Le complot est le propre du régime algérien. Instauré comme l’un des fondements du Système par Houari Boumediene, il définit depuis 1962 les relations entre les dirigeants au sommet du pouvoir militaro-politique. Abdelmadjid Tebboune ne fait pas confiance à son armée. Les désaccords entre les généraux de l’ANP et le président algérien ont refait surface dans le cadre d’une guerre de positions sans merci, à une année et demie de la fin du mandat de l’actuel locataire du Palais de la Mouradia.
Ce dernier vient de subir une attaque frontale de la part des généraux de la décennie noire des années 90 -attaque qui pourrait couper net le fil très ténu qui maintient encore un semblant de lien d’intérêts politiques entre Abdelmadjid Tebboune et le patron de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha.
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Le samedi 20 mai, le youtubeur Saïd Bensedira, porte-voix médiatique du clan constitué du général à la retraite Khaled Nezzar, du général Mohamed Mediène et du patron des renseignements extérieurs Jebbar Mhenna, a affirmé qu’il est aujourd’hui clairement établi que Chawki Boukhazani, PDG de l’opérateur public de téléphonie mobile Mobilis, filiale d’Algérie Telecom, espionnait les téléphones de nombreux généraux de l’armée algérienne, dont le chef d’état-major Saïd Chengriha. Pour le compte de qui a-t-il agi et mis tous ces téléphones sur écoute?
Un doigt accusateur est directement pointé par le clan de Nezzar-Toufik-Mhenna vers le président algérien Abdelmadjid Tebboune, pris la main dans le sac pour avoir ordonné, via un coup de téléphone de son bras droit et conseiller, Boualem Boualem, la relaxe immédiate du PDG de Mobilis, arrêté et interrogé sur cette affaire d’écoutes par les agents de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA). Il aurait même été placé sous contrôle judiciaire par le tribunal militaire de Blida, avant que la présidence algérienne n’annule toutes ces poursuites et maintienne Chawki Boukhazani à son poste de PDG de Mobilis. L’entourage présidentiel a en outre tenté de faire croire que l’arrestation de Boukhazani était liée au rachat par Mobilis du club de football de la Jeunesse sportive de Kabylie, ainsi sauvé de la faillite.
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Le scandale des écoutes téléphoniques a éclaté le 21 mars dernier quand le patron de Mobilis a été kidnappé, au niveau du parking du siège de la société qu’il dirige, par des agents de la sécurité militaire (DCSA). Chawki Boukhazani, ancien capitaine de la gendarmerie, a été promu, à la surprise générale, PDG de Mobilis le 3 octobre 2021 sur la base d’un simple diplôme en «Télécommunication et sécurité des réseaux informatiques» délivré par l’École militaire polytechnique d’Alger. Diplôme qui lui a permis de devenir «développeur web» au sein de la gendarmerie en 2011, avant d’être détaché à Mobilis en 2019. Cette promotion fulgurante d’un militaire de carrière à la tête du géant public de la téléphonie mobile en Algérie est en elle-même douteuse et source de questionnements.
Le porte-voix du clan Nezzar-Mediene-Mhenna est encore allé plus loin dans sa violente charge contre le président Tebboune en déclarant que l’auteur de tels actes d’espionnage contre le haut commandement de l’armée ne peut en aucun cas postuler à un second mandat présidentiel, surtout qu’il n’a rien apporté à l’Algérie depuis son élection en 2019, à part les fausses promesses et l’incapacité à aller sur le terrain dans les wilayas du pays. En effet, Tebboune évite les sorties sur le terrain et semble craindre par-dessus tout les apparitions publiques dans les villes algériennes, sans doute de peur d’entendre l’un des slogans phares du Hirak qui le qualifie d’usurpateur. L’Algérie compte pourtant 210.000 policiers et 180.00 gendarmes. Un record mondial si l’on rapporte ce nombre impressionnant des forces de l’ordre à la population.
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La virulente sortie médiatique des protagonistes de la décennie noire sonne comme un divorce entre Tebboune et les généraux de l’armée qui n’ont jamais oublié que leur ennemi juré d’antan, celui-là même qui les a traqués, envoyés en prison ou forcés à l’exil, le défunt général Ahmed Gaïd Salah, est aussi le père putatif de Tebboune dont il a fait un président.
Orphelin de l’ancien régime, celui-ci se retrouve aujourd’hui au milieu du gué. D’un côté, il fait face à un omniprésent Chengriha, avec lequel la confiance n’a jamais été réellement de mise et qui découvre subitement que «son» président l’espionnait. De l’autre, le duo vindicatif Nezzar-Toufik n’a toujours pas pardonné à Tebboune sa fidélité au clan des Bouteflika et Gaïd Salah.
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D’ailleurs, les hauts gradés de l’armée, qu’il s’agisse du clan Chengriha ou de celui de Nezzar-Toufik, ont sciemment laissé véhiculer une mauvaise image de Tebboune en le confinant dans des rôles et autres bavardages futiles, en vue de le décrédibiliser et de lui barrer la route vers un second mandat.
En voulant faire campagne à travers ses visites hors d’Algérie, Tebboune attend beaucoup de son hypothétique visite en France pour installer l’image d’un président avec la stature d’un homme d’État. Cette visite, déjà reportée, risque d’être définitivement annulée compte tenu des déboires de sa récente visite-surprise au Portugal. Cette dernière se voulait un test miniature de celle de Paris. Or, malgré le secret total qui a entouré la virée lusitanienne, secret qui visait à empêcher les Algériens de la diaspora de converger d’Europe vers Lisbonne et l’accueillir avec des manifestations hostiles au régime militaire, des slogans du Hirak ont bien retenti au rythme de jets d’œufs sur le cortège de Tebboune.
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Les accusations d’espionnage ciblant les généraux de l’armée mettent Tebboune dans une position extrêmement inconfortable. Le Système broie ceux qui osent une quelconque mesure contre la prééminence de l’armée. Seul un général peut s’attaquer à d’autres généraux. Tebboune étant une façade civile de pacotille, il rejoindra sans doute la prison d’El Harrach à la fin de son mandat. À moins que les généraux ne lui réservent un sort plus tranchant… à la Boudiaf.