Souvent des déclarations sont omises, parce qu’évidentes. Ne pas rappeler d’emblée, dans notre papier traitant de l’Italie, la grandeur de cette nation, son identité spécifique, sa contribution majeure au patrimoine universel et sa résilience a été une faute de goût. Dont acte.
La riche carrière diplomatique de l’Ambassadeur Armando Barucco nous autorisait le dépassement du strict cadre des relations bilatérales pour aller interroger d’abord les choix doctrinaux et les orientations de la politique étrangère italienne dans l’orageux contexte international présent.
Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Italie a manifesté sans hésitation sa condamnation de cet acte, a œuvré pour un retour en force de l’alliance de l’Union Européenne avec les Etat-Unis d’Amérique au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), confirmant au passage son peu d’enthousiasme pour une «Autonomie Stratégique de l’Europe», doctrine chère à l’Allemagne. L’Italie est atlantiste, plus précisément «euro-atlantiste», dans ses alliances stratégiques et ses choix politiques fondamentaux de politique extérieure. Ce choix n’est pas exclusif de l’entretien de relations d’échanges et commerciales avec l’ensemble des pays du monde, intérêts économiques obligent.
L’Italie se veut aussi méditerranéenne, non pas uniquement à cause de la géographie, elle l’est pour des raisons historiques, culturelles et politiques. Cela n’est pas très connu, mais l’Italie s’est trouvée souvent bien seule à Bruxelles à défendre l’espace méditerranéen face à une Allemagne et d’autres membres de l’UE plus préoccupés par un élargissement à l’est. Son intérêt pour la Méditerranée se concrétise aussi par l’entretien de relations commerciales avec l’ensemble des pays du pourtour méditerranéen, mue par la recherche de rapports équilibrés, mutuellement profitables et tenant compte de la spécificité des économies de chaque pays.
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Avant d’aborder les relations bilatérales avec le Maroc, l’Ambassadeur Armando Barucco a saisi l’occasion pour nous expliquer l’intensification des rapports commerciaux avec l’Algérie. L’Italie, suite à l’invasion de l’Ukraine, s’est vue dans l’obligation de trouver une solution alternative à son approvisionnement en gaz venant de Russie. L’Algérie avait du disponible, l’occasion fut saisie.
Le Président du Conseil italien, Mario Draghi, n’a pas manqué de souligner, à Alger, que la convergence de points de vue avec l’Algérie concernait uniquement les domaines de «l’économie et l’énergie». A notre questionnement sur la viabilité à terme d’un échange non diversifié: l’offre algérienne est mono-produit (le gaz) et puisée dans un stock appelé à baisser, a dit l’Ambassadeur, concédant que cela pouvait réduire le potentiel de développement des échanges commerciaux.
Tel n’est pas le cas des échanges du Maroc avec l’Italie, où nous assistons pratiquement à une complémentarité des deux économies, avec une grande diversification dans les échanges. L’Ambassadeur a tenu à le préciser: de l’ensemble des pays d’Afrique du Nord, Egypte comprise, le Maroc a l’offre exportable vers l’Italie la plus diversifiée et renouvelable. Ce qui est de nature à assurer, d’avis d’économiste, l’avenir le plus prometteur.
Avant d’échanger sur les voies multiples de coopération à même d’améliorer les relations entre nos deux pays, l’Ambassadeur ayant marqué à ce sujet son accord avec plusieurs propositions contenues dans nos éclairages, nous avons tenu à ce qu’il nous rappelle la position de l’Italie au sujet du dossier de notre Sahara. En lui rappelant au passage que son pays avait souffert du séparatisme dans plusieurs de ses régions, menaçant son unité nationale, et en lui demandant comment il avait réussi à surmonter le problème. L’Italie, rappelle l’Ambassadeur, est soucieuse du maintien de la paix en Méditerranée et suit de près le dossier, en tenant compte de l’évolution des positions de ses alliés occidentaux et en soutenant, sans équivoque, cela a été dit par le Ministre di Maio, la dernière résolution 2602 du Conseil de Sécurité. Pour juguler les mouvements séparatistes dans plusieurs de ses régions, cinq sur vingt, l’Italie a opté pour une délégation élargie des compétences. La mise en place a pris plusieurs décennies.
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L’Italie suit de près l’évolution de notre économie, c’est notre troisième partenaire commercial. Elle est mue par la conviction que nos relations ne peuvent que s’améliorer, vu la diversité et la complémentarité de nos deux systèmes productifs. Le Maroc gagnerait beaucoup à prendre de l’Italie ce qu’elle a de mieux, et ce qu’elle a réellement à offrir, à savoir une forme d’organisation des entreprises (district) qui valorise au mieux les territoires en respectant leurs vocations. L’expertise italienne en matière de gestion des territoires, une des meilleures au monde, peut être une source d’inspiration pour nos élites locales. Plusieurs expériences concluantes ont vu le jour dans divers endroits du Maroc. Il faut poursuivre et multiplier. C’est la meilleure manière d’attirer les PME italiennes timides, en général, face aux délocalisations.
L’Italie est active dans le domaine culturel et la gestion de la communauté marocaine présente en Italie (voire précédents éclairages).
Un dernier point évoqué par l’Ambassadeur, c'est l’excellence de notre collaboration en matière de sécurité, de gestion des migrations et d'encadrement religieux.
La conviction, partagée, à l’issue de cette riche rencontre est que les relations entre le Maroc et l’Italie ont de beaux jours devant elles, car, pour paraphraser un philosophe italien, poussées par un double optimisme: celui à la fois de la raison et de la volonté.