Cependant, cette réorganisation de l’ordre mondial se fait, dans un premier temps, à travers une pluralité de reconfigurations régionales, dont certaines sont plus violentes que d’autres.
C’est au niveau de la périphérie d’un empire que l’on peut ressentir de manière palpable le déclin d’une structure hégémonique. Les velléités d’autonomisation, d’affirmation de la souveraineté et de recherche de nouvelles alternatives stratégiques ont causées autant d’instabilité que d’opportunités nouvelles.
Guerres Azerbaïdjan-Arménie, Russie-Ukraine, Arabie saoudite-Yémen, coups d’État à connotations souverainiste et anti-impérialiste dans plusieurs pays d’Afrique, recentrage de l’hégémonie américaine sur l’Europe pour compenser la perte d’influence au niveau de la périphérie… voilà autant d’éléments qu’il s’agit d’intégrer dans sa grille de lecture afin d’être à même d’en profiter pleinement.
Au niveau de l’Afrique du Nord, les choses bougent aussi, mais dans une perspective moins violente, Dieu merci. Du moins en apparence. Car il y a de ces violences qui font l’économie des tambours de guerre et du fracas des canons.
Je parle ici de la violence symbolique, diplomatique et économique qu’une certaine élite française notamment cherche vainement à nous faire subir.
Si la violence militaire, bien que mortifère, a au moins le mérite de la franchise, celle dont font usage nos ennemis aussi bien au nord qu’à l’est s’exerce par des voies détournées et alambiquées.
En prenant une forme triangulaire, cette dernière permet d’entretenir un schéma permanent de tension, propice aux petits calculs tactiques, mais qui se fait au détriment de la dimension stratégique.
L’un des corollaires des récents bras de fer dans la région est le resserrement tous azimuts des relations entre Rabat et Madrid. Qui l’eût cru? Puisqu’il y a à peine un an et quelques mois, de graves tensions diplomatiques ont animé les relations entre nos deux pays.
Mais comme tout Etat, l’Espagne n’est pas un bloc monolithique et demeure traversée par des contradictions internes. Car si certaines mouvances politiques et idéologiques demeurent porteuses d’un tropisme anti-marocain, davantage que pro-algérien, l’élite espagnole, autant politique qu’intellectuelle, semble malgré tout porteuse d’un réalisme qui prend avant tout en compte les intérêts bien compris du pays, lui permettant jusqu’à présent de garder l’ascendant sur la capacité de nuisance de certains courants politiques, hostiles à ce rapprochement.
Flux gaziers, coopération énergétique, échanges commerciaux de plus en plus importants et bientôt peut-être un tunnel pour relier les deux rives de la Méditerranée... la coopération entre nos deux pays atteint de plus en plus une dimension stratégique.
La géographie étant têtue, notre proximité autant qu’un certain patrimoine historique et culturel commun pourrait servir de base pour faire du bloc Rabat-Madrid un nouveau pivot géopolitique, tourné autant vers la Méditerranée que vers l’Atlantique.
Mais du fait de la fragilité malheureusement structurelle de ce rapprochement, notamment en raison, comme évoqué précédemment, des contradictions internes propres à l’Espagne, l’impératif pour les deux pays serait de multiplier les projets en communs et les interdépendances à tous les niveaux: énergétique, économique, sécuritaire, militaire...
A l’est, un rapprochement de la même ampleur entre Paris et Alger semble peu probable, en raison, entre autres, du prisme opportuniste du pouvoir en France et du manque du fiabilité du pouvoir en Algérie.
Par conséquent, par-delà les rivalités interétatiques qui reconfigurent actuellement les rapports de force dans la région, il s’agit avant tout d’un affrontement entre deux perspectives stratégiques pour la région: l’approche opportuniste de l’«ORDO AB CHAOS» et l’approche réaliste, celle de la stabilité et de la cohérence géopolitique, que nous défendons, nous Marocains, depuis des décennies.