La crise en mer Rouge pourrait booster la destination Maroc auprès des industriels européens

Cargo affrété par la compagnie maritime française CMA CGM.

Un cargo affrété par la compagnie maritime française CMA CGM. (Photo d'illustration). AFP / TIMOTHY A. CLARY

Cela fait penser immédiatement au proverbe: «Le malheur des uns fait le bonheur des autres». Selon l’économiste français Pierre Cariou, la crise actuelle en mer Rouge, provoquée par les attaques des rebelles houthis du Yémen, pourrait bien inciter les industriels européens à décider de produire au Maroc plutôt qu’en Asie.

Le 19/12/2023 à 15h23

La suspension de la traversée maritime en mer Rouge par les géants du transport maritime mondial, en réaction aux attaques des rebelles houthis, pourrait bien se transformer en opportunité pour le Maroc. «Le passage du canal de Panama est devenu lui aussi compliqué. Aujourd’hui, les tensions géopolitiques sont telles qu’elles peuvent amplifier un mouvement que l’on avait déjà commencé à observer, celui du basculement des chaînes d’approvisionnement», affirme l’économiste Pierre Cariou, spécialiste du transport maritime et professeur à Kedge Business School, dans un entretien accordé à l’hebdomadaire français L’Express.

Et d’ajouter: «Certains industriels européens pourraient ainsi choisir de transférer leur production asiatique vers d’autres pays plus proches, comme la Turquie ou le Maroc».

Comme nous le rapportions dans un précédent article, en raison de la dangerosité du détroit de Bab al-Mandab, six parmi les géants du transport maritime ont décidé de suspendre le passage de leurs navires en mer Rouge, et ce, jusqu’à nouvel ordre. Il s’agit du Français CMA-CGM, du Danois Maersk, de l’Allemand Hapag-Lloyd, de l’Italo-Suisse MSC, du Taïwanais Evergreen et du Coréen HMM. «Aujourd’hui, c’est la géopolitique qui perturbe le canal de Suez, par lequel transite entre 10% et 15% du commerce maritime mondial. Surtout, 60% à 80% des importations européennes empruntent cette voie. C’est par elle que passent le pétrole, le charbon, le minerai de fer, les produits semi-manufacturés et finis», note Pierre Cariou.

Un impact sur la chaîne logistique

Pour remédier à cette situation, les armateurs ont choisi de dérouter leurs embarcations vers le cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud, ce qui rallonge leur trajet en mer de 10 jours. «Au-delà des questions de sécurité des marins et d’assurance, cet itinéraire alternatif aura des impacts sur la chaîne logistique», souligne-t-il.

Et d’ajouter: «Dix jours supplémentaires, pour des marchandises qui partaient de Chine à destination de l’Europe, cela veut dire 45 jours de navigation au lieu de 35. Or, un navire en mer coûte environ 60.000 dollars par jour: il faut donc compter 600.000 dollars de plus. À l’échelle d’un gros porte-conteneurs, cette somme n’est pas insurmontable. D’autant qu’en évitant le canal de Suez, ces navires économisent les droits de passage, d’un montant à peu près équivalent. Mais ce détour occasionne des dépenses supplémentaires en carburant, un poste qui représente la moitié du coût de transport».

Une transformation dans le secteur

Cette situation aura-t-elle une répercussion significative sur le prix final? D’après l’économiste français, «les importateurs vont vouloir sécuriser leurs approvisionnements et les armateurs pourraient être tentés d’en profiter, en augmentant leurs tarifs de 20% quand leurs coûts ne progressent que de 10%».

Quant à l’évolution de la situation à court ou moyen terme, Pierre Cariou pense que tout dépendra de la durée de cette crise, car, dit-il, il n’est pas évident de sécuriser un détroit de 30 kilomètres. «Avec ces trajets rallongés, les surcapacités que l’on observait dernièrement pourraient se résorber. Les armateurs ajustent leur comportement rapidement. Est-ce que les chargeurs vont choisir également de modifier leur stratégie? Cela fait deux fois qu’ils rencontrent des problèmes avec le canal de Suez», conclut l’économiste français.

Par Ayoub Khattabi
Le 19/12/2023 à 15h23