S’ils avaient la moindre once de professionnalisme, les «journalistes» du mensuel de l’armée algérienne, la revue El Djeich, auraient dû faire preuve de rapide réactivité, au vu du grand tapage créé autour du défilé militaire du 5 juillet dernier, et sortir dans la foulée, et à chaud, un «hors-série» ou un «spécial» dédié à cet évènement. Surtout que la propagande locale n’a pas tari de superlatifs envers ce terne défilé, qualifié de «grandiose», d'«impressionnant», à l’organisation «rigoureuse» et à l’exécution «parfaite».
Malgré plus d’un mois consacré à la mise en page du numéro d’août de la revue El Djeich consacré à ce défilé militaire, et dont le contenu est d’ailleurs bourré d’articles déjà parus dans les médias officiels depuis plusieurs semaines, c’est à nouveau un menu médiatique insipide qui est servi, à l’image du défilé militaire qu’il est censé glorifier.
En effet, les images avec lesquelles El Djeich a illustré à foison sa dernière livraison donnent à voir une armée… de saltimbanques s’évertuant à égaler les arts du cirque. A travers l’image de soldats à demi nus, s’adonnant à des numéros de combat au corps à corps ou des commandos à la mine patibulaire, le régime algérien exhibe une armée aux ressorts appartenant au siècle dernier. Une armée dont la communication désuète est à l’image de ses équipements incapables de faire face aux confrontations d’aujourd’hui qui nécessitent des technologies de pointe et le recours à des modes opératoires hybrides.
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La junte a voulu probablement exhiber sa face hideuse et son instinct répressif. Les séquences de soldats jouant avec le feu ne sont pas sans rappeler l’épisode des terribles incendies volontaires de l’année dernière en Kabylie et autres assassinats suspects de militants du Hirak qui les ont accompagnés…
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A qui l’armée algérienne veut-elle donc faire peur? Qui veut-elle dissuader, hormis le peuple algérien? En tout cas, le régime algérien, lui, se dit très fier de ces images de propagande susceptibles d’effrayer l'ennemi (algérien) et présentées comme constituant des armes de dissuasion massive.
Sous le gros titre dans toute sa Une de «Défilé militaire, l’ANP fierté de la nation», El Djeich écrit dans son éditorial, sous le titre «Notre armée, notre fierté», que «le succès remarquable de l’impressionnant et grandiose défilé militaire… était porteur d’un message au peuple algérien, en premier lieu, en vue de le rassurer, mais aussi à l’extérieur pour signifier que les équipements sophistiqués dont est dotée notre armée sont exclusivement destinés à la défense de la patrie».
Messages rassurant pour le peuple algérien? En guise de réponse, la chronique «Commentaire» du même numéro d’El Djeich, titrée «Messages du défilé», reprend textuellement ce qui a été écrit dans l’éditorial précité, en ajoutant que l’«un des plus importants messages véhiculés par ce défilé est la cohésion totale entre le commandement politique et le commandement militaire». Or c’est justement cette connivence mafieuse qui dure depuis 60 ans au sein du pouvoir politico-militaire que dénonce vigoureusement le peuple algérien. Ce dernier a d’ailleurs massivement boudé la fête foraine du défilé militaire, exécuté quasiment à huis clos devant la nomenclature au pouvoir, en présence d’une poignée de badauds et des rares invités étrangers qui ont accepté d’y assister.
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Mais en plus de cette volonté manifeste d’intimidation véhiculée par certaines images, El Djeich a aussi surpris son monde. En abordant les cérémonies du 4 août 2022, célébrant la toute nouvelle journée de l’ANP, la revue militaire a relaté les décorations et hommages distribués par le président Abdelmadjid Tebboune, mais sans mentionner une seule fois les hommages surprenants rendus aux tortionnaires de la décennie noire, les généraux à la retraite Khaled Nezzar et Mohamed Mediène dit Toufik.
De même, c’est la première fois qu’une livraison d’El Djeich ne comporte pas l’habituel dossier consacré à la guerre fictive du Polisario contre le Maroc. Seul un encadré sur la présence de Brahim Ghali au défilé militaire a servi à la revue pour ressasser sa logorrhée sur le soutien algérien aux «causes justes» et patati et patata. Cela n’a pas empêché le porte-voix de l’armée algérienne de trouver un angle pour s’en prendre au Maroc, qualifié de «source de tous les poisons» et accusé de mener une «politique visant à inonder l’Algérie de drogues qui menacent désormais la sécurité et la stabilité nationales et ciblent une catégorie sensible et importante de la société».
Les images d’une armée de saltimbanques, dûment assumées par le régime, sont à l’unisson d’un système militaro-politique qui vit hors de son temps, très satisfait de ses prestations, et dont le déni ne lui permet même pas de voir qu’il est devenu la risée du monde.