Les camps de Tindouf au cœur de tous les calculs

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueLa dynamique diplomatique autour de la résolution 2797 dessine des perspectives inédites pour les réfugiés des camps de Tindouf. Elle oblige aussi les Européens: pilier de l’aide humanitaire, l’UE est désormais appelée à s’engager autrement, en accompagnant l’effort de résolution du conflit du Sahara.

Le 15/11/2025 à 10h00

Cinq camps dans le désert, des conditions climatiques extrêmes, des Hommes sous perfusion humanitaire. Combien sont-ils? 173.600 selon un chiffre controversé de 2018 puisque l’Algérie et le Polisario refusent tout nouveau comptage. 38% seraient mineurs. Sur cette base incertaine, l’Europe et les bailleurs de fonds extérieurs assurent 80% des besoins des camps.

L’Union européenne– via son service d’aide à l’aide humanitaire et la protection civile (ECHO),–finance à elle seule plus de la moitié de cette aide: alimentation et soins nutritionnels (selon le PAM, 88% de la population réfugiée sahraouie est vulnérable à l’insécurité alimentaire ou en situation d’insécurité alimentaire), eau potable et assainissement, santé (l’UE fournit des médicaments essentiels qui couvrent 70% des besoins de la population), éducation (infrastructures, formation et envoi d’enseignants): 9 millions d’euros par an sur chacune des 3 dernières années; 279 millions d’euros depuis 1993.

Où va l’argent? Un vaste système de malversations au bénéfice du Polisario avait prospéré pendant des années: gonflement du nombre de réfugiés et des aides reçues; détournement de celles-ci, aliments soustraits aux réfugiés, remplacés par produits de moindre qualité, pour être vendus sur les marchés parallèles… Un scandale révélé par l’OLAF (agence antifraude de l’UE), nonobstant une Commission européenne longtemps restée dans le déni.

Depuis? Aucun décideur européen ne s’est récemment saisi du dossier. Pourtant, cette «crise oubliée»– le nom donné par ECHO à toute «crise humanitaire grave et longue dans laquelle l’aide internationale apportée est insuffisante, voire nulle»– ne doit pas l’être. Les parlementaires étant garants du bon usage des deniers du contribuable européen.

L’occasion leur est aujourd’hui donnée. En octobre, Bruxelles et Rabat ont scellé la révision de l’accord agricole UE-Maroc. Conformément à la déclaration de l’Union, adoptée lors de la signature du nouvel accord sous forme d’échange de lettres, l’Union renforcera son aide humanitaire aux camps de Tindouf. La Commission soutiendra des programmes adaptés dans des secteurs tels que l’éducation, la culture et la formation professionnelle. Le texte est arrivé au Parlement européen; et après des querelles inter-institutionnelles de procédure, l’heure est à l’examen au fond.

«En consacrant le plan d’autonomie marocain comme seul cadre du processus politique au Sahara, la résolution 2797 marque aussi un tournant pour Tindouf:la fin des camps est désormais possible»

Concernant l’aide vers Tindouf, nul doute de la pertinence des secteurs visés par la Commission (quand bien même ils relèvent plus de la coopération que de l’humanitaire). La mission d’évaluation conjointe menée par le PAM et le HCR en 2022 a révélé que 60% des réfugiés sahraouis sont inactifs et qu’un tiers d’entre eux n’ont aucune source de revenus.

Mais les débats vont aussi permettre aux parlementaires d’aborder tout à la fois la nécessaire transparence quant aux populations concernées, la traçabilité des financements, les conditions d’accès du HCR… et pourquoi pas la conditionnalité d’une partie des aides?

En consacrant le plan d’autonomie marocain comme seul cadre du processus politique au Sahara, la résolution 2797 marque aussi un tournant pour Tindouf:la fin des camps est désormais possible. Le 31 octobre, le roi Mohammed VI a lancé un appel à «nos frères dans les camps de Tindouf à saisir cette opportunité historique pour retrouver les leurs et jouir de la possibilité que leur offre l’Initiative d’autonomie de contribuer à la gestion des affaires locales, au développement de leur patrie et à la construction de leur avenir, dans le giron du Maroc uni. En ma qualité de Roi, garant des droits et des libertés des citoyens, J’affirme solennellement que les Marocains, étant tous égaux, il n’y a pas de différence entre les personnes rentrées des camps de Tindouf et leurs frères installés dans le reste du territoire national.»

La Commission européenne, qui arguait de ce que l’impasse politique freinait l’aide à Tindouf– «L’impasse persistante dans le règlement du conflit continue de dissuader les acteurs du développement de s’impliquer davantage dans la réponse humanitaire »– voit soudain la résolution onusienne ouvrir une perspective. Laquelle questionne aussi l’Europe: aider, assurément, mais avec quel objectif? Continuer à financer le statu quo dans les camps ou chercher à accompagner la résolution du conflit du Sahara?

De sa réponse pourraient naître des gestes audacieux, comme conditionner les fonds à une transparence réelle ou encore soutenir des projets destinés au retour volontaire des camps de Tindouf.

Par Florence Kuntz
Le 15/11/2025 à 10h00