Liberté pour l’otage Sansal, à tout prix!

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueAprès quatre mois de détention arbitraire, et à l’issue d’un procès de pacotille, les verdicts sont tombés: tant la condamnation de Boualem Sansal -à 5 ans d’emprisonnement- que son statut d’otage de la relation franco-algérienne, écartent toute hypothèse de libération inconditionnelle.

Le 29/03/2025 à 11h00

On prédisait la perpétuité, on craignait la disparition de Sansal avant même qu’il soit jugé… À l’issue d’une instruction bâclée, sans qu’il puisse bénéficier d’aucun des droits élémentaires de la défense, l’écrivain a comparu pour s’entendre prononcer une sentence sans commune mesure avec les charges qui pesaient contre lui. Évidemment, cinq ans de prison ferme à quatre-vingts ans, c’est invivable. Mais cette condamnation, dans ce calendrier, dans les circonstances politiques du moment, dit surtout que Boualem Sansal n’est pas simplement un écrivain emprisonné pour ses idées, mais qu’il est un otage, détenu en gage, en attendant l’exécution d’un accord.

Un otage, selon la définition qu’en donne la convention internationale contre la prise d’otage, dans son article premier: «L’action de s’emparer d’une personne ou de la détenir et de menacer de la tuer, de la blesser ou de continuer à la détenir afin de contraindre une tierce partie, à savoir un État, une organisation internationale intergouvernementale, une personne physique ou morale ou un groupe de personnes, à accomplir un acte quelconque ou à s’en abstenir en tant que condition explicite ou implicite de la libération de l’otage.»

Les prises d’otages ont émaillé l’histoire des grandes puissances, et cet outil «diplomatique» est aujourd’hui largement partagé dans le monde. On garde tous en mémoire des visages, des lieux, parfois un nom -on se souvient des naïfs, des imprudents; de ceux capturés en mission, journalistes ou humanitaires, simples touristes ou expatriés… Mais le caractère commun à tous les otages, c’est d’être innocents. En l’espèce, qu’importe la naïveté ou l’imprudence du romancier -«depuis le temps, ils me prennent pour un vieux fou. Ils me laissent tranquille», disait Sansal à ses amis avant de décoller pour Alger à l’automne dernier. Qu’importe les raisons invoquées par ses ravisseurs pour sa capture et sa détention: son œuvre, ses interviews aux médias européens, le choix de son avocat ou de ses amitiés de l’autre côté de la Méditerranée… Autant d’éléments qui apprécient la cote d’un vieil homme, innocent, citoyen français devenu monnaie d’échange dans une crise diplomatique majeure entre la France et l’Algérie -et dont la libération dépend aujourd’hui de l’accord passé entre les deux présidents.

«De fait, hélas, les incantations des amis de Boualem Sansal, réclamant une libération inconditionnelle de l’écrivain, sont éminemment sympathiques, mais vaines.»

Négociation, libération par la force ou sacrifice… chaque État a sa propre politique de l’otage. La France appartient plutôt à la première catégorie, et sur le marché de la prise d’otage, elle jouit plutôt d’une réputation de bon client. Qui dit otage dit conditions. De fait, hélas, les incantations des amis de Sansal, réclamant une libération inconditionnelle de l’écrivain, sont éminemment sympathiques, mais vaines. Comme le sont les plaintes des pleureuses, ralliées au soir du verdict, réclamant humanité pour un écrivain âgé et malade, les mêmes refusant depuis des mois tout chantage contre le régime algérien.

Qui dit otage dit négociation -avec en prime, au sein de l’exécutif français, les affres de la cohabitation et le choc des cultures politiques… Riposte graduée, Iftar à la Grande Mosquée de Paris; lui c’est lui, moi c’est moi: mais qui fait quoi? Le 26 février dernier, le gouvernement français enclenchait un ultimatum «d’un mois à six semaines», exigeant d’Alger la libération de Sansal et la réadmission, sur le sol algérien, d’une liste d’urgence de ressortissants jugés dangereux, vivant en France de manière illégale. À défaut? On allait voir ce qu’on allait voir… Et on a vu! Dans l’ordre, le président Macron dégonfler la menace brandie par ses ministres, les Algériens expulsés revenir en France, le réquisitoire du parquet de Dar El Beida, puis le président Tebboune, à la télévision nationale, évoquer, en français et d’un ton patelin, un «moment d’incompréhension» avec son homologue français, dans des relations alternant le «sirocco» et le froid (et admettre, in fine, dans cet entretien télévisé, l’irréversibilité des positions françaises sur la marocanité du Sahara). Un mois pile, donc, conclu par la condamnation du vieil écrivain. On reste dans les temps, pour que le compte à rebours s’achève définitivement… sur une amnistie et la libération de Boualem Sansal.

À quel prix? A minima, en remisant le chantier sur les accords de 1968 et les avantages exorbitants offerts aux Algériens en France. Si le romancier francophone est heureusement libéré, sur grâce présidentielle, dans les prochaines semaines, la France, «patrie littéraire», aura sauvé l’un des siens. Mais elle aura perdu beaucoup: non seulement sur la scène régionale, dans l’équilibre toujours fragile entre la vie d’un otage et la détermination politique, mais aussi parce la politique intérieure française restera otage de «l’affaire Sansal».

Par Florence Kuntz
Le 29/03/2025 à 11h00

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