Avec Alger, le pire n’est jamais sûr

Xavier Driencourt.

ChroniqueC’est, à ma connaissance, du jamais vu dans l’histoire compliquée des relations franco-algériennes: même aux plus forts moments de tension entre les deux pays, notamment lors des crises du détournement de l’Airbus d’Air France en décembre 1994, ou encore lors de l’assassinat des moines de Tibhirine en 1996, jamais l’ambassadeur de France en Algérie n’avait été rappelé pour consultations.

Le 18/04/2025 à 09h32

On croyait avoir atteint le pire, avoir touché le fond. On pensait un moment la crise entre la France et l’Algérie terminée, enterrée. Jean-Noël Barrot, ministre français des Affaires étrangères, à Alger il y a quelques jours, déclarait qu’il fallait «tourner la page», faire en sorte que «le rideau se lève», revenir à la «feuille de route définie en août 2022» par les deux présidents de la République, pour reprendre ses termes. Quelle erreur de notre part!

Sur quoi le rideau devait-il se lever, selon le ministre français? M. Barrot nous avait annoncé trois grands chapitres dans cette nouvelle relation qu’il qualifiait «d’égal à égal»: une coopération sécuritaire au Sahel, une coopération judiciaire et une coopération migratoire.

S’agissant de la coopération sécuritaire, au moment où le régime algérien est exclu du Sahel, au moment où le Mali rompt avec son ancien parrain algérien, c’est plutôt l’Algérie qui a besoin de la France. À l’époque des opérations «Serval» puis «Barkhane», les militaires algériens ne fournissaient déjà aucun renseignement à leurs collègues français et la France s’en plaignait fortement. Le président Emmanuel Macron, en visite à Alger en décembre 2017, avait déjà demandé au chef d’état-major algérien, le général Gaïd Salah, de densifier cette coopération. Hélas, refus de l’Algérie: la France n’avait obtenu que des fournitures d’eau et de carburant, mais jamais une coopération opérationnelle. On ne voit pas pourquoi aujourd’hui, en pleine crise, Alger ferait mieux.

La coopération judiciaire, telle qu’annoncée par le ministre Barrot, est pour le moins étonnante, puisqu’elle autoriserait, rien de moins, que la venue à Paris de magistrats algériens qui pourraient consulter les dossiers individuels de personnalités -dont certaines sont françaises- au parquet national financier. Soi-disant pour récupérer des biens mal acquis… Concrètement, cette coopération serait parfaitement asymétrique, puisqu’on connaît les difficultés qu’eut en son temps le juge Trevidic pour enquêter en Algérie sur l’assassinat des moines de Tibhirine et alors même que cette belle coopération judiciaire interdit à l’avocat français de Boualem Sansal, Me François Zimeray, de se rendre à Alger. Curieuse conception de la réciprocité diplomatique…

Enfin, s’agissant de la coopération migratoire, le communiqué ne mentionnait ni les OQTF ni les laissez-passer consulaires, ni les 35.000 Algériens -contrôlés- en situation irrégulière, selon les chiffres de Didier Leschi, directeur général de l’Office français d’immigration (OFI). Le ministre se contentait d’annoncer une «amélioration» des Accords avec l’Algérie (on imagine dans quel sens) pour une «mobilité plus fluide». Évidemment, la révision ou l’abrogation de l’accord franco-algérien de 1968, comme de celui sur les passeports diplomatiques, ne semblent plus à l’ordre du jour.

«La France ne pouvait que réagir et procéder à un geste de réciprocité. C’est chose faite avec le rappel de l’ambassadeur de France à Alger et l’expulsion de 12 agents diplomatiques et consulaires algériens.»

Tout ceci semble évidemment passer désormais à la trappe avec le dernier épisode de la crise franco-algérienne. Cette relation n’est jamais à l’abri du moindre fait divers qui peut dégénérer et l’enflammer. C’est exactement là où nous en sommes, huit jours après avoir célébré la «clairvoyance» du chef de l’État algérien et la nouvelle étape de la coopération.

Le tout dernier fait divers, c’est l’arrestation à Paris d’un agent du consulat algérien de Créteil impliqué dans l’enlèvement et l’arrestation d’un opposant algérien bien connu, l’influenceur Amir Boukhors dit «Amir Dz». Que l’Algérie opère directement sur le territoire français est un événement gravissime. Non seulement l’intéressé est un diplomate algérien, muni d’un passeport de service, mais il utilise les privilèges accordés par les Conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires pour opérer sur le sol français. Comme d’habitude, le «Système algérien» proteste de sa bonne foi et, la meilleure défense étant l’attaque, convoque une nouvelle fois notre ambassadeur à Alger pour obtenir des explications, publie un communiqué comme on les aime à Alger et, enfin, pour montrer que tout cela est sérieux, décide l’expulsion de 12 agents de l’ambassade de France à Alger. Plus précisément, 12 agents des deux services dépendant du ministère de l’Intérieur (le service de coopération internationale et le service de la DGSI), histoire de viser le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau qui, d’ailleurs, se trouvait au même moment au Maroc…

Bref, retour à la case départ. La France ne pouvait que réagir et procéder à un geste de réciprocité. C’est chose faite avec, d’une part, le rappel de l’ambassadeur de France à Alger et, d’autre part, l’expulsion de 12 agents diplomatiques et consulaires algériens. La réciprocité est en effet la base de la vie internationale, elle régit, avec le protocole, la vie des États. Toutes ces règles ont été fixées par l’histoire, la tradition et les conférences internationales, puis codifiées.

C’est, à ma connaissance, du jamais vu dans l’histoire compliquée des relations franco-algériennes: même aux plus forts moments de tension entre les deux pays, notamment lors des crises du détournement de l’Airbus d’Air France en décembre 1994 ou encore lors de l’assassinat des moines de Tibhirine en 1996, jamais l’ambassadeur de France en Algérie n’avait été rappelé pour consultations. En 2008, alors que j’étais moi-même en poste à Alger, un juge français avait arrêté à l’aéroport de Marseille Provence le chef du protocole du ministère des Affaires étrangères algérien. La crise avait duré deux ans, mais Paris n’avait pas rappelé son ambassadeur. Comme Alger a pu remarquer que depuis huit mois Paris ne réagissait en rien, ce «Système», qui connaît bien nos faiblesses, en profite. Il était temps de réagir. Et il faudra, un jour, quoi qu’en dise Alger, revenir à la table des discussions.


Par Xavier Driencourt
Le 18/04/2025 à 09h32

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