Le Maroc n’est plus une île

Fouad Laroui.

ChroniqueSes habitants ne seront donc plus saisis par la fièvre obsidionale. Ils pourront aller l’amble sur le chemin du développement…

Le 30/10/2024 à 11h01

La visite d’État du président Macron a été marquée par un engagement d’une grande portée symbolique: l’assurance donnée que la France participera au développement des provinces marocaines du sud– ce qu’on nommait autrefois le Sahara occidental. L’Espagne en fera de même. On voit ainsi se concrétiser un axe vertical Paris-Madrid-Rabat qui ne demande qu’à se prolonger, via le passage de Guerguerat (le point le plus au sud de la RN 1), vers l’Afrique subsaharienne, via la Mauritanie et le Sénégal.

Ainsi, le Maroc n’est plus une île: c’est le centre d’un futur arc de co-prospérité qui ira de l’Europe au cœur de l’Afrique. La LGV Tanger-Marrakech, son prolongement vers Agadir, les autoroutes qui traversent le pays du Nord au Sud, la double voie Tiznit-Dakhla, le développement de Guerguerat, tout cela dessine sur le terrain la partie marocaine de l’axe ou arc de co-prospérité.

C’est un moment historique. En effet, dans la liste des caractéristiques qu’on attribuait traditionnellement au Maroc, celle de son insularité était l’une des plus persistantes.

Au Sud, le Sahara constitue effectivement une immense mer de sable– ce n’est pas par hasard qu’on dit des chameaux et des dromadaires qu’ils sont les «vaisseaux du désert». Cette «mer» n’a certes pas empêché le pays d’avoir des rapports historiques fructueux avec l’Afrique– j’ai vu récemment à Zagora un panneau indiquant la direction de Tombouctou. Quant à Sijilmassa, on connaît son passé prestigieux de porte de l’Afrique. Cependant, ce commerce a périclité au XXème siècle pour des raisons diverses.

Cet océan de dunes, d’ergs et de regs a fait que pendant des siècles, les Marocains ne se sont pas intéressés à l’océan bien réel qui délimite leur pays vers le Couchant. On peut facilement constater que les villes du Maroc, même côtières, tournent le dos à la mer: au bord de l’eau, ce ne sont pas des ports qu’on a construit mais plutôt des maqbara-s– comme ce cimetière de Larache où reposent Jean Genet et Juan Goytisolo.

À l’Est, l’insularité du Maroc est assurée par l’Atlas, barrière naturelle qui a empêché que le Maroc ne tombe sous l’influence des Ottomans, et par l’hostilité aussi constante qu’irrationnelle que lui vouent les beyliks modernes d’Alger depuis 1962. La frontière terrestre est close, de leur fait, depuis des lustres.

Au Nord, le long de la Méditerranée, la nature de cette côte aux pentes abruptes et incisées qui borde le Rif a favorisé l’isolement du Maroc.

Les choses ont commencé à changer avec la création d’Essaouira par le sultan Sidi Mohammed ben Abdallah, vers 1780. Celui qu’on nomma ultérieurement Mohammed III avait décidé d’ouvrir le commerce de son pays vers l’Europe, averti de l’essor économique du continent. Ce qui se passe aujourd’hui peut être considéré comme l’aboutissement de l’œuvre de Sidi Mohammed ben Abdallah. La légitimité dynastique a cette vertu qu’elle peut permettre la maîtrise de la longue durée, du «temps long» cher à Braudel.

Le Maroc n’est plus une île. Ses habitants ne seront donc plus saisis par la fièvre obsidionale. Ils pourront aller l’amble, sereinement, sur le chemin du développement, sans se préoccuper des jappements hargneux de roquets de rencontre.

Par Fouad Laroui
Le 30/10/2024 à 11h01

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VOS RÉACTIONS

Cher Professeur, savez-vous que Feu Hassan II, autrefois, voulait intégrer le Marché Économique Européen ! C'est qu'il savait pourquoi ! No Comment ! Merci

Le Maroc n'est plus une île? - C'est dommage! On était bien tranquille dans notre île; sans voisins terrestres.

je vous l'accorde Monsieur Laroui, enfin ce Maroc a failli être l'ile a laquelle vous faites allusion, si la Marche verte n'a pas eu lieu et si boukharouba n'était pas décédé ce décembre 1978 mais 15 ans plus tard

Effectivement, Adyl, c'est grâce à la Marche Verte, dont nous fêterons l'an prochain le 50e anniversaire, que nous n'avons pas été coupés du reste de l'Afrique par un mini-État désertique et dépeuplé (la soi-disant RASD) qui aurait fini par fusionner avec l'Algérie et en devenir une simple wilaya. Les maîtres galonnés d'Alger auraient ainsi fait d'une pierre deux coups: obtenir une fenêtre sur l'Atlantique et encercler le Maroc, qui serait resté une île. Nous avons échappé à quelque chose de terrible...

