L’enquête filmée débute en Espagne alors qu’un avion médicalisé de la présidence algérienne atterrit, le 18 avril 2021, dans la ville de Logroño. Sur le tarmac, des agents des services secrets espagnols accueillent le passager VIP de l’avion: un certain Mohamed Benbatouche, alias Brahim Ghali, qui serait en danger de mort imminente, en raison de sa contamination au Covid-19.
A ce même moment, Fatoumata Mahmoud ne se doute pas de ce qui se trame dans son pays de résidence et, explique-t-elle devant la caméra des journalistes, tombe littéralement des nues en apprenant, plus tard, la venue en territoire ibérique de son bourreau, alors même que celui-ci est accusé en Espagne de génocide, de viol et de terrorisme et qu’il doit répondre de ses actes face à la justice espagnole depuis plus de vingt ans. «Je suis l’une des victimes de Brahim Ghali. J’ai été agressée sexuellement par lui quand il était un ambassadeur au consulat du front Polisario en Algérie. Je ne m’y attendais pas, il m’a sauté dessus par surprise et il m’a violée. Je suis sortie du consulat avec une terrible hémorragie», se remémore-t-elle.
Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire et l’impunité totale dont a joui Brahim Ghali lors de son séjour espagnol, c’est sur le Polisario, cette milice qui vit grâce au soutien financier et diplomatique du régime algérien, que les journalistes vont enquêter.
A travers plusieurs témoignages édifiants provenant de victimes proches du Polisario, mais aussi d’un transporteur et d’un agent du Centre national de renseignement (CNI, les services secrets espagnols), l’enquête explore les dessous de la diplomatie de l’ombre menée en coulisses par le régime d’Alger, de la guerre d’influence qui fait rage sur fond de stratégie énergétique, mais aussi de terrorisme et de trafic d’armes.
La genèse du PolisarioParmi les personnes interviewées, Ahmed Moussa, consul général du Royaume du Maroc aux îles Canaries et natif de la ville de Dakhla, qui dépeint le Polisario comme un groupe ayant choisi la guérilla, dirigé par une caste et dépendant d’intérêts qui ne concernent en aucun cas la défense des Sahraouis. Ces intérêts sont ceux notamment d’un pays voisin, l’Algérie, mais aussi «d’autres pays qui ont choisi à l’époque de la guerre froide le système de parti unique, le système de la gauche radicale», rappelle Ahmed Moussa.
De son côté, Rafael Esparza, sociologue, président de l’association d’amitié et de coopération canario-marocaine, professeur à l’université et spécialiste du Maghreb, rappelle que le Polisario, qui s’est créé à un moment fondamental dans les années 1970 au Maroc, «est alors lié aux mouvements d’extrêmes gauches (…), c’est-à-dire toute la gauche de l’Union socialiste des forces populaires [USFP, parti marocain, Ndlr], avec pour objectif principal de faire chuter la monarchie».
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Et dans cette guerre froide, «l’Algérie était positionnée d’un côté et le Maroc de l’autre», se souvient-il, évoquant les divergences qui opposaient deux camps, celui des idéologies de gauche pour lequel l’Algérie était le paradis des mouvements de libération et le Maroc monarchique, un pays considéré par l’autre camp comme l’oppresseur capitaliste.
Le retour de manivelleCette période charnière de la création du Polisario en 1973, sous l’influence de l’URSS, de l’Algérie et de la Libye, le colonel Miguel Ortiz, agent de renseignement pour la garde civile au Maroc pendant le Protectorat, s’en souvient parfaitement, lui qui a été amené à arrêter Brahim Ghali à de nombreuses reprises. «Nous qui avons vécu cette situation, je peux vous dire que cela nous a surpris bien que nous ayons eu depuis plus d’un an des signes avant-coureurs en voyant des réunions qui se mettaient en place, des cellules qui se formaient. Au départ nous pensions que toutes ces actions n’étaient pas tournées contre l’Espagne et nous avons eu tort malheureusement. Ils mettaient en place des prélèvements d’argent pour commencer à s’équiper en véhicules dont des Land Rover et ils allaient voir d’autres groupes pour mutualiser les fonds et acheter un fusil à chaque combattant», se souvient Miguel Ortiz.
Ce à quoi l’Espagne ne s’attendait certainement pas et qu’évoque à demi-mot Miguel Ortiz, c’est aux sombres agissements du Polisario contre l’Espagne et qui se chiffrent à 289 attentats perpétrés contre des pêcheurs espagnols le long des côtes marocaines, mais aussi contre les travailleurs de mines de phosphores, «enlevés, séquestrés, torturés, assassinés entre 1973 et 1986», rappelle l’enquête.
