Le 18 octobre, une émission centrée sur les menaces qui guettent la France de demain, diffusée sur la chaîne VA+, rattachée au magazine français Valeurs actuelles, a accueilli sur son plateau un homme au curriculum vitae impressionnant, Alain Juillet. Colonel réserviste parachutiste, diplômé d’état-major et notamment de l’Institut des Hautes Etudes de Sécurité intérieure, conseiller du commerce extérieur de la France de 1978 à 2002, ce haut fonctionnaire et dirigeant d’entreprises, a aussi été nommé patron des services de renseignement extérieurs (DGSE), puis en 2003, haut responsable chargé de l’intelligence économique au Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN)…
Dans cette interview de plus d’une heure, Alain Juillet, à la lumière de sa riche expérience, est revenu sur les théâtres de conflictualités qui occupent actuellement le centre de l’actualité, notamment en France.
Dans cet échange qui vise à mieux appréhender les questions de géopolitique, il s’est ainsi livré à un état des lieux du renseignement français, tout en analysant la crainte liée à la fin de l’Occident et de sa suprématie à la lumière notamment du conflit russo-ukrainien.
«L’affaire ukrainienne est une position passionnante, non seulement par ce qu'il s’y passe, mais aussi par toutes les opérations d’influence et les manipulations de la population», explique celui qui compte parmi ses nombreuses décorations, celle de Commandeur de la Légion d’Honneur et de Chevalier de l’Ordre National du Mérite à titre militaire.
«Il y a plein d’enseignements à en tirer pour tout le monde. Ce qui m’intéresse aussi, et c’est très curieux, c’est qu’on regarde ce qui se passe en Ukraine et qu’on ne regarde pas ce qui se passe ailleurs, et qui sont des conséquences ou des composantes de l’affaire ukrainienne», analyse-t-il avant de pointer du doigt la politique algérienne en la matière.
Aux portes de l’Europe, un pays au double jeuAinsi, à titre d'exemple, poursuit Alain Juillet, «il y a eu, il y a moins de quinze jours, mais pratiquement personne n’en a parlé, un exercice militaire fait en Asie, qui s’appelle Vostok 2022 dans lequel il y a avait 50.000 militaires russes, c'est-à-dire un quart de l’effectif qu’il y a actuellement en Ukraine», mais aussi, précise-t-il, des militaires chinois, indiens et algériens.
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En effet, lors de ces manœuvres qui se sont déroulées entre le 1er et le 7 septembre, canons, tanks et missiles ont participé à la démonstration de l’amitié sino-russe mais pas seulement… Il fallait aussi compter avec 2000 militaires étrangers, sur le contingent de 50.000 soldats russes en action, venus d’Asie centrale, du Laos, de Birmanie, de Syrie, d’Inde et enfin… d’Algérie.
La participation algérienne à l’opération Vostok 2022 est loin d’être anodine pour l’ancien directeur des renseignements français, bien que, souligne-t-il, «personne n’a parlé en France du fait que l’Algérie participe à ça».
Pour Alain Juillet, cette participation militaire de l’Algérie «prouve que tout proche de chez nous, de l’autre côté de la Méditerranée, il y a un pays où notre président a été il y a peu de temps, qui en définitive manœuvre avec les Russes et qui n’est évidemment pas d’accord avec ce qui se passe en Europe».
Après avoir ainsi mis en lumière la contradiction d’une politique française qui se positionne contre la Russie dans la guerre qu’elle mène à l’Ukraine tout en renforçant ses relations diplomatiques, politiques et économiques avec son alliée, l’Algérie, où se sont rendus, suite à la visite d’Emmanuel Macron en août, pas moins de quinze ministres accompagnant la Première ministre Elisabeth Borne, Alain Juillet invite à réfléchir à ces «choses intéressantes» car juge-t-il, «la suite est complexe».
Vostok 2022, une fierté algérienne que la France peine à dissimulerLe silence de la France et des médias est probant. En effet, parmi les rares supports ayant évoqué l’opération Vostok 2022, parmi lesquels Le Figaro ou Cnews, nulle mention n’est faite de la participation algérienne à ces manœuvres, contrairement à la participation de la Chine, de la Syrie, de l’Inde et de la Biélorussie, quant à elle bien documentée.
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Face à ce silence français assourdissant mais néanmoins riche en enseignements, les médias algériens étatiques n’ont quant à eux pas observé la même règle et ont fait de la participation de leur pays à Vostok 2022 un évènement phare de leur ligne éditoriale.
A commencer par la chaîne étatique télévisée AL24, qui y a consacré un reportage télévisé titré «Vostok 2022: des manœuvres à grande portée stratégique ».
Il est ainsi clairement décrété dans ce reportage, dans lequel sont égrenées non sans fierté les composantes de l’arsenal militaire déployé lors de Vostok 2022, que «la portée stratégique de cet évènement est claire et que le timing choisi ne laisse aucune équivoque». Soulignant le renforcement de l’amitié sino-russe à travers ces opérations mais aussi la participation de l’Inde, qui laisse augurer d’«une reconfiguration en cours de l’échiquier géopolitique mondial», il est ajouté qu’à ce propos «l’armée nationale algérienne est également engagée dans ces exercices en tant que seul représentant du continent africain, ce qui confirme le rôle de puissance régionale de premier plan et de pôle d’équilibre de portée globale joué par l’Algérie».