La visite d’État du président Macron a été marquée par un engagement d’une grande portée symbolique: l’assurance donnée que la France participera au développement des provinces marocaines du sud– ce qu’on nommait autrefois le Sahara occidental. L’Espagne en fera de même. On voit ainsi se concrétiser un axe vertical Paris-Madrid-Rabat qui ne demande qu’à se prolonger, via le passage de Guerguerat (le point le plus au sud de la RN 1), vers l’Afrique subsaharienne, via la Mauritanie et le Sénégal.
Ainsi, le Maroc n’est plus une île: c’est le centre d’un futur arc de co-prospérité qui ira de l’Europe au cœur de l’Afrique. La LGV Tanger-Marrakech, son prolongement vers Agadir, les autoroutes qui traversent le pays du Nord au Sud, la double voie Tiznit-Dakhla, le développement de Guerguerat, tout cela dessine sur le terrain la partie marocaine de l’axe ou arc de co-prospérité.
C’est un moment historique. En effet, dans la liste des caractéristiques qu’on attribuait traditionnellement au Maroc, celle de son insularité était l’une des plus persistantes.
Au Sud, le Sahara constitue effectivement une immense mer de sable– ce n’est pas par hasard qu’on dit des chameaux et des dromadaires qu’ils sont les «vaisseaux du désert». Cette «mer» n’a certes pas empêché le pays d’avoir des rapports historiques fructueux avec l’Afrique– j’ai vu récemment à Zagora un panneau indiquant la direction de Tombouctou. Quant à Sijilmassa, on connaît son passé prestigieux de porte de l’Afrique. Cependant, ce commerce a périclité au XXème siècle pour des raisons diverses.
Cet océan de dunes, d’ergs et de regs a fait que pendant des siècles, les Marocains ne se sont pas intéressés à l’océan bien réel qui délimite leur pays vers le Couchant. On peut facilement constater que les villes du Maroc, même côtières, tournent le dos à la mer: au bord de l’eau, ce ne sont pas des ports qu’on a construit mais plutôt des maqbara-s– comme ce cimetière de Larache où reposent Jean Genet et Juan Goytisolo.
À l’Est, l’insularité du Maroc est assurée par l’Atlas, barrière naturelle qui a empêché que le Maroc ne tombe sous l’influence des Ottomans, et par l’hostilité aussi constante qu’irrationnelle que lui vouent les beyliks modernes d’Alger depuis 1962. La frontière terrestre est close, de leur fait, depuis des lustres.
Au Nord, le long de la Méditerranée, la nature de cette côte aux pentes abruptes et incisées qui borde le Rif a favorisé l’isolement du Maroc.
Les choses ont commencé à changer avec la création d’Essaouira par le sultan Sidi Mohammed ben Abdallah, vers 1780. Celui qu’on nomma ultérieurement Mohammed III avait décidé d’ouvrir le commerce de son pays vers l’Europe, averti de l’essor économique du continent. Ce qui se passe aujourd’hui peut être considéré comme l’aboutissement de l’œuvre de Sidi Mohammed ben Abdallah. La légitimité dynastique a cette vertu qu’elle peut permettre la maîtrise de la longue durée, du «temps long» cher à Braudel.
Le Maroc n’est plus une île. Ses habitants ne seront donc plus saisis par la fièvre obsidionale. Ils pourront aller l’amble, sereinement, sur le chemin du développement, sans se préoccuper des jappements hargneux de roquets de rencontre.