Si ce n’est pas un message d’adieu et de fin de mission, cela y ressemble fort. C’est ce qui transpire tout au long du briefing de 8 pages présenté à huis clos, le mercredi 16 octobre devant le Conseil de sécurité de l’ONU, par Staffan de Mistura, Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU au Sahara. Le discours, aux allures de confidences et dont Le360 détient copie, se veut franc. Il trahit néanmoins un bilan décevant pour le responsable onusien et l’échec de sa mission. On passera sur les constats de désespoir des populations séquestrées à Tindouf en territoire algérien, de l’absence de perspectives et des tensions armées provoquées par le Polisario, pour ne s’intéresser qu’aux propositions de solution que le document contient.
Une fausse bonne idée soufflée par l’Algérie… en 2001
La première est pour le moins surprenante. À l’évidence, il s’est agi plus d’un ballon d’essai, une forme de sondage, que d’une proposition proprement dite. «J’ai, en toute discrétion, repris et réactivé avec toutes les parties concernées le concept de partition du territoire», a déclaré l’émissaire onusien. Une idée qui a déjà reçu, il y a déjà plus de deux décennies, une fin de non-recevoir de la part du Maroc, le Sahara atlantique étant indivisible et non amputable, en partie ou dans sa totalité, du Royaume.
Citant le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, Staffan de Mistura rappelle à juste titre que pour le Maroc, la proposition d’autonomie est le «end game», et non le point de départ du processus, et qu’il s’agit du seul objet possible de négociations à venir avec la participation du Polisario, de l’Algérie et de la Mauritanie.
Mais que cache cette idée de partition soumise par Staffan de Mistura et largement reprise par les médias? En fait, il s’agit d’une proposition datant de 2002 que ce dernier a tenté de remettre au goût du jour. Une démarche qui étonne en ce sens qu’au lieu d’avancer, l’envoyé onusien fait un voyage en arrière dans le temps. Il reconnaît d’ailleurs à son prédécesseur, James Baker, la paternité de cette option mort-née à son époque, il y a plus de 22 ans.
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Tout a commencé le 2 novembre 2001. Le diplomate américain, alors Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, a eu des pourparlers à huis clos à Houston (Texas, États-Unis) avec le président algérien Abdelaziz Bouteflika sur la question du Sahara marocain. Bouteflika est bien au fait de la genèse du dossier, ayant été le ministre des Affaires étrangères de Houari Boumédiène, qui a créé le conflit du Sahara en vue d’ouvrir un corridor à l’Algérie sur l’Atlantique. James Baker a eu droit à cette proposition émanant de Abdelaziz Bouteflika, qui entamait alors son premier mandat en tant que président: le partage territorial du Sahara entre le Maroc et le mouvement séparatiste.
L’option sera dévoilée au grand jour à la communauté internationale, dans le rapport du Secrétaire général de l’ONU sur le Sahara, daté du 20 février 2002 et présenté au Conseil de sécurité. Il y est précisé que «l’Algérie et le Polisario seraient disposés à examiner ou à négocier une division du territoire comme solution politique au différend du Sahara occidental».
Il faut d’ailleurs toujours brandir à l’Algérie ce rapport de Kofi Annan qui démasque les véritables visées du régime d’Alger et anéantit ses pseudo-positions et ses principes apocryphes hérités de la «glorieuse guerre d’indépendance». Si l’Algérie tient tant à l’autodétermination «du peuple du Sahara», pourquoi proposer de sectionner le territoire de ce peuple?
Techniquement, la répartition, telle que soumise dans le briefing de Staffan de Mistura, «pourrait s’appuyer sur les limites de la partie du Sahara occidental contrôlée par la Mauritanie, dans le cadre d’un accord avec le Maroc, entre 1976 et 1979. Plus précisément, la frontière était alors définie comme une ligne droite partant de l’intersection du littoral et le 24ème parallèle nord, en passant par l’intersection du 23ème parallèle nord et du 13ème méridien ouest, et en continuant jusqu’aux frontières préexistantes de la Mauritanie».
Du «réchauffé» et du «troc»
Pour l’Envoyé personnel d’Antonio Guterres, une telle option pourrait permettre la création, d’une part, d’un État indépendant dans la partie sud, et, d’autre part, l’intégration du reste du territoire au Maroc, «dont la souveraineté serait internationalement reconnue». Un moyen pour lui de concilier à la fois les revendications d’autodétermination et d’indépendance, et le projet d’autonomie dans le cadre de la souveraineté marocaine. Staffan de Mistura «le regrette», mais cette fois, tant le Maroc que le front séparatiste, par un effet de mimétisme, n’ont pas donné suite.
