Trois jours après la mort du jeune Nahel, 17 ans, tué par un policier lors d’un contrôle routier, le ministère algérien des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l’étranger s’est fendu d’un communiqué repris par l’agence officielle APS, le 29 juin, disant avoir «appris avec choc et consternation la disparition brutale et tragique du jeune Nahel et des circonstances particulièrement troublantes et préoccupantes dans lesquelles elle est intervenue».
Du fait de la double nationalité franco-algérienne de la victime, ledit ministère a assuré la famille «que son deuil et sa peine sont largement partagés dans (le) pays», alors que devant la préfecture de Nanterre, au même moment, était organisée une marche blanche appelant à ce que justice soit faite.
Un communiqué perçu comme une ingérence intolérable
Dans ce communiqué, qui a fait grincer des dents en France, le ministère algérien dit faire «confiance au gouvernement français à assumer pleinement son devoir de protection, soucieux de la quiétude et de la sécurité dont doivent bénéficier nos ressortissants sur leur terre d’accueil». Et de conclure en prévenant que «le gouvernement algérien continue à suivre avec une très grande attention les développements de cette affaire tragique, avec le souci constant d’être aux côtés des membres de sa communauté nationale au moment de l’adversité et de l’épreuve».
En France, ce communiqué est perçu comme une ingérence intolérable, d’autant que la présence de nombreux drapeaux algériens lors de la marche blanche en hommage à la victime a suscité l’incompréhension, mais aussi l’indignation face à un acte évident de récupération politique. Preuve en est également la présence de drapeaux du Polisario pendant cette marche censée être pacifiste et apolitique.
Par ailleurs, la présence lors de cette marche de porte-voix de la junte militaire algérienne, à l’instar de Sofia Benlemmane, atteste également de la récupération politique en cours. Grande habituée de discours antisémites et anti-marocains, celle-ci n’a pas manqué de s’en prendre aux «sionistes» qui auraient brûlé des drapeaux français lors de la marche en essayant d’incriminer… les Algériens.
Pour rappel, Sofia Benlemmane s’était notamment illustrée lors d’un sit-in de soutien au régime algérien, organisé le 19 mars 2023 à Paris, qui s’était rapidement transformé en manifestation contre le Maroc et son Souverain, dans le cadre duquel des pancartes et des slogans haineux à l’encontre du Maroc ont occupé le devant de la scène.
Sur les réseaux sociaux, le communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères a suscité de vives réactions, notamment du côté des élus locaux et membres de partis politiques, à commencer par Marion Maréchal Lepen, Vice-présidente exécutive du parti Reconquête fondé par le polémiste Éric Zemmour, qui invite «le gouvernement algérien à s’occuper de ses affaires».
Grégoire Laloux, président du Groupe Rassemblement National au Conseil municipal de Metz, dénonce de son côté «un cas typique d’ingérence» et invite également l’Algérie à s’occuper de ses affaires.
Comme il fallait s’y attendre, en réponse à ce type de récupération politique, la réaction de la droite française s’est aussi exprimée par la voix d’Amaury Navarranne, Conseiller régional de Provences-Alpes-Côtes-d’Azur (RN), lequel décrète que «le gouvernement algérien doit, avec insistance, inviter tous ses ressortissants à retourner vivre en Algérie».
L’ancien conseiller municipal de Moissac, Patrice Charles, estime quant à lui que «l’ingérence de l’Algérie est intolérable dans les affaires intérieures françaises» et appelle au «renvoi de son ambassadeur et de tous les provocateurs algériens», seule réponse selon lui «à cette déclaration de Tartuffe».
Outre ces réactions officielles, la toile française a réagi avec indignation à ce communiqué. L’expert en économie internationale et géopolitique africaine Louis Vallet ironise: «Heureusement la France n’a pas pris modèle sur les répressions du Hirak ou des Amazighs par l’État policier algérien dans la gestion des émeutes».
La publication de ce communiqué par le ministère des Affaires étrangères algérien est loin d’être anodine, et ne saurait être interprétée autrement que comme une provocation de plus de l’Algérie à l’égard de la France, le régime algérien n’étant pas coutumier de ce genre de sorties officielles pour «défendre» ses ressortissants.
Cette prise de position dangereuse, qui pourrait davantage exacerber les passions dans une France en proie à une véritable fracture sociale, intervient par ailleurs quelques semaines à peine après que le président Abdelmadjid Tebboune a rétabli par décret un couplet anti-français dans l’hymne national algérien, et a préféré se rendre en Russie alors même qu’un communiqué de la présidence algérienne a annoncé en mai dernier une visite officielle de Tebboune en France «pendant la mi-juin».
Instrumentaliser la communauté algérienne
Jusqu’où le régime algérien est-il prêt à aller dans cette escalade avec la France? Une question qui a lieu de se poser, car en faisant valoir la double-nationalité de la victime dans une affaire franco-française, le régime algérien brandit la carte du communautarisme, jouant littéralement avec des allumettes dans une France devenue une véritable poudrière, et semble prêt à instrumentaliser les Algériens qui constituent la première communauté étrangère en France, avec quelque 900.000 personnes.
Une chose est sûre, cette récupération politique risque fort de donner du grain à moudre aux partisans, de plus en plus nombreux en France, d’une révision de l’accord franco-algérien de 1968 sur l’immigration, qui régit les conditions d’entrée et de séjour des Algériens en France.