«La France, tu l’aimes mais tu la quittes», l’ouvrage nécessaire qui fait mal à la France

Zineb Ibnouzahir.

Zineb Ibnouzahir. Le360

ChroniqueC’est dans l’exil que la plupart d’entre eux expliquent avoir trouvé un «droit à la différence» et un accès à cette ascension sociale qui leur est refusée en France, malgré leurs diplômes.

Le 12/05/2024 à 12h59

Depuis le 26 avril, la parution de l’ouvrage collectif «La France, tu l’aimes mais tu la quittes», aux éditions du Seuil, attise les passions et les tensions dans les médias de l’Hexagone.

Dans les pages de ce livre se succèdent les témoignages de Mourad, Samira, ou encore Karim, qui ont pour point commun d’être nés et d’avoir grandi en France, d’être musulmans, d’être diplômés de l’enseignement supérieur, mais d’avoir pourtant choisi de quitter leur pays pour d’autres horizons. Autre point commun entre eux, les motivations qui les ont poussés à partir. Ils témoignent, de façon inquiétante, de la discrimination dont ils font l’objet sur le marché de l’emploi, de la stigmatisation en raison de leur religion, de leurs noms ou de leurs origines, comme autant de freins à leur ascension sociale. C’est dans l’exil que la plupart d’entre eux expliquent avoir trouvé un «droit à la différence» et un accès à cette ascension sociale qui leur est refusée en France, malgré leurs diplômes.

Parmi les témoignages marquants de ce livre dont le titre est un clin d’œil au slogan du Front national «la France tu l’aimes ou tu la quittes», celui de Ilham, d’origine marocaine, voilée, qui après son parcours en médecine, caractérisé par le rejet dont elle fait l’objet de la part des autres étudiants, ne parvient pas à trouver un emploi dans un hôpital. Avec son mari, qui termine une thèse de biochimie, elle décide de s’installer en Espagne, à Saragosse, où elle revit littéralement. «Moi, en Espagne, je me suis sentie revivre. On est à la porte de la France. Il n’y a qu’une chaine de montagnes qui nous sépare, mais c’est une autre mentalité», témoigne-t-elle.

Autre témoignage édifiant, celui de Abdel, aujourd’hui directeur financier à l’étranger. «En France, j’ai envoyé 70 CV, personne ne m’a répondu. J’ai passé la frontière au Luxembourg, j’ai déposé 3 CV, et j’ai eu 3 entretiens».

Selon les trois auteurs, 68% des personnes interrogées auraient quitté la France à cause de l’islamophobie. Un constat basé sur 140 entretiens approfondis, 1.070 personnes interrogées via un questionnaire. Pour construire leur enquête, les trois auteurs ont planché de 2011 à 2023. C’est dire «le sérieux» de la démarche, relève Jean-Michel Apathie dans l’émission «Quotidien», diffusée sur TMC, qui fait partie des rares à saluer cette enquête.

En effet, la sortie de cet ouvrage s’est accompagnée d’une véritable levée de boucliers dans les médias en France. On refuse à cette enquête sociologique sans précédent toute crédibilité et on réfute en bloc ce qu’elle met en lumière: un «phénomène qui travaille la société française à bas bruit». Quand les trois auteurs déclarent que «ce n’est pas seulement une fuite des cerveaux que l’ouvrage documente», mais que «se révèlent en creux les effets délétères de l’islamophobie qui, vus d’ailleurs, semblent bel et bien constituer une exception française», on crie au scandale et on les jette en pâture.

On préfère décrédibiliser les trois auteurs de l’enquête, pourtant auréolés d’expertises. Alice Picard est enseignante agrégée de sciences économiques et sociales et chercheuse associée au laboratoire Arènes; Julien Talpin est directeur de recherche au CNRS (Ceraps, université de Lille), spécialiste du racisme et de l’engagement dans les quartiers populaires. Quant à Olivier Esteves, il est professeur des universités (université de Lille), spécialiste du monde anglophone, de l’ethnicité et de l’immigration.

Sur Cnews, on dénonce ainsi «la méthodologie, les omissions et la partialité dont ferait preuve le livre-enquête» ou pire encore, dans les colonnes de Marianne, on critique vertement «une grossière opération victimaire de dénigrement d’une France perçue comme islamophobe, à base de mauvaise foi voire de malhonnêteté intellectuelle par un auteur proche de l’islam des Frères musulmans».

Ce qu’on reproche à Julien Talpin, car c’est de lui qu’il est question, est son soutien aux femmes qui souhaitent porter un burkini ou aux hijabeuses dans le monde du football. Dans ce même magazine, l’écrivain et essayiste laïc Naëm Bestandj explique ainsi que «l’islamophobie est, comme la sémantique l’indique, la peur de l’islam. L’exprimer, critiquer, déclarer ne pas aimer cette religion, la caricaturer ou s’en moquer relève de la liberté d’expression, tout comme l’islamophilie». Ce même auteur soutient également que «le concept d’islamophobie va encore plus loin puisqu’il vise à faire de l’offense à cette religion une forme de racisme».

On pourrait donc être islamophobe sans être raciste? Pas sûr que la subtilité de la nuance soit perçue par tous, d’autant quand on pratique la politique de deux poids deux mesures.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 12/05/2024 à 12h59