Bruxelles-Alger: la diplomatie Potemkine

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueLa commission parlementaire mixte UE-Algérie, réunie le 2 octobre au Parlement de Bruxelles, a offert un moment d’anthologie. Une photographie de la relation bilatérale effet lune de miel, soigneusement retouchée pour effacer tout ce qui fâche.

Le 04/10/2025 à 10h00

Admettons: les eurodéputés n’allaient pas entamer la séance en évoquant la cavale du général Abdelkader Haddad, ex-patron du renseignement intérieur… Sans doute beaucoup n’ont-ils d’ailleurs pas mesuré la gravité de l’évènement qui a secoué Alger en septembre, celui-ci ayant finalement été peu commenté par les médias européens.

Ce séisme au sommet de l’État est porteur de conséquences fortes non seulement au plan intérieur mais aussi pour ses partenaires européens. Outre l’atteinte à la crédibilité d’un régime sécuritaire auquel échappe le numéro Un de la sécurité, cet épisode rocambolesque jette la lumière sur la fragilité d’un allié algérien censé participer de la stabilité régionale, et interroge quant aux suites de cette évasion: règlements de compte et contagion dans les autres piliers de l’État… Sans compter que Nacer El-Djinn pourrait s’être réfugié en Espagne; ce qui transformerait potentiellement sa fuite en un lourd sujet diplomatique pour les Européens.

C’est sur le terrain économique qu’on attend le recadrage des Européens. Alger est sous le coup d’une procédure d’arbitrage déclenchée par la Commission européenne, pour restriction au commerce et à l’investissement, un mécanisme prévu dans le cadre des accords commerciaux bilatéraux–mais rarissime. Sur les cinq dernières années, un seul autre cas a eu lieu, et concernait le Royaume-Uni dans le cadre des relations post-Brexit.

C’est qu’avant de lancer un arbitrage, l’UE privilégie toujours la négociation, et essaye de résoudre les différends par de longues périodes de consultations. Ce qu’elle a tenté à deux reprises avec Alger– en 2020 puis en 2024. En vain. Ironie, c’est cette semaine que le rapport annuel du think tank canadien Fraser Institute sur «les libertés économiques dans le monde» place l’Algérie au 164ème rang mondial sur– 165– concernant la liberté des échanges internationaux.

C’est bien pourtant le co-président Temamri qui, rappelant l’importance des échanges UE-Algérie– 66% des exportations algériennes– plaide la nécessité de rééquilibrer la relation, tandis que son homologue européen, l’italien Razza se garde de toute critique. Sans doute l’avalanche de promesses– nouvelle législation, nouveaux investissements, nouveaux projets visant à attirer les IDE financés par l’UE– a-t-elle les accents du Plan Mattei?

«Sur le cas Sansal, force est de constater que plus la mandature avance, plus le Parlement recule. D’une résolution votée massivement en janvier 2025, aux rares interpellations lors des réunions de la délégation «Maghreb», jusqu’à cette commission mixte donc… Boualem Sansal effacé, et Christophe Gleizes jamais entendu»

Mais le plus saisissant, c’est que pour la première fois dans l’histoire récente du Parlement européen, ses élus conviennent qu’il est possible de renforcer un partenariat avec un État tiers– et assument d’en être moteurs à travers la diplomatie parlementaire– alors que des ressortissants européens y sont détenus de manière arbitraire.

Au sein des institutions, le Parlement européen n’est pas, en tant que tel, compétent pour sanctionner un État. Mais il joue traditionnellement un rôle d’aiguillon et de catalyseur politique en matière de droits de l’homme, avec les moyens dévolus par les traités et son règlement intérieur: résolutions d’urgence pour inviter la Commission et le Conseil à agir, soutien à des sanctions ciblées, conditionnalité de l’aide européenne– ou suspension du dialogue politique. Ici, les eurodéputés ont reçu leurs homologues algériens sans qu’aucun d’eux n’évoque publiquement le sort des deux Français arrêtés en 2024 et condamnés à de lourdes peines.

Sur le cas Sansal, force est de constater que plus la mandature avance, plus le Parlement recule. D’une résolution votée massivement en janvier 2025, aux rares interpellations lors des réunions de la délégation «Maghreb», jusqu’à cette commission mixte donc… Boualem Sansal effacé, et Christophe Gleizes jamais entendu.

Balayons les archives du Parlement européen pour mesurer l’ampleur du «double standard». Quand Moscou empoisonne Navalny, les résolutions sont suivies de gels des avoirs et d’interdictions de visas. Quand Minsk détourne un avion civil pour procéder à l’arrestation de Raman Pratasevich, l’Europe ferme son espace aérien aux compagnies biélorusses. Quand Ankara retient un journaliste turco-allemand, Deniz Yücel devient le symbole de la violation des droits de l’Homme en Turquie et conduit les parlementaires à demander le gel du processus d’adhésion. Quand Téhéran emprisonne une universitaire française ou un médecin suédois, les eurodéputés crient à la «diplomatie des otages», exigent des sanctions ciblées et appellent à inscrire les Gardiens de la Révolution sur la liste des organisations terroristes.

Dévoilé lors de cette rencontre parlementaire, et lancé officiellement d’ici quelques jours, le Pacte pour la Méditerranée portera la marque honteuse et indélébile des otages d’Alger.

Par Florence Kuntz
Le 04/10/2025 à 10h00