Les ambitions de l’Algérie sur l’océan Atlantique, telles que documentées par la CIA

Karim Serraj.

ChroniqueEntre 1965 et 1980, la CIA a produit plus d’une centaine de documents classés «Confidentiel» révélant les ambitions secrètes de Houari Boumediene sur l’océan Atlantique. Ces notes de service des renseignements américains, ponctuellement rédigées, mettent aujourd’hui en perspective le projet géostratégique de l’Algérie bien au-delà de ses frontières, à savoir la colonisation régionale du Sahara marocain et l’obtention d’un accès maritime à l’Ouest, considéré comme un objectif de vie ou de mort.

Le 13/10/2024 à 11h00

Des documents de la CIA, d’entre 1965 et 1980 (dont Le360 reproduit quelques rapports, voir Galerie photos), soulignent que, dès l’indépendance de l’Algérie en 1962 et avant la création du Polisario en 1973, «Boumediene voyait l’accès à l’Atlantique comme une nécessité pour renforcer la position économique de l’Algérie et diversifier ses partenariats commerciaux». Boumediene espérait, selon le document, «utiliser l’Atlantique comme un levier pour accéder aux marchés d’Amérique latine, d’Afrique subsaharienne, établir des connexions maritimes directes avec des pays non alignés». Cette stratégie géopolitique ne pouvait voir le jour qu’à travers une expansion coloniale dans la région, qui devait offrir à l’Algérie un accès à l’Atlantique, et en même temps, l’un n’allant pas sans l’autre, couper l’herbe sous le pied du Maroc dans le sous-continent.

Le soutien au Polisario pour une «guerre par procuration» contre le Maroc

La création d’un pays fantôme (RASD) avait pour principal but d’empêcher le Maroc d’étendre son influence en Afrique subsaharienne, en le prenant en tenaille entre un territoire soumis au Polisario pro-algérien et les frontières algériennes, privant de la sorte le Royaume d’un accès terrestre direct au sous-continent. La CIA affirme sans détour que «Boumediene espérait utiliser le Polisario comme une force par procuration pour faire pression sur le Maroc et ses alliés occidentaux». Pour Boumediene, cette stratégie d’expansion représentait une question de survie. Elle seule pouvait libérer le pays de son enclavement saharien, car sans accès à une façade atlantique, ce vaste territoire désertique restait non viable. L’idée d’utiliser à partir de 1974 «le Polisario comme force par procuration n’était pas uniquement une démarche idéologique en faveur du droit à l’autodétermination» selon le document, mais une «stratégie pratique pour déstabiliser le Maroc, rival traditionnel de l’Algérie, et empêcher Rabat de renforcer ses propres ambitions sur la scène internationale».

Voir l’Atlantique et mourir…

L’Algérie a ambitionné d’accéder à l’océan Atlantique par le biais de ce même «État» sahraoui. Boumediene comptait sur une victoire diplomatique du Polisario pour aboutir à un «État» qui, une fois reconnu par la communauté internationale, accorderait à l’Algérie des privilèges commerciaux et militaires sur son territoire, y compris une domination des infrastructures portuaires sur l’Atlantique. «La dépendance économique et militaire du Front Polisario vis-à-vis de l’Algérie ne lui laisse pas assez de manœuvres pour contester la volonté de l’Algérie», écrit la CIA.

Ces archives font état de discussions abracadabrantesques de militaires algériens de la junte, qui se voyaient déjà en conquérants des mers et maitres de la région. Ces ambitions reflétaient une volonté de s’étendre de manière agressive, avec des projets d’annexion du nord de la Mauritanie et de la région de Oued Ed-Dahab (Rio de Oro). Les militaires projetaient de construire des infrastructures portuaires en Atlantique et de développer des flottes marchandes capables de rivaliser avec les grandes puissances maritimes mondiales. À long terme, Boumediene envisageait l’Algérie comme «un hub énergétique et commercial pour l’Afrique, avec une influence accrue sur le commerce global», et il se vantait déjà en privé, après quelques verres de scotch, que «l’Algérie avait deux façades, en Méditerranée et en Atlantique». Le soutien militaire, financier et diplomatique de l’Algérie au Polisario s’inscrit encore de nos jours dans cette même vision géopolitique expansionniste. Le Polisario n’étant qu’un prétexte pour se frayer un corridor maritime sur l’Atlantique.

