C’est quasiment le même rituel auquel s’adonne Tebboune depuis maintenant trois années. Frappé d’une interdiction d’aller à la rencontre des foules à travers le pays, de crainte de réveiller la contestation populaire du Hirak, un mouvement qui n’a jamais reconnu sa légitimité, le président algérien se contente d’inviter dans son réduit de la Mouradia des journalistes triés sur le volet au sein des médias du pouvoir.
Samedi 5 août, c’est le modérateur de ces porte-voix du régime algérien qui a tendu à Tebboune un couteau en vue de le remuer dans la plaie de ce qui reste des relations maroco-algériennes. Interpellé, non pas pour donner sa réponse à la main fraternelle tendue par le roi Mohammed à l’Algérie lors du discours royal du 31 juillet dernier, mais sur la reconnaissance par Israël de la marocanité du Sahara, Tebboune, en qualifiant ce nouveau coup dur pour la diplomatie algérienne de «non-événement», a également dérapé en frisant la négation d’un État souverain. Usant de l’adage de «celui qui n’a pas ne peut donner», il a ainsi insinué que l’État d’Israël, membre de l’ONU, ne peut reconnaître la souveraineté d’un autre État. On n’en saura pas davantage, car le passage de Tebboune sur le Maroc a fait visiblement l’objet d’une grosse coupe dans le montage. Tebboune, qui s’est enflammé à l’occasion, a dû débiter quelques propos lunatiques dont il a le secret.
L’essentiel est toutefois ailleurs. Les nouvelles tebbouneries ont été précédées d’un mépris à l’égard de ses concitoyens mêmes. Alors que des centaines d’Algériens, dont des familles entières, meurent chaque année dans les feux de forêt, Tebboune continue de botter en touche sur les raisons de la non-acquisition par Alger d’avions bombardiers d’eau pour faire face efficacement à ces sinistres meurtriers.
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Samedi soir, il a renvoyé la patate chaude vers l’armée qu’il dit avoir chargée d’acquérir des avions bombardiers. Et d’ajouter qu’«actuellement, il n’y a pas d’avions bombardiers d’eau sur le marché international». En d’autres termes, Tebboune insinue que l’armée algérienne est incapable d’acquérir des Canadairs. Ce qui veut dire que le responsable des morts des feux de forêt, ce n’est pas le gentil Tebboune proche du peuple, mais l’incompétent Saïd Chengriha qui n’a même pas été en mesure d’acheter des bombardiers d’eau en dépit des milliards de dollars mis à sa disposition. Voilà pour le tacle d’entrée de jeu de Tebboune à l’adresse de Chengriha. Un tacle qui en dit long sur l’intensité de la guerre qui oppose le clan présidentiel à l’armée.
Par ailleurs, toute l’intervention de Tebboune est à placer sous le signe d’une campagne présidentielle. Il est en campagne pour rempiler pour un second mandat et il ne s’en cache pas. «J’ai tenu tous mes engagements», a-t-il répété à maintes reprises. Et à propos d’une question sur les fameuses 54 promesses de sa précédente campagne électorale, Tebboune répond avec aplomb que «75% ont été respectées» et que le reste le sera en 2024.
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À quelques questions timides sur la rupture de la chaîne d’approvisionnement en produits de première nécessité, les coupures d’eau qui durent plus de 7 jours, l’inflation qui a rendu des produits de base hors de portée de nombreux Algériens, Tebboune a une explication: les manœuvres de la «Issaba» (le gang).
Selon Tebboune, qui a lancé l’opprobre sur ceux qu’il appelle des membres de la «Issaba» ayant sévi durant les années Bouteflika (2000-2019), ces derniers utilisent aujourd’hui la surfacturation et la spéculation pour créer un renchérissement des produits de base. Il les a menacés vulgairement en affirmant que «s’il les coince, ils regretteront le jour où ils sont nés». Il a aussi promis plus de sévérité à leur égard, car la peine de 30 années de prison «incompressibles», qu’il a lui-même introduite il y a moins de deux ans, s’avère «insuffisante» à ses yeux pour dissuader cette «Issaba» qui demande aujourd’hui de libérer les oligarques et anciens ministres emprisonnés à El Harrach en contrepartie de la restitution de l’argent volé.
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Tebboune a clairement affirmé que ses adversaires lui mettent des bâtons dans les roues en sabotant ou en empêchant la réalisation des projets mentionnés dans les «54 engagements» de son programme électoral de 2019, et dont aucun n’a en réalité vu le jour jusqu’ici.
Le président algérien s’est même dit déterminé à mener la guerre contre ce clan, «quel qu’en soit le prix et quitte à le payer de sa vie».
Très curieuse, cette menace sur sa vie que Tebboune introduit dans ses réponses. Car la «Issaba», terme dont la paternité appartient au défunt Gaïd Salah, a été décimée par l’ancien chef d’état-major. Ses membres sont en prison ou en fuite à l’étranger, à l’exception de ceux qui ont été graciés ou ceux qui sont rentrés au pays avec les honneurs. Parmi les membres réhabilités de ladite «Issaba», les caciques de la décennie noire: Khaled Nezzar, Mohamed Mediène, dit Toufiq, et Jebbar Mhenna, le patron des renseignements extérieurs. Est-ce que Tebboune se sent menacé par ce clan des généraux auquel appartient Saïd Chengriha? Le fait que Tebboune parle de «payer de sa vie» n’est en tout cas pas anodin. Et ce ne sont certainement pas les spéculateurs sur les prix des légumineuses qui peuvent constituer une menace de mort pour le président algérien.