournante du commerce transsaharien et étape importante de l’axe commercial reliant Mogador, Guelmim et Tombouctou, le qsar et la ville de Tindouf n’ont cessé d’être l’objet de toutes les intrigues coloniales françaises en vue de gommer leur marocanité et de les rattacher au département de la Saoura, territoire amputé de l’empire chérifien depuis 1845 et surtout 1902.
Le Mouggar ou moussem de Tantan, de Guelmim et d’Assa sont la continuité de cet axe commercial qui les relie à Tindouf depuis des siècles et surtout à la suite de la prise d’Alger en 1830. C’est à la suite de la création du Commandement des Confins basé à Tiznit et ensuite à Agadir que le colonel Trinquet a posé la question d’une séparation entre le moussem de Guelmim et celui de Tindouf. Constatant que le moussem de Guelmim sert à faire la jonction politique et économique entre les tribus Tekna et les tribus Reguibat, il a fait cette proposition au directeur des Affaires indigènes basé à Rabat en vue de faire de l’ombre au moussem de Tarfaya (Cap Juby) dépendant du Sahara dit espagnol. L’objectif fut celui de créer un axe est-ouest dépendant de la France au détriment de l’axe Nord-Sud marocain contrôlé par l’Espagne entre Ifni et Rio de Oro. C’est en appliquant la franchise sur les produits provenant d’Agadir (sucre, thé, céréales et guinée) que la France comptait faire de l’ombre au moussem de Tarfaya. Le marché de Tindouf ne pourrait réussir sans la participation des commerçants marocains d’Agadir, Guelmim et autres localités traversant le territoire Tekna.
Le but ultime de ce projet fut celui d’éradiquer les revendications espagnoles sur le territoire marocain entre l’Oued Noun et le Draâ comme l’affirmait le colonel Trinquet.
Cette situation a continué jusqu’aux années 1945-1946 lorsque le général Quennard a tiré la sonnette d’alarme sur l’impossibilité de gommer l’identité marocaine de Tindouf et du danger encouru à la suite de la présentation du manifeste de l’indépendance le 11 novembre 1944 par les leaders du parti de l’Istiqlal.
Afin de contenir la vague nationaliste qui, à partir de l’indépendance du Maroc, s’était abattue en déferlante sur Tindouf, des rapports alarmants et prescrivant des actions concrètes n’avaient cessé d’être envoyés par les autorités coloniales aux différents services et ministères. Les pistes, les routes reliant Tindouf à Béchar et les autres centres habités étaient inexistantes en 1946. Mais à la fin des années cinquante, un appel urgent était lancé pour relier Tindouf à Alger, via Bechar, et pour établir des liaisons avec les centres et les villages voisins. C’est aussi pour réaffirmer l’emprise coloniale sur le territoire que furent relancées des rencontres commerciales traditionnelles, celles du chouffan et du Mouggar de Tindouf. Des subventions furent accordées aux éleveurs, commerçants algériens pour les inciter à fréquenter le marché de Tindouf qui était amplement visité par les bouchers et les éleveurs marocains de Guelmim et d’Agadir[1].
Mais il a fallu attendre les années 50 et surtout l’indépendance du Maroc pour que des mesures concrètes, bien que bâclées, furent prises pour forcer une identité algérienne du Marché de Tindouf, qui au lieu de Mouggar allait prendre l’appellation de Chouffan.
[1] ANOM (Aix-en-Provence), FGGA, 28H/3, rapport envoyé par le colonel Quenard, commandant la division d’Ain-Sefra en séjour à Colomb-Béchar au ministre plénipotentiaire gouverneur général de l’Algérie, Colomb-Béchar, 16 septembre 1946.