Dans un système politique sain, les rivalités, tensions et autres antagonismes politiques constituent la norme et l’expression d’une dynamique interne qui reflètent la pluralité des courants, des causes et des valeurs qui traversent la société. Et si certains ont tendance à se plaindre de ce climat de rivalité parfois anxiogène, il faudrait bien au contraire s’en réjouir. Car un silence peut être ô combien plus anxiogène qu’un vacarme politique ou électoral.
Et au Maroc, nous en savons quelque chose, puisque depuis les dernières législatives de 2021 et la victoire écrasante des trois partis qui constituent actuellement la majorité, l’encéphalogramme de notre champ politique semble totalement plat. Surtout celui de l’opposition ou de ce qui est appelé comme tel.
Du point de vue scientifique, «un électroencéphalogramme plat est synonyme d’un cerveau éteint d’un point de vue fonctionnel, c’est-à-dire à la fois privé d’activité endogène et incapable de traiter des informations issues de l’environnement». Cette définition semble parfaitement correspondre à la réalité de notre champ politique qui, malgré quelques petites esbroufes et autres confrontations verbales, ne semble jusqu’à présent indiquer aucun signe de vie politique, et encore moins intellectuelle.
Certes, en tenant compte de la réalité des rapports de force objectifs, issus des dernières élections législatives, il est certain que sur le plan quantitatif, l’opposition politique ne peut pas faire grand-chose. Mais sur le plan qualitatif, beaucoup de choses demeurent possibles, voire indispensables.
Car à part pousser des cris d’orfraie ou jouer aux inspecteurs des travaux finis, l’opposition doit avant tout s’opposer, comme son nom l’indique. Mais s’opposer en amont et non en aval. S’opposer de manière constructive et pointer du doigt, lors des discussions parlementaires, les dysfonctionnements et les risques relatifs aux textes de loi avant qu’elles n’entrent en vigueur.
Les critiques a posteriori sont certes vitales pour maintenir la pression sur la majorité. Mais elles n’ont de sens et de légitimité que dans la mesure où elles prolongent celles formulées en amont. Admettez qu’il n’y a rien de plus jouissif que de lancer: «Je vous l’avais bien dit!».
«Notre opposition est-elle capable de proposer des solutions, des idées, des réflexions? Autrement dit, un vrai programme politique et idéologique?»
Mais par-delà la critique constructive et le maintien de la pression sur une majorité par bien des aspects sourde et muette, l’opposition a-t-elle également d’autres missions à accomplir?
La réponse est bien entendu affirmative. Ce qu’on attend d’une réelle opposition, c’est d’être également une force de proposition. Mais est-elle seulement capable de proposer des solutions, des idées, des réflexions? Autrement dit, un vrai programme politique et idéologique? Et ma question s’adresse autant à l’aile gauche (PPS, USFP, PSU et FGD) de l’opposition qu’à l’aile droite ou du centre (MP, UC) ou encore conservatrice (PJD).
Les intellectuels, ou ce qu’il en reste, ont définitivement déserté les partis, et le champ est désormais ouvert aux discours creux, aux slogans et aux jérémiades de toutes sortes.
Mais sachez, comme nous l’apprend l’histoire, que la nature n’aime pas le vide. Car en politique comme en chimie, rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme.
Et venir après se plaindre des réseaux sociaux et de leurs critiques véhémentes du pouvoir politique, ou parfois de leur nihilisme, alors que le champ politique a cessé d’incarner la colère, les demandes et les aspirations du peuple, cela revient à nous plaindre des conséquences dont nous chérissons les causes.
Et pour reprendre le grand juriste allemand Carl Schmitt, la distinction entre l’ami et l’ennemi est ce qui fonde le politique. Si cet antagonisme profond déserte le champ du politique, cela ne veut aucunement dire qu’il se soit évaporé. Il s’est juste réfugié ailleurs, dans le monde des réseaux sociaux, comme une avant-dernière étape avant d’investir la rue et de balancer des pavés et des pierres, à la place des hashtags et des émoticônes.
Mais tout n’est pas perdu. Il revient à l’opposition, surtout celle de gauche dont c’est historiquement la tradition, de réinvestir ce champ, en se réinventant politiquement et intellectuellement, afin de pouvoir à nouveau incarner une alternative politique crédible, solide intellectuellement et en adéquation avec la réalité et les défis contemporains du Royaume.
En attendant, la majorité peut continuer à jouir d’une situation de quasi-impunité politique qui, sur le court terme, est certes agréable à vivre, mais qui, à long terme, pourrait causer sa chute en 2026.
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