En règle générale, tant l’agence officielle du régime d’Alger que les médias qui lui sont inféodés se font une joie de relayer les messages, petits et grands, que reçoit le chef de l’État. Surtout lors de sa désignation par l’armée président pour un second mandat, après un «scrutin» qui l’a considérablement affaibli, en raison d’un taux participation ne dépassant pas les 10%. Les messages de félicitations adressés à Abdelmadjid Tebboune sont en effet une façon de redorer un tant soit peu le blason d’un président en manque de légitimité et de crédibilité.
Mais pas cette fois. Il se trouve que l’auteur de la missive n’est autre que Yahya Sinouar, le chef du mouvement armé palestinien du Hamas, et principal artisan des attaques du 7 octobre 2023 contre Israël, avec les répercussions dramatiques sur la région et les populations civiles que l’on sait. Son contenu: un message de félicitations adressé via la plateforme Telegram par le leader palestinien à Abdelmadjid Tebboune à l’occasion de son «investiture» pour un deuxième mandat à la présidence de l’Algérie. De quoi faire la Une des journaux en d’autres circonstances. Mais là, le silence était assourdissant.
Ce sont les médias internationaux qui ont brisé le «tabou» en relayant la communication. L’agence de presse française AFP, reprise par les principaux titres français, a ainsi rapporté que le chef politique du Hamas a félicité le président algérien après sa réélection, louant «le rôle de l’Algérie aux côtés du peuple palestinien dans la défense de ses droits dans les forums internationaux». Annonce en a été faite le mardi 10 septembre par le mouvement islamiste. Le tout est de savoir de quel rôle il s’agit. Dans son message à Tebboune, Yahya Sinouar a salué «la confiance renouvelée du peuple algérien en lui pour diriger le pays, souhaitant que Dieu lui accorde succès et assistance au service de l’Algérie et de son peuple». Il est vrai que quand on a été «élu» avec à peu près 10% du corps électoral, la «confiance» est vraiment le mot. Et par «forums internationaux», Sinouar fait sans doute allusion au Conseil de sécurité de l’ONU, dont l’Algérie est membre non permanent. Tout ce que le Hamas lui doit, notamment quelques projets de résolution réclamant un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, est resté lettre morte. Qu’à cela ne tienne, pour faire semblant, les gesticulations suffisent.
La vraie moralité, c’est que Tebboune et Sinouar entretiennent des contacts réguliers et directs et que les rapports entre les deux hommes sont on ne peut plus cordiaux. Ils sont par ailleurs authentifiés par Israël, la chaîne i24news ayant confirmé l’existence d’échanges via la messagerie Telegram entre Yahya Sinouar et Abdelmadjid Tebboune. On peut bien spéculer sur la teneur de ces échanges.
De quoi entretenir le mythe, nourri dans les médias algériens et en public, que le régime d’Alger refuse toute normalisation, contact, rapprochement ou lien avec l’ennemi «sioniste». À la différence près que les relais du «Système» n’ont nullement été activés cette fois-ci et que «l’info» a fuité ailleurs et autrement. La raison? Elle tient au fait que pendant ce temps, le régime d’Alger semble changer son fusil d’épaule. Une volte-face dont il a le secret, les intérêts immédiats et les humeurs du jour servant de seule boussole à un pouvoir sans stratégie ni agenda. Avancer à hue et à dia fait donc partie de l’ADN du duo Chengriha-Tebboune.
Preuve en est que le gouvernement algérien a signé, au début du mois de septembre, un contrat de lobbying avec un cabinet américain considéré comme très proche… de l’État d’Israël. Génial, non? Il s’agit du cabinet BGR Group, qui entretient de nombreux liens avec Tel-Aviv, et que le régime d’Alger a engagé moyennant quelque 720.000 dollars (sans compter les substantiels frais annexes), dans l’objectif de soigner son image et de promouvoir ses intérêts auprès des autorités américaines. Très officiel, le contrat a été conclu par l’intermédiaire de l’ambassadeur algérien à Washington, Sabri Boukadoum, ancien ministre des Affaires étrangères (de 2019 à 2021), en poste à Washington depuis octobre 2023.
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Mieux, le document est enregistré auprès du Foreign Agents Registration Act, conformément à la loi américaine sur les contrats liant des cabinets de lobbying à des États. Et selon son contenu, BGR Group «fournira des services d’affaires gouvernementales et de relations publiques pour le compte du client en ce qui concerne les relations bilatérales entre les États-Unis et l’Algérie». Ce contrat sera piloté par Scott Eisner, ex-président de l’U.S. Africa Business Center (USAfBC) à la Chambre de commerce des États-Unis.
Le plus amusant dans le choix du régime d’Alger est que BGR Group est connu pour ses liens avec Israël ou avec des entités israéliennes. Parmi les conseilleurs principaux de ce cabinet figure d’ailleurs Ehud Barak, ancien Premier ministre d’Israël (de 1999 à 2001), ancien ministre de la Défense et ex-chef d’état-major général de Tsahal, la même armée israélienne que le régime d’Alger fustige en interne. Soldat le plus décoré de l’histoire d’Israël, Ehud Barak est membre du conseil d’experts et de conseillers de BGR Group, lequel ne cache d’ailleurs nullement son soutien à Israël depuis le début de la guerre à Gaza et maintenant au Liban.
Nous sommes de toute évidence à l’opposé du narratif algérien sur «la défense de la cause palestinienne». Quand il s’agit de ses (vrais) intérêts, le régime d’Alger n’hésite pas à s’allier discrètement à ceux qu’il qualifie officiellement de diables en personne. Si la cohérence n’est pas vraiment le propre d’un «Système» devenu hystérique et incapable de maintenir un cap, la politique de la chose et son contraire ne fait que le décrédibiliser davantage. Au point que même les alliés naguère proches de l’Algérie se sont détournés d’un régime manifestement irrationnel.