Giorgia Meloni, l’Homme fort de l’Europe

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueLa victoire de Donald Trump est aussi -en Europe- celle d’une Présidente du Conseil italien, l’un des rares dirigeants de l’UE à afficher une proximité idéologique avec le 47ème président des États-Unis, renforçant le rôle que pourrait vouloir jouer l’Italie dans les trois dimensions qui ancrent traditionnellement sa politique étrangère, transatlantique, européenne et méditerranéenne.

Le 09/11/2024 à 10h15

Giorgia Meloni est l’«interlocutrice naturelle» du président Trump en Europe, selon les mots d’Antonio Giordano, secrétaire général du parti des Conservateurs et réformistes européens (ECR), qui avance même que le nouveau président américain pourrait s’inspirer des politiques des frontières initiées par l’Italie, de l’idée des centres de gestion des migrants à distance, jusqu’à la démarche du «plan Mattei» visant à stimuler la croissance dans les régions frontalières pour endiguer les départs.

Présomptueux? Peut-être. Mais après tout, si la politique étrangère que mène Meloni depuis son accession au pouvoir est tout entière dominée par la question migratoire, que de chemin parcouru en deux ans, des promesses de campagne des héritiers du MSI mussolinien au «modèle italien» salué par un nombre croissant d’élites européennes, dont une ministre de l’Intérieur allemande social-démocrate, un Premier ministre britannique travailliste et une Présidente de la Commission européenne de centre droit. Même Manfred Weber, chef de file tout-puissant du groupe PPE au Parlement européen, et «digue morale» de la droite européenne contre les populismes, vient à louer le projet d’externalisation des demandeurs d’asile en Albanie, déclarant à La Stampa que «toutes les solutions innovantes ont besoin de temps», alors que la justice italienne cherche à entraver ces centres albanais au nom du droit européen!

Parallèlement aux accords bilatéraux sur la migration, Meloni a élaboré un plan pour l’Afrique, portant le nom du fondateur du groupe énergétique ENI, Enrico Mattei, totalement inconnu des jeunesses africaines et italienne du 21ème siècle, mais que le New York Times avait qualifié au début des années 60 d’«Italien le plus puissant depuis Jules César». Ce «plan Mattei» repose sur l’idée d’un vaste, et surtout vague, programme d’investissements et de partenariats économiques entre l’Italie et l’Afrique -positionnant surtout la péninsule comme un hub énergétique entre le Maghreb et l’Europe.

Pour l’heure, Mattei est une plaque placée à l’entrée d’un jardin éponyme d’Alger, baptisé lors d’une visite d’État de Mattarella en 2021, et l’ombre du Condottiere du pétrole -jadis mécène du FLN algérien- qui règne sur les conséquents engagements d’ENI en Algérie (renforcés sous Draghi, pour répondre à une diversification nécessaire: la Russie était, jusqu’à la guerre en Ukraine, le premier fournisseur de gaz naturel de l’Italie). Il n’en demeure pas moins que Bruxelles parraine la stratégie italienne en Méditerranée; son lancement à Rome, lors d’un sommet Italie-Afrique en janvier dernier, a eu lieu sous les auspices des bonnes fées européennes, Von der Leyen et Charles Michel.

«Par un positionnement pragmatique et singulier, Giorgia Meloni pourrait être amenée, dans les prochains mois, à jouer un rôle majeur dans la diplomatie de l’UE.»

Dans les institutions européennes, la «mélonisation des esprits» s’est traduite par la constitution, au Parlement européen, du groupe ECR à la main de la Présidente du Conseil italien -dont les députés italiens partagent la présidence avec les Polonais de «Droit et justice», mais dont la délégation italienne fournit près du tiers des 78 membres. Surtout, ECR -l’un des trois groupes politiques à la droite du PPE- bénéficie de l’attitude relativement bienveillante du reste de l’hémicycle, comparativement aux deux autres, frappés d’un cordon sanitaire étanche.

La droite radicale s’est recomposée, en juillet dernier, selon un clivage «russo-ukrainien»: Meloni a su évoluer de manière opportune sur ses amitiés à l’Est, et ECR adhère à la doxa européenne sur le soutien à Kiev -au contraire des élus du RN français et du Fidesz hongrois, ostracisés au sein du groupe «Patriotes pour l’Europe». Ayant choisi le mauvais camp, Victor Orban, l’autre grand «Trumpiste» des dirigeants européens, est disqualifié pour servir de pont entre Washington et Bruxelles.

Au sein de la Commission européenne, Meloni s’est vue récompensée, cet été, de sa proximité avec la Présidente Von der Leyen, avec un poste de vice-président exécutif au sein du collège de Commissaires (quand bien même les élus Fratelli d’Italia n’avaient pas voté la reconduction d’Ursula Von der Leyen). Les candidats commissaires sont actuellement auditionnés par le Parlement européen, et l’audition de Raffaele Fitto mérite d’être suivie: ce ne seront pas tant les compétences de l’actuel ministre des Affaires européennes de Meloni qui seront jugées, le 12 novembre, par un «jury» d’eurodéputés, mais plutôt l’influence de la Présidente du Conseil italien sur les partis politiques européens.

C’est ainsi que par un positionnement pragmatique et singulier, qui emprunte autant à l’atlantisme de Jean Monnet qu’à l’antiwokisme d’Elon Musk, Giorgia Meloni pourrait être amenée, dans les prochains mois, à jouer un rôle majeur dans la diplomatie de l’UE, et convertir les «contraintes extérieures» de l’Italie -le «vincolo esterno» que sont pour les Italiens les Affaires étrangères- en autant d’opportunités.

Par Florence Kuntz
Le 09/11/2024 à 10h15