Non, le Maroc n’est pas une île!

Rachid Achachi.

Rachid Achachi.. LE360

Non, le Maroc n’est pas une île, mais une civilisation périodiquement assiégée, dont le vitalisme est contenu. Et non, le Maroc n’est pas imperméable au changement, mais à toute forme d’acculturation ou de tentative de greffe d’un logiciel idéologique qu’il perçoit comme opposé à sa nature profonde.

Le 23/05/2024 à 11h02

En 1998, Abdellah Laroui, pour qui j’ai un immense respect, développe brièvement dans le cadre d’un entretien une idée inédite qui commence par «Le Maroc est une île! (…) Notre destin est d’être une île et nous devons nous comporter comme une population insulaire».

Mais à quoi fait-il référence en développant cette réflexion?

Certes, en nous renvoyant vers la carte du Maroc, pour nous apercevoir de la nature métaphoriquement insulaire du Maroc, il fait référence à la nature topographique, historique, civilisationnelle et linguistique de notre pays, qui, pendant plusieurs siècles, a dû évoluer dans un entre-deux mondes permanent: Monde arabe oriental / Occident chrétien, empire espagnol / empire ottoman, modernité libérale en Occident / Wahhabisme et frérisme musulman à l’Est …

Maintenir l’essence de ses particularités identitaires et culturelles relève dans ce contexte d’une prouesse historique dont seules les nations insulaires sont effectivement capables, à l’instar du Japon ou de l’Angleterre.

Un peu plus de dix ans plus tard, soit en 2009, toujours dans le cadre d’un entretien, l’illustre historien marocain a semblé mettre de l’eau dans son thé, en disant: «Je serais aujourd’hui sans doute moins affirmatif. Notre pays n’est pas une île et notre société est devenue tellement poreuse».

Mais, tout en réitérant mon profond respect et admiration pour l’œuvre de Laroui, je ne peux m’empêcher d’exprimer un profond désaccord quant aux deux affirmations.

Pour la première affirmation, et si l’on se limite aux sept ou huit derniers siècles, on peut plus ou moins clairement distinguer quatre phases, d’environ deux siècles chacune, que l’on développera très succinctement, du fait de la nature même d’une chronique.

La première est une phase de long déclin qui commence à la fin du 13ème siècle, avec la chute des Almohades, et le début d’une perte irrémédiable de toute présence en Andalousie, qui trouve son dénouement avec la chute de Grenade en 1492, dernier bastion de la présence mauresque sur le sol ibérique.

Entre la fin de la première phase et le début de la deuxième, le Maroc connaît en quelque sorte une période de stabilisation -quoique parsemée de troubles et d’anarchies ponctuelles- qui commence avec le règne des Mérinides et se conclut avec la chute des Wattassides.

La deuxième correspond au second élan vital du Maroc après celui des Almoravides et des Almohades, celui qui sera déployé par les Saadiens.

Cependant, cet élan vital ne sera pas dirigé, du fait des rapports de force de l’époque, vers le nord ou vers l’est, mais vers le sud, qui constituera un nouveau tropisme continental dont on continue jusqu’à aujourd’hui de récolter les fruits au niveau de notre soft power et de nos bonnes relations avec les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. Si cette nouvelle projection saadienne vers le sud a pris dans un premier temps une dimension militaire, elle cédera très rapidement le pas à la dimension commerciale et surtout spirituelle qui, siècle après siècle, tissa une trame invisible reliant toujours les âmes et les peuples de cette région de l’Afrique par-delà les frontières et les barrières.

De même, les réformes économiques et militaires, et l’apport crucial en termes de savoir-faire et d’expertise des Andalous qui ont trouvé refuge au Maroc, ont permis en une bataille, celle de Oued Al Makhazine, de mettre définitivement fin aux ambitions du Portugal sur notre territoire, tout en calmant les ardeurs des Espagnols.

L’avant-dernière phase voit une nouvelle dynamique se mettre en place. Portée par la dynastie alaouite, le Maroc entamera, principalement à partir du règne du Sultan Moulay Ismaïl, une dynamique de renforcement de l’appareil étatique afin de centraliser et consolider l’unité de l’empire, ainsi que la mise en place d’une caste militaire qui pourrait s’apparenter aujourd’hui à une armée professionnelle, et qui n’est pas tributaire des caprices tribaux ou des allégeances du moment. Ces réformes ont permis, par-delà la consolidation, de reconquérir une partie des territoires perdus et d’entamer une ouverture diplomatique et commerciale avec les principales puissances occidentales. Il est cependant important de noter que ce processus se déroule dans un contexte de flagrante asymétrie technique, économique et militaire, face à un Occident à l’aube de son épopée coloniale. Cette asymétrie aboutira à terme à l’imposition d’un protectorat au Maroc qui fut, rappelons-le, l’un des rares pays d’Afrique à avoir réussi à sauvegarder sa souveraineté jusqu’au début du 20ème siècle.

Enfin, la dernière phase commence de manière explicite après l’indépendance en 1956, mais qui, implicitement, a commencé à germer sous le protectorat français. C’est celle de la constitution d’un État-nation dans un contexte de modernisation accélérée, et dont le principal défi sera de conjuguer une identité et tradition millénaire et profondément ancrée dans l’inconscient collectif, à une modernité occidentale dont on ne peut se soustraire.