Ce projet porte une logique hégémonique où un «Sahara occidental» indépendant aurait été non seulement une carte stratégique entre les mains de l’Algérie, mais également une plateforme pour influencer la politique régionale, en particulier vis-à-vis du Maroc, et pour imposer une domination géopolitique sur les routes maritimes et terrestres entre l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne. Ce contrôle aurait permis à l’Algérie «de jouer un rôle plus important dans le commerce transsaharien avec l’Afrique et les affaires maritimes de l’océan Atlantique».

Conférence de Bamako 1967: manipulations algériennes de l’OUA à des fins personnelles

Lors de la Conférence de Bamako en 1967, les ambitions de l’Algérie sur l’océan Atlantique ont commencé à se manifester de manière plus claire. Selon la CIA, sa participation à Bamako, ainsi que ses velléités maritimes, ont pris une forme panafricaine, «dans un cadre plus large de la lutte contre l’impérialisme et la promotion de l’unité africaine». Ainsi, le «faux» discours rassembleur de Boumediene à l’Organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’Union africaine), était destiné à tromper la vigilance des pays africains (Documents n° 1 à 4 de l’année 1974, Galerie photos), et à soutenir «le plan de Boumediene pour contrer l’influence du Maroc» et «obtenir un accès à l’Atlantique». Le document indique que «bien que la raison apparente de l’Algérie pour soutenir le Polisario soit le principe d’autodétermination, sa rivalité historique avec le Maroc pour l’hégémonie en Afrique du Nord-Ouest est sa principale motivation». Boumediene a usé d’une «stratégie complexe» visant à «renforcer la position de l’Algérie en Afrique tout en servant ses propres intérêts géopolitiques à travers l’Organisation de l’unité africaine et les alliances avec les pays africains».

Le soi-disant soutien aux mouvements de libération, l’un des principaux axes de la politique africaine, de façade, de l’Algérie, a permis de positionner Boumediene et, à sa mort, le régime militaire, comme une devanture patriotique des bonnes causes, un Don Quichotte des mouvements de libération nationale, utilisant l’OUA comme une plateforme, mais cela permettait plutôt de vendre sa «cause», «d’augmenter l’influence de l’Algérie dans la politique continentale en devenant un pilier de l’anti-impérialisme» et de «faire pression sur des rivaux comme le Maroc, notamment par le biais du soutien au Polisario pour obtenir un accès indirect à l’Atlantique», continue le dossier confidentiel. Cette stratégie, ajoute la source américaine, était orientée par «un pragmatisme qui servait avant tout les intérêts de l’État algérien».

Visées algériennes sur la Mauritanie: les coulisses des coups d’État de 1974 et 1978

Selon la CIA, les années 1970 ont vu Boumediene chercher à déstabiliser plusieurs fois la Mauritanie, un pays stratégique au cœur des rivalités régionales. Il s’agissait de faciliter à l’Algérie l’accès «à des positions stratégiques dans cette région du Sahel», notamment «à travers un soutien aux tentatives de coup d’État contre le président mauritanien Moktar Ould Daddah». Alger considérait la Mauritanie comme un acteur essentiel à vassaliser dans ce projet, non seulement en raison de ses ressources naturelles, mais surtout à cause de sa position géographique, bordant à la fois le «Sahara occidental» et l’Atlantique.

La Mauritanie, sous le régime de Moktar Ould Daddah, était alors alliée au Maroc. Ce positionnement diplomatique faisait obstacle à la stratégie algérienne. Boumediene voyait, selon les archives américaines, dans le régime d’Ould Daddah «un adversaire idéologique et un obstacle à l’influence régionale algérienne». L’Algérie a soutenu «plusieurs tentatives de déstabilisation du régime d’Ould Daddah, en particulier dans les cercles militaires et parmi les factions dissidentes à Nouakchott». Les ambitions algériennes étaient multiples: changer la direction politique mauritanienne pour l’aligner avec les intérêts d’Alger, couper les liens entre Nouakchott et Rabat, et éventuellement utiliser la Mauritanie comme tremplin pour accéder à l’Atlantique.

Une des stratégies détaillées dans le rapport consistait à encourager et soutenir des factions militaires anti-Ould Daddah. En 1974, plusieurs notes reviennent sur une tentative de coup d’État orchestrée par des officiers de l’armée mauritanienne, qui auraient reçu un soutien discret de l’Algérie. Le rapport de la CIA mentionne que Boumediene aurait également tenté de manipuler des tensions internes au sein du régime mauritanien pour créer un climat favorable à un changement de pouvoir.

