Le déplacement était d’abord prévu les 2 et 3 mai derniers, mais il a été ajourné, au motif aussi officieux qu’invraisemblable que «la fête» serait gâchée par les manifestations du 1er mai en France, marquées alors par une levée de boucliers contre la réforme des retraites. Annoncée tambour battant pour la seconde moitié du mois de juin dernier, de manière unilatérale et par la présidence algérienne, la visite n’a finalement pas eu lieu. Le mois de juin est derrière nous et le président algérien ne s’est, non seulement, pas rendu en France comme il l’avait claironné dans un communiqué très officiel, mais aucune excuse, ni même un alibi, n’ont été non plus donnés pour justifier ce report. Ou cette annulation.
On s’en souvient, le dimanche 23 avril 2023, la présidence algérienne nous gratifiait d’un communiqué dans lequel elle annonçait que le président français Emmanuel Macron a échangé par téléphone avec son homologue Abdelmadjid Tebboune. Lors de cet entretien, les deux hommes ont «évoqué les relations bilatérales et les moyens de les renforcer, y compris la visite d’État du président de la République, en France, qu’ils ont convenu d’organiser dans la deuxième moitié du mois de juin», a précisé la présidence algérienne. Et d’assurer que «les équipes des deux pays poursuivent le travail pour en assurer le succès». Mieux, côté algérien, la visite s’annonçait «historique», avec tapis rouge, parade sur les Champs-Élysées, discours devant l’Assemblée nationale et visite des lieux les plus emblématiques de la capitale française.
On notera au passage le silence total de Paris à propos de cette visite sur laquelle aucun engagement officiel n’a été pris. C’est à peine si la presse française a repris le communiqué précité de la présidence algérienne.
Dans les faits, il n’en sera rien. Pendant ce temps, Abdelmadjid Tebboune s’est pavané à Moscou (la mi-juin), infligeant malgré lui un camouflet à Emmanuel Macron qui a fait le pari impossible de la normalisation des relations avec l’Algérie.
Donc, nous avons un communiqué de la présidence algérienne qui annonce une visite d’Etat de Tebboune en France au mois de juin. Le mois de juin s’écoule, Tebboune ne se rend pas à Paris. Et silence radio de la part de la présidence algérienne qui agit comme si le communiqué du 23 avril n’avait jamais existé.
Qu’aucune raison ne soit donnée, côté algérien, à ce «report», voilà qui en choque plus d’un et interroge sérieusement sur la valeur de la parole, actée par écrit dans un communiqué officiel, et des engagements pris par la présidence algérienne.
«En règle absolue, une visite d’un chef d’Etat dans un autre pays obéit à des règles. Elle est préparée longtemps à l’avance avec un programme défini et des rendez-vous précis. Une fois sa date de tenue rendue publique, elle engage toutes les parties concernées. Qu’une visite aussi symbolique soit ajournée sine die et sans explication, c’est tout simplement inédit. Une diplomatie digne de ce nom peut-elle se permettre le luxe de faillir à ses propres engagements? C’est impossible. Certes, des reports ou des annulations peuvent se produire, mais ils doivent systématiquement être justifiés (un cas de force majeure, une maladie, une évolution donnée dans les relations…). Nous sommes clairement dans la sphère de la gestion par l’humeur, de la réaction épidermique et de l’opportunisme étroit», explique Mohamed Bouden, politologue et président du Centre Atlas d’analyse des indicateurs politiques et institutionnels.
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Si la visite est de facto déclassée suite au voyage d’Abdelmadjid Tebboune à Moscou, aux prises avec l’Occident tout entier sur fond de guerre contre l’Ukraine, c’est également toute la crédibilité d’un président aux légendaires hésitations et réactions sanguines qui est désormais déconsidérée. Un président et un régime qui, on le sait, naviguent à vue au gré des humeurs et des actes pour le moins irréfléchis. Ne mesurant même pas l’impact d’un déplacement par ces temps à Moscou sur l’image de tout un pays, le sien, Abdelmadjid Tebboune tente actuellement de se rattraper. Il a dépêché son ministre des Affaires étrangères dans des capitales comme Berlin, tout comme il multiplie les communiqués, allégrement repris par l’agence officielle APS et des médias algériens sous la botte de la junte, annonçant notamment des échanges téléphoniques avec des chefs d’Etat européens. Une façon de dire qu’il prend toujours langue avec l’Occident.
On apprend que le président algérien s’est entretenu dimanche dernier avec le président de la République italienne, Sergio Mattarella, et a discuté d’une «éventuelle participation (…) à deux importantes rencontres prévues en juillet et en novembre en Italie». Le même jour, Abdelmadjid Tebboune affirmait également avoir eu un «échange téléphonique avec son homologue portugais, M. Marcelo Rebelo de Sousa», avec lequel il a convenu «d’une prochaine rencontre dont la date sera fixée ultérieurement». Ceci, alors qu’il vient de rentrer de Lisbonne. C’était en mai dernier, lors d’une visite dont les seuls faits marquants ont été une «cérémonie» de jet d’œufs sur sa voiture et «l’accueil» à coups de slogans hostiles et dégradants à sa sortie de la mairie de Lisbonne. Sur la visite avortée en France, le président algérien préfère recourir à un de ses exercices favoris: faire l’autruche.
«Que l’on ne s’y trompe pas. Ce déplacement n’avait nulle autre vocation que de redorer le blason de Tebboune. Il était destiné à de la consommation médiatique pour dire que l’Algérie pèse et qu’elle est respectée, notamment par l’ancienne puissance coloniale. Mais sa non-tenue, et de quelle manière!, entame sérieusement la crédibilité de l’Algérie sur la scène internationale», souligne Khalid Chiat, professeur en relations internationales à l’Université Mohammed 1er d’Oujda. A cet égard, et sur bien d’autres aspects, Abdelmadjid Tebboune dévitalise la fonction présidentielle. Les communiqués de la présidence algérienne sont des effets d’annonce, à peine dignes d’un candidat en campagne.