En tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra a le droit, pour voyager à l’extérieur de l’Algérie, de disposer d’un passeport diplomatique et de profiter de tous les privilèges que ce sésame confère à son porteur. Mais, quelque deux mois après son renvoi sans ménagement du gouvernement sur décision du président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui voit en lui un potentiel rival présidentiel, Lamamra peine à se faire délivrer ce document de voyage.
Dans un article publié le jeudi 8 juin , Africa Intelligence, site parisien spécialisé dans l’actualité des pouvoirs politiques et économiques en Afrique, laisse entendre que Lamamra s’est vu refuser l’obtention d’un passeport diplomatique. «L’ex-ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra privé de passeport diplomatique?», se demande le site, qui précise que «plus d’un mois après avoir sollicité le renouvellement de son passeport diplomatique au ministère des Affaires étrangères qu’il dirigeait encore il y a quelques mois, Ramtane Lamamra fait face au silence de l’administration».
Des conditions rédhibitoires, car floues
Ahmed Attaf, son remplaçant à la tête dudit ministère, seul habilité à délivrer les passeports diplomatiques, a-t-il reçu des instructions fermes d’El Mouradia pour ne pas fournir le précieux sésame à Lamamra, dont les «démarches auprès du service du protocole du ministère sont jusqu’alors restées sans écho», affirme Africa intelligence.
Légalement, et en vertu du décret présidentiel de 1997 relatif à la délivrance des passeports diplomatiques, modifié par celui que vient de signer Abdelmadjid Tebboune il y a une semaine, Ramtane Lamamra, en tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères, a droit au précieux document, selon l’article 7 du décret présidentiel n° 23-201 du 1er juin 2023, fixant les conditions d’attribution des titres officiels de voyage délivrés par le ministère des Affaires étrangères.
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Sauf qu’il y a des conditions rédhibitoires, car floues, et qui, selon l’interprétation qu’on veut leur conférer, peuvent servir d’obstacles à l’obtention du passeport diplomatique. L’article 7 du décret présidentiel du 1er juin dispose en effet que «sous réserve qu’elles veillent au respect de leur rang, qu’elles résident en Algérie et qu’elles n’aient pas un comportement portant atteinte aux intérêts supérieurs et à la dignité de l’Etat, les personnalités suivantes ainsi que leurs conjoints, enfants mineurs et filles non mariées vivant sous leur toit, bénéficient du passeport diplomatique.»
Au «pays du monde à l’envers», selon l’expression de Jean-Louis Levet et Paul Tolila, auteurs de l’excellent livre «Le Mal algérien», l’opacité et l’arbitraire sont consubstantiels au Système. Et il ne faut surtout pas s’étonner que Tebboune et ses conseillers trouvent dans la conduite de Lamamra «un comportement portant atteinte aux intérêts supérieurs et à la dignité de l’Etat» qui va non seulement le rendre inéligible au passeport diplomatique, mais lui paver le chemin de la prison.
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Alors, est-il reproché à Ramtane Lamamra, en vertu de cet article 7, de ne pas avoir «veillé au respect de son rang» en se voyant déjà comme un potentiel futur remplaçant de Tebboune à la Mouradia? Sinon, pourquoi est-il privé de passeport diplomatique et maintenu à l’écart comme un paria, alors que quasiment tous les ministres renvoyés du gouvernement en même temps que lui ont été recasés dans d’autres hautes fonctions, à la présidence ou au sein autres institutions de l’État?
Passage par la case «prison» ?
Il est par ailleurs certain que Tebboune ne veut en aucun cas voir Lamamra quitter l’Algérie et rebondir au niveau d’un poste «international» à l’ONU, à l’Union africaine ou, en Europe, au sein d’un think tank comme le Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) qu’il avait rejoint en 2020, quand l’Administration américaine s’était fermement opposée à l’intention du chef de l’ONU, Antonio Guterres, de faire de Lamamra son envoyé spécial en Libye.
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D’ici la présidentielle de décembre 2024, Ramtane Lamamra peut donc être assuré qu’il sera forcé à la discrétion à travers un semblant de résidence surveillée à Alger, ou une «interdiction de sortie du territoire national» qui ne dit pas son nom, car s’il occupe la moindre fonction à l’international, Tebboune en prendra ombrage. Si Tebboune tient mordicus à rester à la présidence après 2024, ce n’est pas seulement pour le prestige de la fonction, mais de peur de rejoindre, en compagnie de ses rejetons Khalid (le trafiquant de cocaïne) et Mohamed (le prédateur qui a pris le rôle de Saïd Bouteflika), les anciens Premiers ministres Abdelmalek Sellal, Ahmed Ouyahya et Noureddine Bedoui à la prison d’Al Harrach.