Lyautey a empêché «l’algérianisation» du Maroc

Bernard Lugan.

ChroniqueLyautey avait compris que le Protectorat n’aurait qu’un temps, qu’il n’était qu’une étape transitoire, une parenthèse destinée à être refermée, car, à la différence de l’Algérie, le Maroc était un authentique État-nation, dans lequel la présence française n’était que temporaire. Il n’eut d’ailleurs de cesse de proclamer: «Je suis le premier serviteur du Sultan».

Le 25/02/2025 à 12h00

On ne remerciera jamais assez Jilali El Adnani pour ses remarquables chroniques publiées dans Le360. Celle en date du 16 février 2025, intitulée «Lyautey et le Sahara: un combat contre la fiction du terra nullius», m’a ainsi donné l’idée de revenir sur ce qui, selon moi, est l’un des principaux legs du maréchal, à savoir la prise en compte de l’originalité de ce qu’était le Maroc de l’époque.

En 1912, dès son arrivée, Hubert Lyautey (1854-1934), qui avait fait une partie de sa carrière en Algérie, et qui donc était en mesure de faire une comparaison entre les deux pays, vit et comprit qu’il avait été nommé dans un authentique État-nation au passé exceptionnellement riche. Il exprima d’ailleurs cette réalité quelques années plus tard, en 1916:

«Alors que nous nous sommes trouvés en Algérie en face d’une véritable poussière, d’un état de choses inorganique, où le seul pouvoir était celui du Dey turc effondré dès notre venue, au Maroc, au contraire, nous nous sommes trouvés en face d’un empire historique et indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance, rebelle à toute servitude, qui, jusqu’à ces dernières années, faisait encore figure d’État constitué, avec sa hiérarchie de fonctionnaires, sa représentation à l’étranger, ses organismes sociaux (….)» (Discours de février 1916 devant la Chambre de commerce de Lyon).

Voilà pourquoi Lyautey refusa l’introduction au Maroc des principes jacobins sur lesquels reposait la colonisation de l’Algérie. L’une des premières instructions qu’il donna à ses subordonnés fut donc de «ne pas algérianiser le Maroc», c’est-à-dire tout faire pour que ne soient pas plaquées sur le Maroc les méthodes administratives de l’Algérie française.

Lyautey avait d’ailleurs compris que le Protectorat n’aurait qu’un temps, qu’il n’était qu’une étape transitoire, une parenthèse destinée à être refermée, car, à la différence de l’Algérie, le Maroc était un authentique État-nation, dans lequel la présence française n’était que temporaire. Il n’eut d’ailleurs de cesse de proclamer: «Je suis le premier serviteur du Sultan».

Lyautey avait également compris que l’assimilation était une chimère. Dans le contexte d’impérialisme triomphant et de supériorité coloniale des années 1920, il prononça même une phrase dont la portée était immense, car elle réfutait l’universalisme dans ses arrogantes définitions. À Léon Blum, qui déclara le 9 juillet 1925 à la Chambre des députés: «Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture», Lyautey répondit: «Les peuples de l’Empire ne sont pas inférieurs, ils sont autres.»

Tout était dit dans ces deux phrases. D’un côté, Léon Blum, homme politique de gauche, socialiste «humaniste», universaliste, imprégné de la culture révolutionnaire française, pétri des idéaux de «1789», se croyait investi de la mission de les imposer aux autres dans la totale ignorance de ce qu’ils étaient, et dans le plus profond mépris de ce qu’ils pensaient. De l’autre, un officier monarchiste, servant la France et non la République -la différence est de taille-, et qui, de par son éducation et ses expériences de terrain, refusait l’universalisme niveleur et se faisait le défenseur des cultures et des civilisations.

Les Marocains de l’époque avaient d’ailleurs bien senti que Lyautey les avait en affection et ils le manifestèrent en février 1923. De retour d’Alger en voiture, Lyautey tomba gravement malade alors qu’il se trouvait dans la région de Guercif et l’on craignit pour sa vie. Quasiment inconscient, il fut transporté à Fès, où les médecins diagnostiquèrent une crise de vésicule biliaire nécessitant une opération, mais son état interdisait toute intervention. La foule marocaine se rassembla alors sous ses fenêtres et les oulémas firent réciter les prières d’usage. Quant à l’imam de Moulay Idriss, il vint auprès du malade porteur d’un flacon d’eau de la source sacrée et de cierges qu’il plaça au pied du lit. Le lendemain, Lyautey se sentit mieux. Le miracle s’était produit…

Le maréchal parti, les résidents généraux qui lui succédèrent n’eurent généralement ni son immense respect pour la personne du Sultan, ni son amour du pays et de ses habitants. N’ayant ni son envergure, ni sa puissante personnalité, ils résistèrent donc mal aux directives de Paris, ordonnant d’administrer le Maroc comme un vulgaire territoire colonial… et ils perdirent alors le respect des Marocains.

Par Bernard Lugan
Le 25/02/2025 à 12h00

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