Dans un récent article publié le 22 septembre sur Bloomberg, intitulé «US Worries Deepen as Adversaries Team Up to Challenge Dominance», les auteurs tentent d’analyser la montée en puissance des BRICS et la perte d’influence avérée des États-Unis sur le monde non occidental.
Déjà, s’il y a bien un média financier qu’on ne peut suspecter d’une quelconque sympathie pour la Russie ou la Chine, c’est bien Bloomberg. Donc, si eux le disent et l’admettent, c’est qu’il faut sérieusement prendre au sérieux cette dynamique.
Ainsi, après l’adhésion de 4 nouveaux membres (Égypte, Iran, Éthiopie, Émirats arabes unis et Arabie saoudite), les auteurs ne peuvent que faire le constat suivant: «D’autres pays postulent pour rejoindre un groupe qui appelle explicitement à la création d’un centre d’influence mondial alternatif, y compris des rivaux à la domination du dollar américain. Les pays en dehors des sphères d’influence des États-Unis et de leurs rivaux voient ce nouveau centre de pouvoir émerger. Cela contribue probablement à leur décision de rester entre les deux pôles, contribuant ainsi à une multipolarité dans le monde».
Effectivement, des pays considérés traditionnellement comme des alliés, voire pour certains des vassaux de Washington, ont décidé de se soustraire à la tutelle de leur allié, en choisissant une nouvelle option stratégique, les BRICS, sans pour autant rompre avec leur ancrage stratégique traditionnel, l’Occident, plus précisément les États-Unis.
D’autant plus qu’il y a quelques jours, la Turquie, qui rappelons-le est membre de l’OTAN, a clairement formulé le souhait de rejoindre les BRICS. Ankara cherche en effet depuis au moins 20 ans à développer toutes les pistes stratégiques dont elle a hérité, ou qu’elle a développées. Cela va de la tentative d’adhésion ratée à l’Union européenne à la création de l’Organisation des États turciques, qui regroupe la Turquie, l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan et la Hongrie en tant que membre observateur en 2009, en passant par le maintien dans l’OTAN -malgré les tensions avec Washington depuis le coup d’État manqué de 2016, le développement de sa zone d’influence historique (la Méditerranée Orientale), à travers la Libye et la guerre civile syrienne, son implantation sur le continent africain et, enfin, son désir d’intégrer l’Organisation de Coopération de Shanghaï et plus récemment les BRICS.
Comme dit le proverbe marocain: «Celui qui n’a qu’une porte, puisse Dieu la lui refermer».
Tous ces pays ont en effet compris qu’il s’agit là des esquisses d’un nouveau «centre d’influence mondial alternatif», comme le nomment les auteurs de l’article de Bloomberg. Et comme toute alternative, ce nouvel ancrage permet de nouveaux arbitrages géopolitique et géoéconomique, de nature à renforcer la souveraineté de ces pays, qui tentent de s’extirper de l’hégémonie américaine, sans pour autant rompre avec le pôle de puissance occidental.
Mais qu’en est-il du Maroc? A-t-il intérêt à rejoindre un jour les BRICS?
Ma réponse serait un oui catégorique, à condition d’adopter une approche par certains aspects comparable à celle de la Turquie. C’est-à-dire: pas d’exclusivité stratégique, mais une diversification que le Maroc a déjà entamée de manière active à partir de 2015-2016. Car les BRICS ne représentent pas ouvertement une alliance anti-américaine ou anti-occidentale. Il ne s’agit ni du Pacte de Varsovie ni d’une Internationale communiste. Ce n’est même pas une alliance militaire à l’instar de l’OTAN, ni un espace économique commun comme l’Union européenne. Mais cela pourrait, dans un avenir relativement lointain, devenir l’une comme l’autre.
«Rejoindre les BRICS, c’est aussi pour le Maroc une manière d’accéder au plus grand marché du monde, ainsi qu’à des mécanismes de financement moins invasifs que ceux des institutions financières occidentales.»
En attendant, si l’on devait absolument trouver un exemple plus au moins similaire, on comparera dans ce cas les BRICS au G7. Un sommet annuel qui permet à des États partageant des défis et des intérêts communs de coordonner leurs actions et de renforcer leurs partenariats.
Mais il est vrai que les BRICS sont allés plus loin, en créant un équivalent autant de la Banque Mondiale que du FMI, sans parler de leur projet de création d’une monnaie commune, capable de rivaliser avec le dollar américain.
Ainsi, rejoindre les BRICS, c’est aussi pour le Maroc une manière d’accéder au plus grand marché du monde, ainsi qu’à des mécanismes de financement moins invasifs que ceux des institutions financières occidentales. Car il est vrai que les BRICS adoptent une approche réaliste, dénuée de toute idéologie, qui par conséquent ne s’ingère aucunement dans la politique intérieure des pays membres. Pour eux, charbonnier est maître chez soi, comme dit l’adage.
Il en résulte qu’une éventuelle volonté du Maroc de rejoindre les BRICS ne pourra être perçue comme un défi ou une rupture avec nos partenaires occidentaux, mais comme la suite logique de notre politique de diversification stratégique, qui porte ses fruits année après année. Mais au-delà d’une simple diversification, il s’agit avant tout de positionner le Maroc dans le monde multipolaire qui se dessine jour après jour devant nous, avec un rythme accéléré depuis 2022.
Mais la question qui fâche est: le Maroc possède-t-il les prérequis pour une telle adhésion? Car rappelons qu’à l’origine, cette structure devait regrouper des pays dits «émergents». C’est-à-dire des pays caractérisés par une très forte dynamique de croissance économique et de rattrapage industriel et technologique.
Disons que sur ce point, c’est mal parti pour nous, avec nos maigres 3% de croissance du PIB et les problèmes structurels que nous traînons derrière nous comme des casseroles.
Mais la donne semble avoir changé avec l’adhésion des quatre nouveaux membres, car ni l’Iran, ni l’Égypte ne brille par leur croissance et leurs fondamentaux économiques.
Ainsi, cette récente ouverture des BRICS à de nouveaux membres indique qu’il s’agit désormais aussi d’un espace économique et diplomatique, qui vise à regrouper tous les pays qui veulent renforcer leur souveraineté et réformer un ordre mondial dominé par l’Occident depuis le début des années 1990.
Et de ce point de vue, le Maroc pourrait y avoir toute sa place.