Seul un Laroui peut contredire un Laroui. Le grand philosophe/historien Abdellah Laroui a théorisé l'insularité du Maroc et Si Fouad nous démontre le contraire.

Ils ont raison tous les deux. Le Maroc était une île, il ne l’est plus depuis la récupération du Sahara et l’ouverture vers le Sud via Guerguerat. D’un Laroui l’autre, les temps changent…

Ils ont raison tous les deux. Le Maroc était une île, il ne l’est plus depuis la récupération du Sahara et l’ouverture vers le Sud via Guerguerat. D’un Laroui l’autre, les temps changent…

Nos voisins de l'est sont héritiers non d'un beylicat (gouvernement civil) mais d'un deylicat (gouvernement militaire) ! Ça se constate, non !?

Exact, c'est ce qui fait la différence au temps des othmans entre la Tunisie qui avait plus d'autonomie et l'Algérie qui dépendait directement du Sultan.

Merci, cher Laroui, pour cette analyse qui m’a fait comprendre la nouvelle donne géostratégique. Et j’ai aussi appris deux ou trois mots, comme d’habitude…. 😂

@Hanane B. Comme vous j'ai appris un nouveau vocabulaire comme "d’ergs et de regs"; "les beyliks" ... mais le Top c'est cette belle conclusion "Le Maroc n’est plus une île. Ses habitants ne seront donc plus saisis par la fièvre obsidionale. Ils pourront aller l’amble, sereinement, sur le chemin du développement, sans se préoccuper des jappements hargneux de roquets de rencontre." ... Mais, je crains fort que ceux à qui elle semble adressée n'y pigeront que dalle ! Merci

Pourvu que ce développement profite à tous les marocains, de Tanger à Lagouira, en passant par Midelt, Azilal, Tata et toutes les régions et contrées marginalisées jusqu’à maintenant. Il faut se rappeler que ce qui se passe présentement est le résultat d’énormes sacrifices faits par tout un peuple; et ce pendant de longues décennies de hauts et de bas. L’espoir d’un élan économique qui se dessine finalement et concrètement, il va donc falloir faire en sorte que les fruits de ces sacrifices puissent bénéficier à tous, et non pas uniquement à une poignée de marchands de carburants et autres opérateurs économiques, dont les activités sont principalement commerciales, n’apportant aucune valeur ajoutée à l’économie nationale. Des «beznassa» qui n’ont qu’une seule valeur: Faire de l’argent!

Cher Professeur, le Courage et la Sagesse ont fini par payer ! 🔝! L'axe France - Espagne - Maroc sera salutaire pour les 3 Pays et pour les 3 Peuples ! Comme vous dites le Maroc ne sera plus une île et cet Axe se prolongera c'est Certain vers les Pays du Sahel via Dakhla pour les sortir aussi de leur isolement ! L'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie se joindront aussi à cet Axe Europe- Afrique via le Maroc ! Tout le monde est Gagnant ! Pour une fois je tire un Grand Chapeau au Président Macron ! Bravo à notre Souverain ! Une visite RÉUSSIE sur TOUS les Plans avec beaucoup de Messages très Forts et beaucoup de Concret ! Ce qui a cloué le Bac à beaucoup de Sceptiques ! Ça promet ! MERCI

Il faudrait reconstruire Lagouira et déplacer le poste-frontière à la limite de la frontière avec la Mauritanie. Le poste mauritanien avance de quelques km sur le sol marocain et celui du Maroc recule de plusieurs km. Ce qui est paradoxal.

Cher Sam, Je cite cette belle et profonde phrase tirée du texte de Fouad Laroui: "La légitimité dynastique a cette vertu qu’elle peut permettre la maîtrise de la longue durée, du «temps long» cher à Braudel." Oui, nous reconstruirons un jour Lagouira et elle deviendra une des multiples destinations touristiques de notre pays. Mais cela s'inscrit dans la longue durée, quand plus personne ne contestera la marocanité de notre Sahara. Ce jour-là, les Mauritaniens ne broncheront pas quand nous entreprendrons la reconstruction et le développement de Lagouira.

Cher ami, je partage ton ananlyse et j'ajoute ceci: Ce sont précisément ceux qui l'avaient ainsi nommé qui ont ressenti l'obligation de prendre en charge la nouvelle identité de notre pays : le Maroc atlantique. L'idée que le Maroc est une île était une invention des « génies » du Quai d'Orsay et du ministère de la Défense de la République française, pour signifier que le Maroc n'existait qu'entre les Atlas, l'Atlantique et une partie de la Méditerranée. Aujourd'hui, la République française a besoin de l'influence de l'Empire chérifien sur les populations du Sahara et du Sahel, si bien qu'elle lui ouvre les portes qu'elle avait commencé à lui fermer depuis 1492. Nous assistons à un retour du refoulé historique.

Excellente analyse. On reconnaît là le neveu de Abdallah...

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