C’est par ces actes et ses méthodes que le Front Polisario est devenu à part entière «un groupe terroriste appuyé par l’URSS et l’Algérie», conclut-on. Car depuis les années 1980, le Polisario n’a pas changé de politique.
Corruption, détournement de fonds, viols, génocides, crimes contre l’humanité, le curriculum vitae de ce mouvement séparatiste, qui a menacé le Maroc en novembre 2021 de commettre des attentats dans les principales villes du Royaume, est long comme le bras et pourtant, ce n’est qu’une partie des chefs d’accusation qui pèsent contre le front Polisario.
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Ainsi, nombreux sont les militaires du groupe Hezbollah à faire entrer des armes en Afrique avec l’appui de l’Algérie et le soutien du Polisario qui les accueille à bras ouverts. Le djihadisme s’est ainsi imposé de longue date comme une profession de foi au sein des rangs du Polisario, créant des ponts dorés vers des groupes terroristes tels qu’Al Qaida. Preuve en est ce pur produit du Front Polisario, Abou Walid Al Sahraoui, un proche de Brahim Ghali, reconverti en big boss de tous les terroristes de la zone du Sahel et abattu en septembre dernier par la France dont il était une cible prioritaire.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, si les actions terroristes perpétrées par le Polisario et ses membres sont rendues possibles, c’est grâce à tous les pays et associations qui soutiennent les séparatistes financièrement. Preuve en est le témoignage accablant de Moussa, ce transporteur qui a souhaité garder l’anonymat et qui opère pour le compte du Polisario en faisant passer à travers l’Espagne et l’Europe des faux papiers et quantité d’argent liquide. Si Moussa dit devoir rester discret et ne poser aucune question à ses commanditaires, ceux et celles qui reçoivent cet argent ne s’en cachent pas et étalent même leur fortune sur la toile.
C’est ce que montre une vidéo diffusée dans le cadre de l’enquête journalistique et où l’on aperçoit l’épouse de l’un des dirigeants du Polisario, Badadi Ben Amar, danser de joie devant un petit comité en exhibant ses liasses de billets. Une habitude festive qui serait le lot des femmes de dirigeants du Polisario, confortablement installées en Espagne, recevant chaque semaine des milliers d’euros en liquide issus des fonds de l’ONU, de l’Europe et des associations, et destinés à l’origine à aider les populations sahraouies qui croupissent pendant ce temps-là dans des camps, séquestrées, violées et instrumentalisées médiatiquement par des journalistes ignorants ou complices.
La menace de l’extinction énergétique, l’arme fatale de la junte algérienneCe qui transparaît également dans cette enquête, c’est bien l’ombre de la junte algérienne qui pèse lourdement sur les agissements du Polisario. Si le président Abdelmadjid Tebboune est ici décrit comme un homme puissant qui hait pêle-mêle le Maroc, les Etats-Unis, la France et les juifs, sa junte militaire est décrite comme celle qui «a un immense pouvoir dans la diplomatie de l’ombre», en manipulant «les islamistes en Algérie depuis des décennies», et surtout en couvrant «les crimes du Polisario quand ce n’est pas le trafic de stupéfiants qu’elle supervise».
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L’un de ses derniers faits d’armes: la menace d’extinction énergétique qu’elle fait peser sur plusieurs pays européens, en tête desquels l’Espagne. Interviewé de façon anonyme par les journalistes, un agent du CNI dont le travail est de«garantir la stratégie énergétique de l’Espagne», selon ses mots, explique ainsi que l’affaire Ghali a été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres d’une diplomatie placée sous le signe des pressions. Car si le «Maroc a des leviers de pression sur lesquels il peut appuyer pour que ça fasse mal en Espagne, c’est aussi le cas de l’Algérie», convient-il en décrivant la position intenable d’une Espagne, largement dépendante du gaz algérien. Et de poursuivre: «ceci peut causer une menace énergétique évidente qui a d’ailleurs commencé. On parle d’extinction énergétique», et face à cela «la marge de négociation de Sanchez est très réduite».
Alors à la lumière de ce jeu diplomatique dangereux auquel joue l’Algérie, et révélé au grand jour par l’affaire Brahim Ghali, quelle est la position qui sera adoptée par des pays européens pris en otage? Et quid des tensions entre l’Algérie et le Maroc? Se dirige-t-on vers une nouvelle Guerre des sables? L’émission affirme, avec raison, que la guerre que mène la junte algérienne contre le Maroc n’a jamais été interrompue pour craindre qu’elle ne recommence.