Hier comme aujourd’hui, l’idée a donc fait long feu. «C’est du réchauffé et on en connaît la source et la provenance algérienne, comme les circonstances dans lesquelles elle a été avancée par feu Abdelaziz Bouteflika à James Baker. Le refus du Maroc a été catégorique à l’époque, ses droits territoriaux ne se prêtant à aucune forme de marchandage ou de négociation. L’intégrité territoriale est indivisible et non négociable. N’en déplaise à ceux en Algérie qui, hier, hurlaient de grands principes et, aujourd’hui, consentent et défendent une forme de troc et sont prêts à tout et n’importe quoi pour s’assurer, in fine, un accès à l’Atlantique», explique une source bien informée.
Alger, très activement «non concerné»
Le paradoxe est que, tout en étant très actif sur le dossier, de sa genèse à aujourd’hui -les mauvaises langues voudraient que le réchauffé ait été servi cette année encore par la même Algérie-, en passant par l’étape James Baker, le régime d’Alger continue de se dire hors-champ. «Le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed Attaf a continué de soutenir les positions exprimées par le Polisario, tout en insistant sur le fait que son pays ne se considère pas comme partie au conflit», souligne Staffan de Mistura dans son briefing. On avouera que mettre dans la même phrase «soutenir», donc prendre parti, et «ne pas se considérer comme partie» relève de la contorsion lexicale. «Comment un pays qui, en public, crie haut et fort une position constante sur les droits inaliénables des peuples à l’autodétermination, peut, en coulisses, jouer des coudes pour placer un partage de terres et dévoiler au passage sa véritable intention: la recherche d’une contrepartie?», s’étonne cet observateur.
En 2001 comme en 2024, Alger ne fait en cela que réagir suite à une panique. «Si Bouteflika avait suggéré un partage du territoire à l’époque, c’est par réaction au plan Baker I, qui n’allait pas dans le sens de ses intérêts. Maintenant, c’est au vu de la dynamique enclenchée sur le Sahara, à la faveur de la multiplication des reconnaissances internationales de la souveraineté du Maroc et des appuis au plan d’autonomie, que le régime voisin ressort la même vieille carte», précise notre source.
Plus de «détails» sur le plan d’autonomie
L’option du partage n’ayant eu aucune chance d’aboutir -ni Rabat, ni le Front Polisario n’ont exprimé le moindre «signe de volonté» d’aller plus loin-, Staffan de Mistura remet sur la table la proposition du Maroc, à savoir l’autonomie du Sahara sous souveraineté du Royaume. Il ne manque pas de rappeler l’appui exprimé par le Conseil de sécurité aux «efforts sérieux et crédibles» du Maroc, notamment dans sa résolution 2703 (2023), ainsi que le soutien dont l’initiative marocaine jouit dans le monde. «Le fait qu’une autonomie avancée et élargie puisse constituer un modèle de réussite a été illustré dans de nombreuses situations à travers le monde», précise l’Envoyé personnel, citant les cas de l’Écosse, du Groenland, du Trentin-Haut-Adige et bien d’autres.
L’intérêt grandissant que suscite l’offre marocaine crée, selon Staffan de Mistura, «une attente, peut-être même un droit, de mieux comprendre ce que ce plan implique». Pour lui, le moment est venu, et pour tous les interlocuteurs, d’explorer les modalités que le Maroc envisage concrètement. «Je me sens réconforté à cet égard par le fait que j’ai compris, lors de ma consultation individuelle avec le ministre Bourita, à la fin de notre réunion à New York le mois dernier, qu’il apprécie le besoin urgent d’expliquer et de développer le plan d’autonomie de 2007», relève le responsable onusien.
Tables rondes: le round de la dernière chance (avec l’Algérie)
Tout en espérant des progrès au cours des six prochains mois, l’Envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU fixe le mois d’avril 2025 comme date du retour au processus des tables rondes et des consultations sur le Sahara, selon le format précédemment convenu et en présence de toutes parties prenantes, y compris l’Algérie qui, tout en soutenant, abritant, finançant et armant le Polisario, s’estime toujours «non concernée» par le conflit.
Si aucune avancée significative n’est obtenue dans ce délai, qui marquera le 50ème anniversaire du déclenchement du conflit, «c’est pour moi une raison de suggérer au Secrétaire général de réévaluer notre utilité», ajoute l’émissaire onusien. «Par conséquent, les six prochains mois seront un test pour moi et pour tout le monde», conclut-il. Compte tenu de l’opposition d’Alger au format des tables rondes et à l’autonomie, il est probable que Staffan Di Mistura jette l’éponge.