«Je parle à la télévision, donc je suis le président légitime». Voilà le credo à travers lequel Abdelmadjid Tebboune, se sachant indésirable à l’extérieur et honni à l’intérieur, tente d’imposer sa présence à la tête de l’Algérie.
Samedi soir, il a repris ses litanies habituelles en invitant à nouveau un duo de journalistes dans un simulacre d’interview à la télévision publique algérienne. Cet exercice, bien que diffusé en différé, donne à voir une déformation de la réalité et une fuite en avant devant les problèmes très graves que le pays traverse. À l’instar de la course effrénée à l’euro et au dollar, les Algériens ne faisant plus confiance à leur monnaie locale, le dinar, et préfèrent thésauriser en euro. Résultat: 1 euro s’échange contre plus de 260 dinars sur le marché parallèle, qui est le vrai baromètre de la valeur de la monnaie locale, alors que Tebboune pérore devant les deux journalistes en parlant d’un dinar plus fort que jamais. C’est ce qui s’appelle vivre dans un monde parallèle.
Commençons par l’une de ses déclarations choc, voire choquantes, dont Tebboune a le secret. Selon lui, «l’Algérie était un État» qui a existé bien avant la colonisation française au début du 19ème siècle. Mieux, ce prétendu État algérien «dominait toute la Méditerranée», alors qu’en réalité, avant la France, l’Algérie n’existait pas en tant que pays. Et quand la France a débarqué en 1830 à Alger, elle y a trouvé une régence turque qui s’exerçait depuis plus de trois siècles! On savait que «l’homme malade» désignait historiquement l’empire ottoman en déclin, une qualité que semble revendiquer le président actuel de l’Algérie que d’aucuns n’hésitent plus à qualifier de «fou à lier».
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Mais cette déformation de l’histoire lâchée par «Tebboune 2» semble être une réponse tardive au président français Emmanuel Macron, qui s’est interrogé, il y a trois ans de cela, soit en octobre 2021, sur l’existence de l’Algérie en tant que nation avant la colonisation française.
Une réponse symptomatique de la frustration qu’éprouve le président algérien suite à la troisième annulation, en moins de deux ans, de sa visite rêvée à Paris.
Alors que lors d’une précédente sortie à la télévision algérienne, diffusée le samedi 5 août dernier, il a affirmé que sa visite d’État en France était «toujours maintenue», Tebboune a confirmé hier que cette visite, dont la énième date de programmation l’avait fixée entre fin septembre dernier et début octobre courant, n’est plus d’actualité. Idem pour le cas de l’ambassadeur d’Algérie à Paris, rappelé il y a deux mois, et dont le retour à son poste peut attendre.
Tebboune n’a pas manqué, pour justifier l’annulation de sa visite à Paris, de s’en prendre avec virulence au microcosme politique français, non seulement sur les dossiers de la mémoire ou de l’immigration, mais surtout à cause de la décision de Paris de soutenir ouvertement le plan marocain d’autonomie au Sahara, comme seule solution politique viable à ce conflit factice.
Tebboune a tranché l’annulation de sa visite en France par cette phrase: «Je n’irai pas à Canossa», sans saisir probablement le sens profond de la pénitence de Canossa et les ingrédients de défaite reconnue et d’humiliation acceptée que cette expression revêt. S’il y a toutefois une chose à retenir de cette visite avortée, c’est la frustration de Tebboune.
Si Tebboune a paru frustré quand il a évoqué la France, c’est un Tebboune carrément traumatisé qui s’est exprimé sur les BRICS. On savait que la candidature rejetée de l’Algérie à rejoindre ce groupement de pays a constitué un cinglant revers pour le régime, mais on ignorait à quel point elle a été une expérience traumatique pour Tebboune, qui a jeté l’anathème sur les choix arbitraires qui ont présidé à la sélection de nouveaux pays, dont certains n’arriveraient pas aux pieds de l’Algérie. Le passage de Tebboune 2 sur les BRICS est un morceau d’anthologie.
Tebboune est également revenu sur le rétablissement des visas d’entrée en Algérie pour les ressortissants marocains. Cette mesure a été annoncée le 26 septembre dernier par un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères qui a égrené une liste de griefs imaginaires à l’encontre du Maroc.
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Elle intervient suite à un démantèlement d’un réseau de prétendus espions marocains à Tlemcen, le 2 septembre dernier, un démantèlement qui n’est qu’une autre manœuvre de propagande visant à agiter les «mains étrangères» à la veille de l’opération de vote que l’on savait déjà vouée à l’échec, c’est-à-dire à une abstention massive.
Tebboune a trouvé une seule raison au rétablissement du visa algérien pour les Marocains, en affirmant que c’est à cause d’«espions sionistes» qui se seraient infiltrés en Algérie grâce à des documents de voyage marocains.
Cependant, faute de preuves, il ne parle que de «soupçons». «Nous avons des soupçons que certains (espions israéliens) sont venus avec des passeports marocains. Que viennent-ils faire chez nous? Pour voir le port d’Oran ou Mers El Kébir avec des passeports d’un pays arabe dont les ressortissants peuvent entrer sans visa?». Avant d’ajouter: «L’enquête est toujours en cours. Des membres de ce réseau sont en fuite et nous pensons qu’ils avaient de faux passeports. Le procès sera public. Malheureusement, il y a des Algériens».
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Des Algériens avec des passeports marocains? Est-ce que l’ex-patron des services de renseignement extérieurs algériens, le général Djebbar M’Henna, a été «remercié» pour avoir déniché ces «espions sionistes», porteurs de passeports marocains? Ne cherchez surtout pas à comprendre.
Tebboune a aussi relaté les relations de son pays avec les États voisins. Ainsi en parlant des échanges frontaliers, il n’a cité que trois pays avec lesquels l’Algérie commerce, à savoir la Tunisie bien sûr, le Niger et la Mauritanie, confirmant surtout que ses relations avec le Mali sont au creux de la vague, comme vient de le montrer la passe d’armes à la tribune de l’ONU entre Bamako et Alger.
Avec cette première sortie de son second mandat, Tebboune donne une fois encore la preuve que le régime d’Alger vit dans un monde parallèle. Il a ainsi occulté tous les sujets qui font l’actualité en Algérie. Il n’a évoqué ni la malaria et la diphtérie qui font des centaines de morts dans le sud algérien, ni la flambée des prix des produits de première nécessité et encore moins l’effondrement de la monnaie locale qui augure d’un réveil imminent et très douloureux dans le monde réel.