Le constat est déconcertant. L’arène politique en Algérie est tout simplement déserte, et la loupe la plus grossissante ne peut y déceler le moindre homme politique de poids. Seuls y sont visibles, comme d’habitude, ces vieux généraux de l’armée, retraités ou en service, qui se cramponnent de toutes leurs forces avec leurs doigts crochus au pouvoir. Ces généraux ont en commun d’avoir été des acteurs de premier plan durant la décennie noire qui a fait plus de 200.000 morts en Algérie.
En face, Abdelmadjid Tebboune, à la santé qu’on dit vacillante ces jours-ci, et qui veut aller, coûte que coûte, au-delà de son mandat qui s’achève au début de décembre 2024. S’il échoue dans cette mission, c’est la prison assurée pour lui et ses trois fils.
C’est donc à l’aune de la détermination féroce à contrôler sans partage le pays des protagonistes de la décennie noire, dont les figures proéminentes sont le chef d’état-major Saïd Chengriha, le chef des renseignements extérieurs Djebbar Mhenna et les généraux à la retraite Khaled Nezzar et Mohamed Mediène, dit Toufiq, et de la nécessité vitale pour Tebboune de rempiler pour un second mandat, qu’il convient d’envisage la lutte à mort que se livrent les deux clans.
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Jusque-là discrète, la lutte entre le clan présidentiel et celui des protagonistes de la décennie noire est désormais publique et fait de nombreuses victimes parmi les potentats du Système.
Abdelmadjid Tebboune, orphelin du général qui l’a parachuté en 2019 à la présidence, a certes réussi à constituer autour de lui un noyau dur de soutiens, mais la meute de puissants généraux, dont certains agissant à l’ombre, ne cesse de lui mettre des entraves, en attendant de sortir de son sac le futur président du pays.
La multiplication des «ISTN»
Tebboune est conscient de l’épée de Damoclès qui plane sur lui, même s’il a toujours tenté de rassurer ses soutiens en les encourageant à agir et à ne «pas avoir peur d’aller à El Harrach», en référence aux «dossiers de chantages judiciaires» que l’armée sort régulièrement pour éliminer ses adversaires politiques. Cette pratique est à nouveau remise au goût du jour par le clan du général Saïd Chengriha, patron de l’armée algérienne, contre les hommes du président.
Ainsi, plusieurs interdictions de sortie du territoire national (ISTN) frappent actuellement trois grosses pointures de l’entourage de Tebboune.
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Toufik Hakkar, le président-directeur général du groupe Sonatrach (hydrocarbures), la plus grande société d’État et la mamelle nourricière de toute l’Algérie, est soumis à une ISTN depuis plusieurs mois. Cet homme, que Tebboune a désigné à ce poste en février 2020, fait actuellement l’objet d’une enquête menée par le pôle financier et économique relevant du tribunal algérois de Sidi M’Hamed, qui le soupçonne de corruption dans l’attribution d’un marché d’exploitation du phosphate algérien à des opérateurs chinois, qui auraient misé un pactole de 8 milliards de dollars.
De même, Chawki Boukhazani, le patron du premier opérateur de téléphonie mobile du pays, est lui aussi sous ISTN depuis mars dernier, suite à la divulgation d’une affaire d’espionnage des téléphones de certains généraux, dont celui de Saïd Chengriha, au profit de la présidence algérienne. Arrêté puis interrogé successivement par les agents de la DGSI (sécurité intérieure) et de la DCSA (sécurité de l’armée), il a été refoulé manu militari de l’aéroport Houari Boumediene d’Alger il y a quelques jours, alors qu’il s’apprêtait à voyager avec des chefs d’entreprises algériens en partance pour la Chine, en vue de rejoindre la délégation du président Tebboune.
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Même le PDG d’Air Algérie ne peut embarquer dans le moindre avion de la compagnie qu’il dirige, en vue de se déplacer à l’étranger, à cause de l’ISTN qui le frappe depuis plusieurs mois. Des pots-de-vin présumés, versés par l’avionneur Airbus, auraient été reprochés à ce proche du clan de la présidence algérienne. D’ailleurs, il a fallu récemment une garantie personnelle de Tebboune pour que son ISTN soit provisoirement levée, le temps qu’il l’accompagne en Russie, en juin dernier, en vue de négocier l’ouverture prochaine d’une liaison aérienne Alger-Moscou. Autant dire que le clan des généraux entrave, à travers ces interdictions, les intérêts économiques et vitaux du pays en empêchant les chefs des plus grandes entreprises publiques du pays d’aller à la rencontre de partenaires étrangers dont dépend entièrement l’économie algérienne.
Bras de fer au sommet de l’État
Le bras de fer entre le clan présidentiel, dont le noyau dur est formé de Boualem Boualem, conseiller de Tebboune, du général de corps d’armée Ben Ali Ben Ali, commandant de la Garde républicaine, et de Farid Bencheikh, patron de la police, bat donc son plein face au puissant clan du chef d’état-major de l’armée, entouré du chef de la Gendarmerie, des généraux dirigeant les différents services de renseignements, ainsi que les généraux de l’ombre, Mohamed Mediène, dit Toufik, et Khaled Nezzar.
Ces deux clans ont eu à se mesurer à plusieurs occasions durant ce mois de juillet. En effet, à la veille de la célébration du 61ème anniversaire de l’indépendance du pays et à l’occasion de la promotion de nouveaux hauts gradés de l’armée, Tebboune s’est ostensiblement affiché avec le général Ben Ali Ben Ali, ennemi juré du général Saïd Chengriha. Ben Ali a même décoré, pour la première fois dans une telle cérémonie, des officiers promus.
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Farid Bencheikh, le patron de la police, est pour sa part la cible d’une campagne acharnée des porte-voix du clan des généraux. Son mariage blanc, en vue d’obtenir un titre de séjour en France, a été révélé. Une ancienne demande d’obtenir le statut de réfugié politique en France a été déterrée. Les biens qu’il détient en France ont été détaillés. Les liens du patron de la police algérienne avec la France ont constitué un terreau fertile pour les porte-voix des généraux qui l’accusent d’être un espion à la solde des services de renseignement français.
Jeudi 27 juillet, le recteur de la mosquée de Paris, le franco-algérien Chemseddine Hafiz, a été à son tour au cœur d’une nouvelle pomme de discorde entre le clan présidentiel et celui des généraux. Ces derniers et leurs porte-voix ont régulièrement descendu en flammes le 1er imam de France… accusé de ne même pas faire ses prières.
Au bord de l’implosion
Tebboune a ouvertement apporté, via une dépêche de l’agence officielle APS, «son soutien absolu au recteur de la Grande mosquée de Paris», pour avoir envoyé en Algérie, pour de courtes vacances, des centaines d’enfants d’Algériens de la diaspora. Une initiative qui vise seulement à montrer la détermination de Tebboune à ne pas laisser tomber ses hommes et qui augure d’un déballage inédit pendant les prochains jours.
La lutte à mort que se livrent les deux clans sème la terreur parmi les hauts responsables du pays. Il suffit de dire que le patron de la puissante Sonatrach est interdit de quitter l’Algérie pour prendre la température d’un pays au bord de l’implosion.