Quand les islamistes sont arrivés au pouvoir, en 2011, ils représentaient une certaine modernité (dans le sens nouveauté). Mais oui. Le peuple qui a voté pour eux ne l’a pas forcément fait parce qu’il espérait être gouverné par la charia islamique. C’est une donne que beaucoup n’ont pas comprise. Ni à l’époque ni aujourd’hui. Y compris à l’intérieur du PJD…
En plein «printemps arabe», Monsieur Tout-le-Monde avait envie et besoin de nouveauté. Les islamistes représentaient cette nouveauté, cette virginité. Alors on a voté pour eux. On n’a pas voté pour leurs programmes ou leurs barbes, pourtant déjà bien fleuries à l’époque, mais pour la nouveauté que leurs profils «propres et immaculés» représentaient.
L’idée était de les «essayer», puisqu’ils n’avaient jamais trempé dans rien. Il y avait cette promesse d’intégrité ou d’honnêteté que leurs bonnes têtes pouvaient laisser espérer. Il y avait aussi, bien entendu, l’idée de sanctionner l’existant, c’est-à-dire le gouvernement et les partis sortants.
Mélangez tous ces ingrédients et vous obtenez les «Ikhwan» souriants au moment de la pose avec le Souverain, dans ce qu’on pourrait rétrospectivement appeler la deuxième alternance, après celle des socialistes avec le défunt roi Hassan II.
Et puis le temps est passé. Le temps, en politique, est élastique. C’est un accordéon. Tout peut aller extrêmement vite et tout peut s’arrêter pour ne plus redémarrer. Le temps en politique est cet instant T où les étoiles semblent s’aligner. C’est le moment. Un moment. Qui peut arriver alors que personne ne l’attend. Et qui peut disparaître à jamais et se faire attendre indéfiniment.
«Il y a deux paramètres que notre ami Benki ne doit pas oublier. Le premier, c’est qu’il ne représente plus ce monsieur propre et neuf qui a séduit les masses en 2011. Le deuxième, c’est que nul ne connaît les envies des votants de 2026.»
En 2011, en pleine tempête, il fallait incarner une rupture par rapport à l’existant pour espérer séduire les masses. Le PJD était le candidat idéal pour ce moment-là.
Passons sur les mandats de Benkirane et El Othmani. Passons aussi sur la particularité du système marocain sur lequel John Waterbury, avec son célèbre «Le Commandeur des croyants» (1975), avait déjà tout dit. Relisons-le et relisons aussi Rémy Leveau avec l’inégalable «Le Fellah marocain défenseur du trône» (1976) pour comprendre le système dans lequel on vit et dont les fondements, pour ne pas dire les fondamentaux, sont restés les mêmes depuis la publication de ces deux livres majeurs…
Revenons au présent. Le PJD d’aujourd’hui n’est pas celui de 2011. Le Maroc non plus. Les législatives arrivent dans quelques mois (septembre 2026, si tout va bien) et tous les partis sont déjà dans la course pour gagner des places dans le prochain gouvernement. Le PJD aussi, qui s’apprête à tenir un congrès, le week-end des 26 et 27 avril, pour élire un nouveau secrétaire général.
Abdelilah Benkirane fait tout pour être ce numéro un qui conduira le PJD et peut-être aussi le gouvernement à la prochaine rentrée. Les méthodes de charmeur de serpents que lui et ses partisans emploient aujourd’hui sont calquées sur celles de 2011. En gros, le vote-sanction et cette colère populaire qui vous fait voter contre l’existant (ou le sortant).
Mais il y a deux paramètres que notre ami Benki ne doit pas oublier. Le premier, c’est qu’il ne représente plus ce monsieur propre et neuf qui a séduit les masses en 2011. Le deuxième, c’est que nul ne connaît les envies des votants de 2026: ils auront peut-être besoin, pour une fois, non pas d’un bulldozer ou d’un «animal politique», mais d’un ou d’une jeune qui leur ressemble et les accompagne jusqu’au cap tant attendu de 2030. Avec ou sans barbe.
Benki peut toujours rêver, au propre comme au figuré!
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