Le rôle de l’Algérie dans le coup d’État de 1978 en Mauritanie reste entouré de mystère, mais les analyses révélées par la CIA, laissent entendre que Boumediene aurait encouragé ce changement de régime pour neutraliser un allié marocain et renforcer l’influence du Polisario dans la région. Le nouveau régime militaire, dirigé par le colonel Mustapha Ould Salek, annonça rapidement la sortie de la Mauritanie du conflit du «Sahara occidental», signe que les objectifs géopolitiques de l’Algérie avaient, au moins partiellement, été atteints. En soutenant des éléments déstabilisateurs en Mauritanie, Boumediene espérait redessiner la carte des alliances en Afrique de l’Ouest, tout en renforçant la position de l’Algérie dans le conflit.

Le Polisario: un piège pour l’Algérie selon la CIA

Cependant, la CIA avertissait déjà à l’époque que cette stratégie risquait de se transformer en un piège pour l’Algérie elle-même. Ce à quoi nous sommes arrivés désormais. Le soutien prolongé au front Polisario a entraîné «une militarisation des relations avec le Maroc et un épuisement progressif des ressources algériennes», dit le document. Sur le long terme, «l’alliance avec le Polisario a mis l’Algérie dans une impasse diplomatique et financière» (impasse qui s’accentuera notamment après la chute du bloc soviétique dans les années 1990), ce qui a «limité sa capacité à tirer pleinement parti des bénéfices stratégiques escomptés». Les pays dits «non alignés» ont disparu, le monde a changé. Le projet d’un accès atlantique «est resté largement théorique». En 2020, cette même CIA a estimé, officiellement (rapporté par i24), que le soutien financier de la junte militaire algérienne au Polisario était de 280 milliards de dollars depuis sa création. 280 milliards de dollars dilapidés par le régime d’Alger pour le Polisario! Et si l’on tient compte de l’hystérie qui s’est emparée de ce régime, justement à partir de 2020, avec la désignation de Tebboune à la tête de ce pays, les dépenses de l’Algérie pour le Polisario ont dû largement dépasser les 300 milliards de dollars.

Enfin, sur notre cause nationale, l’agence américaine affirmait, en 1979, que «la cause du Sahara est soutenue par toutes les couches de la société du pays, sur des bases historique et religieuse qui s’étendent profondément dans l’histoire de la nation marocaine».

Héritage de Boumediene et conséquences pour l’Algérie

Bien que l’objectif d’accès à l’Atlantique par le biais du Polisario n’ait jamais été atteint, les ambitions de Boumediene ont laissé une empreinte durable sur la politique étrangère algérienne et le fonctionnement du «Système». Le soutien de l’Algérie au Polisario reste aujourd’hui le pilier sacré de sa politique internationale. Plus de quarante ans après la mort de Boumediene, Alger continue de plaider pour l’indépendance du «Sahara occidental», un dossier qui lui donne aujourd’hui le rôle de l’idiot de la famille, qui voit passer le train. En rétrospective, l’ambition de l’accès à l’Atlantique a marqué le déclin d’un pays aux ressources naturelles exceptionnelles. L’enjeu de l’accès à l’Atlantique, qui aurait pu transformer le rôle de l’Algérie dans le commerce maritime global, a lamentablement échoué. Les 280 milliards de dollars dépensés –jusqu’à 2020– par l’Algérie pour contrer l’intégrité territoriale du Maroc auraient pu transformer l’Algérie en puissance continentale prospère, et bénéficier aux Algériens. Quand on voit l’état de ce pays qui vit exclusivement de la rente des énergies fossiles et n’a développé aucune économie, aucun savoir-faire, aucun soft power, on prend la mesure de l’héritage désastreux laissé par Boumediene. De plus, les percées diplomatiques du Maroc avec la reconnaissance de la souveraineté du Royaume sur le Sahara par de grandes puissances, comme les États-Unis, la France et l’Espagne, ont rendu vaines les centaines de milliards de dollars dépensées par le régime d’Alger.

Ce chapitre méconnu de l’histoire saharienne, exposé dans ces documents de la CIA, montre à quel point le conflit du Sahara dépasse les simples revendications territoriales du Polisario et s’inscrit dans un échiquier stratégique où l’océan Atlantique a longtemps fait rêver Alger. Ce rêve est une chimère. Les 280 milliards de dollars n’ont servi à rien. Et pire que tout: Boumediene a laissé comme héritage à l’Algérie les séparatistes du Polisario qu’elle abrite dans son territoire. Cet héritage s’est non seulement transformé en piège comme le souligne la CIA, mais provoquera la chute du «Système».

Désormais, l’Algérie est ce prestidigitateur démasqué par la foule, et qui promet, une dernière fois, un étonnant tour de passe-passe: faire entrer l’éléphant dans un appartement.

Par Karim Serraj
Le 13/10/2024 à 11h00