En Afrique, au sud du Sahara, toutes les constructions étatiques précoloniales furent à base ethnique et quand elles débouchèrent sur des ensembles pluriethniques, ce furent généralement des entreprises sans lendemain. Les contre-exemples sont rares: entité toucouleur ou bien certains empires musulmans nés des jihads et qui furent effectivement des «agglomérateurs» ou des «coagulateurs» ethniques partiels.
Le problème politique de l’Afrique sud-saharienne d’aujourd’hui est triple:
1- La transposition des institutions politiques occidentales a provoqué le chaos. La raison en est qu’en Afrique, où l’autorité ne se partage pas, cette transposition s’est fait sans qu’il ait été auparavant réfléchi à la création de contre-pouvoirs, au mode de représentation et d’association au gouvernement des peuples minoritaires, condamnés par la mathématique électorale à être pour l’éternité écartés du pouvoir.
2- L’idée de Nation n’est pas la même en Europe et en Afrique sud-saharienne puisque, dans un cas, l’ordre social repose sur des individus et dans l’autre sur des groupes. Or, le principe du «One man, one vote» interdit la prise en compte de la seule réalité politique africaine qui est la communauté.
3- Les États sont des coquilles juridiques vides ne coïncidant pas avec les patries charnelles qui fondent les véritables enracinements humains.
À ces trois points s’ajoute la question des frontières tracées par la colonisation, introduction inconnue et souvent incompréhensible localement. Il faut en effet bien voir que dans l’ancienne Afrique, les territoires des peuples n’étaient pas bornés et que l’on ne sortait pas de chez soi pour immédiatement entrer chez le voisin. Entre les cœurs nucléaires territoriaux existaient ainsi de véritables «zones tampon», parfois mouvantes, n’appartenant ni aux uns ni aux autres. Dans certains cas, ces espaces pouvaient être parcourus par les uns ou par les autres, mais in fine, ils étaient le domaine des esprits dans lequel nul ne s’aventurait.
Les frontières ont également détruit, et cela d’une manière irrémédiable, l’équilibre interne aux grandes zones d’élevage où la transhumance millénaire a été perturbée par le cloisonnement des espaces. Les frontières ont également fait que des peuples ont été coupés par ces lignes de partage artificielles. Ailleurs, la colonisation a tout aussi artificiellement rassemblé un monde émietté en de nombreuses entités ethniques, tribales ou même villageoises, afin d’en faire des ensembles certes administrativement cohérents, mais qui n’avaient aucune vocation à devenir des États.
Au sud du Sahara, à trois exceptions près qui sont le Botswana, le Lesotho et le Swaziland, tous trois mono-ethniques, et où il y a donc confusion ou osmose entre l’ethnie, la nation et l’État, il n’y a eu nulle part de coagulation ethnique.
Les problèmes politiques qui se posèrent à l’Afrique sud-saharienne indépendante découlent de ces réalités et de la définition de l’État. Comment en effet construire ce dernier alors que les frontières ne correspondent le plus souvent à aucune réalité historique et ethnique?
Voilà pourquoi, durant trois décennies, de 1960 à 1990, la priorité fut à la constitution ou au renforcement des États. Et comme il leur fallait brûler les étapes, les États africains nés des découpages coloniaux empruntèrent le «raccourci autoritaire», le Parti unique s’identifiant à l’État qui était à créer.
Puis, dans les années 1990, après la disparition du bloc soviétique et face aux échecs de l’Afrique dans les domaines politique, économique et social, la question du pouvoir fut posée. En 1990, lors de la Conférence franco-africaine de La Baule, le président François Mitterrand affirma ainsi que l’Afrique indépendante avait échoué par déficit de démocratie. Le continent subit alors un véritable «diktat démocratique» qui entraîna la chute du système de parti unique ou sa redéfinition et partant, l’affaiblissement des États qui avaient été construits avec tant de peine.
D’où nombre de crises actuelles.