Après avoir chanté l’amour, la fraternité et la nostalgie de son pays, Cheb Khaled, le King du raï, se retrouve impliqué par la justice de son pays dans une affaire farfelue, où il n’a plus remis les pieds depuis 2018. Selon Abdou Semmar, journaliste algérien établi en France, le célèbre chanteur serait accusé par la justice algérienne d’espionnage au profit d’une puissance ennemie: le Maroc.
En effet, poursuit le fondateur d’Algériepart, Cheb Khaled s’est vu remettre le 18 octobre, par le biais de l’avocat de sa maison de disques en France, une notification émanant du tribunal de Bir Mourad Raïs à Alger l’inculpant officiellement dans un dossier d’espionnage.
Qu’est-il reproché concrètement au King du raï?
Selon les informations récoltées lors de ses investigations par Abdou Semmar, le tribunal militaire de Blida aurait transmis au tribunal civil de Bir Mourad Raïs un dossier «accablant» contenant de graves accusations contre Cheb Khaled, aujourd’hui âgé de 64 ans et résidant au Luxembourg.
Celui-ci serait soupçonné et accusé d’actes d’espionnage dans le but de transmettre des informations sensibles et classées «Secret défense» en Algérie aux autorités marocaines, avec la complicité de Toufik Bennacer et son frère Boualem, deux enfants d’un haut gradé de l’armée algérienne, décédé. Comment les services secrets algériens en sont-ils arrivés à de telles conclusions?
Tout commence lorsqu’une perquisition est menée au domicile de Boualem Bennacer en Algérie, à la cité militaire de Bouzariâa, en septembre dernier. Les enquêteurs de la Direction centrale de la sécurité de l’armée (DCSA) y découvrent un album photo où sur quelques clichés, les deux frères honnis de l’institution militaire algérienne et de Said Chengriha en particulier, posent à côté de Cheb Khaled.
Cheb Khaled et les frères Bennacer, bêtes noires du régime algérien
Pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire au scénario cousu de fil blanc, il convient de s’intéresser à l’affaire des frères Bennacer, Boualem, Nacer et Taoufik, devenus les bêtes noires de Said Chengriha et de l’institution militaire en Algérie. Fils du défunt général Larbi Bennacer, ancien patron de la justice miliaire, Boualem et son frère Nacer sont incarcérés depuis mai 2024 tandis que Taoufik fait l’objet d’une demande d’extradition par l’Algérie à la France.
Boualem Bennacer, officier de la Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure, ancien consul à Alicante en Espagne, a été accusé –lors d’un procès où il comparaissait normalement en tant que témoin– de complot contre l’État.
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Son frère Nacer, officier de la police judiciaire à Alger, a lui aussi été incarcéré en mai 2024 à la prison militaire de Blida, dans le cadre de ce supposé scandale d’atteinte à la sécurité de l’État et au fonctionnement des services de sécurité. Dans le sillage de cette affaire, leur troisième frère Toufik, qui s’est enfui en France, a publié une série de vidéos explosives sur YouTube dans lesquelles il accuse le général Said Chengriha de corruption, abus de pouvoir, complots et manipulations, alimentant une énorme controverse en Algérie. Pour la première fois, le fils d’une sommité de l’institution miliaire s’est publiquement attaqué au chef d’état-major de l’armée algérienne qu’il accuse de persécuter sa famille. Devenu un véritable phénomène sur les réseaux sociaux, le lanceur d’alerte est aujourd’hui inculpé par la justice algérienne de crimes liés à la sécurité nationale et au même titre que ses frères, «de propagande, de déstabilisation médiatique contre des hauts responsables de l’État algérien, de l’état-major et des services secrets algériens, de complot contre l’État ou encore de dénigrement des institutions de l’État et d’outrage», énumère Abdou Semmar.
La présence de Cheb Khaled aux côtés de deux des frères Bennacer sur des photos aurait donc été à l’origine de ces accusations d’espionnage contre le roi du raï, car à ce jour, aucune autre «preuve» n’a été apportée. Quand on sait que Khaled prend des photos avec ses centaines de milliers de fans, il y a effectivement de quoi devenir hilare sur la nature de la pièce à conviction du régime d’Alger.
Les amitiés «dangereuses» de Cheb Khaled
Pour remettre dans son contexte cette histoire, le journaliste Abdou Semmar remonte aux origines de l’amitié qui lie Cheb Khaled aux frères Bennacer. La première rencontre entre le chanteur et Boualem Bennacer remonte en 2013, alors que ce dernier était chef du bureau de sécurité au consulat d’Algérie à Bobigny, en Ile-de-France, précisément là où Cheb Khaled a fait sa demande de carte consulaire.
Selon le journaliste, les deux hommes se seraient liés d’amitié dans le cadre de la campagne présidentielle pour le 4ème mandat de Bouteflika, entre 2013 et 2014, à laquelle Cheb Khaled, fervent partisan de Bouteflika, a participé en réalisant un clip en soutien au président algérien, dans lequel il voyait le sauveur du pays contre l’islamisme et un partisan de la paix.
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Boualem Bennacer a participé à cette opération de parrainage en étant l’un des interlocuteurs de Cheb Khaled au sein des services secrets algériens. En somme, rien de contraire à l’intérêt national, résume Abdou Semmar qui après avoir interviewé Taoufik Bennacer, confirme que l’homme d’affaires a lui aussi été cité dans ce dossier, en raison de sa présence sur ces photos incriminantes.
Pourquoi le Maroc est-il cité dans cette affaire?
Mais quel est le rapport entre le Maroc, Boualem et Toufik Bennacer, et Cheb Khaled? Par quel scénario abracadabrant ceux-ci font-ils l’objet de soupçons de pratiques d’espionnage au profit de parties liées à l’État marocain? «Comment Cheb Khaled aurait-il pu espionner l’Algérie au profit du Maroc alors qu’il était partisan du régime de Bouteflika?», s’interroge Abdou Semmar. «Quelles informations les deux frères auraient-ils pu donner à Cheb Khaled?», poursuit-il. «Dire au Maroc que Bouteflika était malade? Cela tout le monde le savait», ironise le journaliste.
La seule raison plausible selon l’investigateur est à chercher du côté de la nationalité marocaine qu’il a acquise en 2013 par décret royal, chose qui lui a valu de s’attirer les foudres du régime algérien, et du président Tebboune, au point de devenir persona non grata dans son pays.
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Avec cette nouvelle affaire rocambolesque, le journaliste exilé en France voit encore une fois une tentative du régime algérien de vouloir accuser le Maroc de tous les maux possibles et imaginables, quitte à mener une véritable chasse aux sorcières à l’encontre de ses ressortissants à travers le monde, aussi célèbres soient-ils.
Aujourd’hui, Cheb Khaled est donc recherché par la Justice algérienne qui veut l’auditionner, l’inculper et le mettre en examen au risque de l’incarcérer. Que se passera-t-il si Cheb Khaled ne répond pas à cette citation à comparaître? L’appareil judiciaire algérien ira-t-il jusqu’à lancer un mandat d’arrêt international contre le King du raï? La suite de cette nouvelle saga d’un régime extravagant et outrancier promet bien des rires.