Il en résulte que les seules périodes qui seraient a priori susceptibles d’être qualifiées de manière imagée d’insulaires correspondent à des parenthèses historiques, par nature contingentes. Il s’agit avant tout de périodes de repli, de déclin ou de consolidation, durant lesquelles l’isolationnisme ou l’autarcie temporaire du Maroc ne relève pas d’une quelconque nature ni d’un déterminisme géographique, mais d’un processus interne qui prépare un nouvel élan vital, tout en renforçant notre résilience.

Non, le Maroc n’est pas une île, mais un pays dont l’imaginaire est par nature continental et tellurique, dont les racines civilisationnelles l’amènent irrémédiablement à se sentir à l’étroit dans un schéma d’isolationnisme, et dont la vitalité l’incite en permanence à se projeter au-delà de ses frontières. Si dans le monde d’aujourd’hui cette projection ne peut aucunement prendre une forme militaire, elle n’en demeure pas moins persistante sous la forme d’un rayonnement culturel, diplomatique et de plus en plus économique.

Non, le Maroc n’est pas une île, mais une civilisation périodiquement assiégée, dont le vitalisme est contenu.

Et non, le Maroc n’est pas imperméable au changement. Il est imperméable à toute forme d’acculturation ou de tentative de greffe d’un logiciel idéologique qu’il perçoit comme opposé à sa nature profonde.

Le Maroc change, mais à son rythme. Le Maroc évolue, mais de manière souveraine.

Par Rachid Achachi
Le 23/05/2024 à 11h02

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2-Les 2 dynasties Saadienne et Alaouite sont arrivées au pouvoir non pas en combattant les pouvoirs marocains en place mais en combattant les envahisseurs étrangers. D’où leur légitimité historique. Légitimité qui fait défaut à beaucoup de pays Arabes aujourd’hui. C’est un pays particulier, l’Islam y est arrivé et les populations Amazigh l’ont adopté et ont en fait une civilisation brillante. C’est le cas des Moghols pour l’Inde et des tribus anatoliennes qui elles vont fonder l’un des plus grands empires musulmans. Les Perses malgré leur passé prestigieux ne réussiront jamais à s’étendre au-delà de leurs frontières. Nous avons donc le génie Arabe, le génie Amazigh et celui de ces tribus des confins de l’Asie Moghols et Ottomanes. Et aujourd’hui on reparle de résurgence des empires !

1-Il y a un socle formé par un triangle qui relie les 3 villes impériales : Fès, Marrakech, Rabat. Et ce socle tient fermement malgré les aléas de l’histoire les provinces du Nord et celles du Grand Sud. C’est cette partie du Maghreb qui a toute de suite affirmé une identité propre et distincte et a eu la volonté de façonner son histoire. Elle s’est étendue au Nord et à l’Est avec les 3 premières dynasties et puis au Sud vers l’Afrique de l’Ouest avec les Saadiens. Les Idrissides précurseurs on peut dire d’eux qu’ils ont déposé les premières pierres sur lesquelles s’élèveront les Empires Almoravides, Almohades, Mérinides. Et quand les vents sont contraires, le pays se rétracte et retrouve son socle qu’il défend farouchement.

Le Maroc est une ile et demeurera une ile tant que tout autour, le risque de guerre avec notre voisin algérien, le retournement de veste de la Maurétanie, les changements de Cap et d'humeur des pays européens, les situations géopolitique incertaines en Afrique et dans un monde de plus en plus proche du gouffre reste imminent. Après le cataclysme de la colonisation qui à scindé en parcelles le peuple arabe et musulman et jusqu'à aujourd'hui, puisque certains pays ne cessant leur ingérence via une cinquième colonne bien ancrée dans les structures fondamentales du pays, en l'occurrence son identité. comment ne pas voir l'évidence, que nous sommes véritablement une ile, que nous n'avons pas encore achevé les digues qui sont censés nous protéger des flots prêt à nous submerger à tout moment.

Proposition après proposition, engagement après engagement, initiative après Initiative, ouverture après ouverture....Le Maroc ne cesse de déployer son soft power ds tout les sens. Le sens du partage et le partenariat win-win qui caractérisent nos relations avec nos voisinages européen, africain, arabe et outre atlantique permet au Maroc d'étendre son influence ds tout les domaines. C'est ainsi que notre pays n'est pas et ne peut pas être une île.

Toute mon admiration si Rachid,le Maroc est debout malgré tout insulaire le Maroc ne l a jamais été,ne l est pas et ne le sera jamais encore une fois le royaume a ses hommes et son génie pour rester connecté au monde entier malgré les étouffements volontaires de son voisinage.ayons confiance ,soyons positifs le Maroc est présent avec sagesse et sérénité sur l échiquier international,le chemin est rocailleux certes mais le royaume nivelle dans la sérénité.god bless bladna

Je partage tt a fait votre vision de la chose ,le Maroc a subi beaucoup de pression régionale et internationale,mais s en est souvent sorti sans trop de dégâts.l apport des andalous a été une aubaine pour notre pays qui sommeillait ,déchiré par les querelles tribales ,la sécheresse, les pandémies , etc... Notre pays est devenu une nation grâce à feu Med 5, et feu Hassan 2 .de nos jours nous avons un pouvoir central et une stabilité jalousée, l'armée est ds ses casernes ,les élus travaillent mieux pour développer leurs régions ,le gouvernement gère mieux le pays connecté au monde entier a travers les airs,les ports,et ce fameux internet....non le royaume n est pas une ile ,grâce à sa constitution évolutive le Maroc navigue bien malgré les contraintes grâce à au génie de ses hommes

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