En Algérie, la crainte d’une reprise des manifestations antisystème du Hirak (2019-2021) reste la principale hantise de l’appareil politico-militaire en place, qui ne cesse de promulguer des lois de plus en plus liberticides, interdisant surtout toute possibilité de manifester dans la rue. Même pour la cause palestinienne, que le pouvoir a érigée en pierre angulaire de sa diplomatie –après évidemment le soutien au pseudopode «État sahraoui» –, toute manifestation populaire de soutien est bannie. L’on se rappelle que dès la première semaine du déclenchement de l’actuel embrasement meurtrier entre le Hamas et Israël dans la bande de Gaza, la junte algérienne a durement réprimé les tentatives de manifestations spontanées de soutien aux Palestiniens qui ont éclaté à Alger et dans d’autres villes du pays le 13 octobre 2023.
Mais face à l’exaspération de la rue exprimée à travers les réseaux sociaux ainsi que la pression des rares partis politiques et associations ayant survécu à la vague de dissolutions de ces quatre dernières années, multipliant les demandes d’autorisation de manifester, à l’instar de ce qui se passe au Maroc voisin et à travers le monde, le régime a été obligé de faire semblant de lâcher du lest. Il a ainsi organisé, le 19 octobre 2023, une manifestation où le gros de la troupe est formé de militaires en civil et leurs familles. Ce fut la première et dernière manifestation en Algérie en soutien à la Palestine. D’ailleurs, beaucoup d’Algériens avaient appelé sur les réseaux sociaux à boycotter cette manifestation théâtrale mise en scène par le pouvoir, et calquée à l’image du tournage d’un péplum.
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Malgré ce paradoxe qui donne à voir un pouvoir qui manifeste dans la rue à la place du peuple, la diplomatie algérienne s’érige, dans les rencontres internationales, en champion de la cause palestinienne dans le seul but de profiter de l’actuelle guerre à Gaza pour tenter de retourner certains pays contre le Maroc.
C’est cette manœuvre sournoise, faisant l’amalgame entre la Palestine et le Sahara marocain, dont vient de se rendre coupable l’ambassadeur algérien à l’ONU, Amar Benjama, qui lui a valu une réaction fracassante de l’ambassadeur, représentant permanent du Maroc auprès de l’ONU, Omar Hilale. Dans un droit de réponse, à l’issue du débat sur le Sahara marocain organisé par la Commission des 24 (C24 de l’ONU) à Caracas, du 14 au 16 mai courant, et auquel le diplomate algérien a assisté en tant qu’intrus, Omar Hilale n’a pas mâche ses mots.
«Vous vous targuez de défendre la Palestine au Conseil de sécurité, c’est votre rôle en tant que représentant des pays arabes au sein de cet organe, mais vous interdisez à votre peuple de manifester en faveur de la Palestine, parce que vous avez peur du peuple algérien quand il descend dans la rue. Contrairement à vous, les manifestations de soutien à la population palestinienne de Gaza ne connaissent aucune restriction au Royaume du Maroc», a-t-il répondu à son vis-à-vis algérien.
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Une façon de lui dire qu’au Maroc, pays qui a souverainement rétabli des relations diplomatiques avec l’État d’Israël, les hautes autorités du pays et le peuple sont sur la même longueur d’onde quant au soutien sans équivoque à la cause palestinienne, en faveur de laquelle des rassemblements sont autorisés.
Affolé par le nombre toujours croissant de pays, dont de nombreux poids lourds, soutenant la marocanité du Sahara, le régime d’Alger brandit aujourd’hui l’arme du «terrorisme diplomatique», comme l’a qualifiée Omar Hilale, qui a ouvertement dénoncé les méthodes de harcèlement utilisées par Amar Benjama, pour intimider et corrompre un pays membre du C24 en vue de le faire revenir sur son soutien à l’intégrité territoriale du Maroc.
«Votre pays vient de promulguer le code pénal le plus liberticide, qui permet la condamnation à 30 ans de prison de toute personne exprimant simplement son opinion et vous venez à Caracas donner des leçons sur l’autodétermination, la liberté et l’indépendance», lui a encore répondu Omar Hilale, dans une seconde réplique.
En Algérie, même le président Abdelmadjid Tebboune, dont la légitimité est contestée par la rue, voit sa liberté de mouvement entravée par la junte militaire. Il est ainsi interdit de déplacement à l’intérieur du pays, de crainte d’attroupements hostiles, voire de déclenchement spontané de manifestations anti-régime. En cinq ans de pouvoir, les visites de Tebboune en dehors de la wilaya d’Alger se comptent sur les doigts d’une seule main: Oran pour donner le coup d’envoi des derniers Jeux méditerranéens, Djelfa pour assister à des manœuvres militaires et inaugurer une station de dessalement d’eau de mer, et enfin Tindouf, où en deux allers-retours express en avion, il a visité une mine de fer, puis reçu son homologue mauritanien pour le lancement de l’improbable route Tindouf-Zouerate, une arlésienne promise depuis plus d’un demi-siècle, mais qui n’a toujours pas vu le jour.
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À chacune de ces brèves sorties présidentielles, les militaires en civil et leurs familles sont rameutés en vue de confectionner à Tebboune «un bain de foule» devant les caméras.
C’est ce régime ayant transformé l’Algérie en prison à ciel ouvert, de peur de la contestation populaire, qui a davantage renforcé l’arsenal liberticide à travers le nouveau code pénal entré en vigueur le 6 mai courant, et dont le nouvel article 96 rend quasiment impossible toute campagne électorale lors de la présidentielle du 7 septembre prochain.
Alors quand est-ce que «le champion du monde de la cause palestinienne» va-t-il autoriser le peuple à manifester dans la rue son soutien à la Palestine? Jamais! D’abord, parce que pour les vieillards séniles à la tête du régime, la cause palestinienne n’est qu’un expédient pour établir une analogie avec la «cause sahraouie». Ensuite, ce qui compte par-dessus tout pour ces caciques, c’est de se maintenir au pouvoir. Or, en dépit de la propagande forcenée, de la répression aveugle, des emprisonnements, l’appareil politico-militaire a peur du peuple. Une peur telle qu’il préfère devenir la risée du monde que d’autoriser une petite centaine de personnes à marcher dans la rue. Un pouvoir qui a peur du peuple ne peut pas durer.