Il y a trois semaines, la chaîne documentaire d’Al Jazeera vantait le vivre ensemble et la cohabitation interconfessionnelle en péninsule Ibérique durant l’ère omeyyade, en partant du film du réalisateur américain Michael Schwarz, intitulé «Al-Andalus, une civilisation légendaire».
Impossible pour les deux de ne pas retracer la saga du membre de la famille omeyyade, Abd-al-Rahmane ibn Moawiya, qui avait fui la révolution et le massacre abbassides en Orient pour fonder en Espagne un émirat indépendant, après une halte sur le continent africain où il avait trouvé soutien et protection.
Le film documentaire évoque alors son passage à Tunis, chez ses oncles maternels berbères, puis son embarquement depuis «la rive du détroit de Gibraltar», tandis qu’Al-Jazeera préfère user, à deux reprises, du terme vague, «Afrique», en tant que lieu d’asile et point de départ.
Or, Abd-al-Rahmane 1er a sans doute marqué une halte en Tunisie, mais s’est également établi durant près de cinq ans au Maroc.
L’historien Ibn ‘Idhari al-Marrākushi soutient qu’il avait fui la persécution à Kairouan pour prendre la destination de Tadla, puis Nafza chez ses oncles maternels.
C’était précisément dans le Rif central, sur le littoral méditerranéen, dans une région agricole riche et fertile et une fenêtre maritime ouverte sur le monde.
Quarante années auparavant, en l’an 91 de l’hégire (soit 710 de l’ère commune), durant le califat omeyyade d’al-Walid, un saint homme y avait fait son apparition, de son nom Salih ben Mansour.
La plupart des sources le donnent comme émigrant yéménite, ajoutant même à son patronyme l’ethnique al-Houmayri, en référence au clan sud-arabique de Himyar, tandis que l’historien et géographe al Ya’qubi, qui a visité cette région en 891, rapporte, selon les populations locales, que Salih était natif du pays, de la tribu Nefza.
Ses enfants n’ont pas tardé, en tous les cas, à fonder une principauté, appelée Émirat des Béni Salih ou Émirat de Nekour.
Car si la vocation du pieux ancêtre semble avoir été davantage religieuse que militaire, perpétuée par le fils al-Mu’tasim, l’autre fils et successeur, Idris, établi à Tamsamane, a jeté les bases de la ville de Nekour dont le frère Saïd a fait la capitale de son règne.
C’est donc auprès d’Idris ben Salih que s’établit, en l’an 750, le rescapé omeyyade, âgé alors de vingt ans.
L’historien Tlemçani, Ahmed al-Maqri, affirme à son sujet, dans son Nafh at-Tîb qu’il a poursuivi son chemin jusqu’à ce qu’il atteigne le Maghreb-Extrême pour descendre à Nefza chez ses oncles maternels.
C’est ce que mentionne également l’historien égyptien Saâd Zaghlul Abd-al-Ḥamid, lequel évoque comme lieu d’asile les rivages proches de Sebta, en un endroit voisin de Nekour chez ses cousins de la tribu Nefza.
La confusion des auteurs autour du lieu exact du refuge du prince omeyyade en Afrique du Nord vient sans doute de la grande ramification de cette antique tribu berbère à laquelle appartient sa mère, nommée dans les chroniques Râh ou Redâh.
Selon la tradition généalogique rapportée par Ibn Khaldoun, l’ancêtre de tous les Nefzaoua est Nefzao, père d’Itouwaft dont découlent les tribus Oulhassa, Mernissa, Zahila, Meklata (diversifiés à leurs tour en Aït Ouriaguel, Gueznaïa, Ghssassa, Soumata...).
Branche des Louata (les Levathes de l’historien byzantin Procope), la tribu Nefzaoua serait issue initialement de la région de Barqa, soit la Cyrénaïque sur la côte libyenne.
Les vicissitudes de l’histoire l’ont amené à entreprendre des déplacements, laissant son nom à ses lieux de résidence, avec quelques variantes, dont Djebel Nefoussa en Tripolitaine, Nefzaoua dans le sud-ouest tunisien, Nefza aussi bien au nord de la Tunisie qu’au Maroc dans la région de Tanger...
Sans oublier ses familles de renom en Andalousie dont les Béni Ghazloun, princes de Xativa ou les Béni Nu’man, gouverneurs de Santa Maria.
Il est logique de se demander si cette progression des Nefzaoua, à l’instar des tribus zénètes, aux ramifications présentes anciennement dans le Rif, a commencé avec la conquête musulmane, amenant son lot de tribus amazighes orientales, premières converties à l’islam, ou si ce mouvement de populations s’est opéré à une date antérieure, notamment durant la période de leurs soulèvements contre les Byzantins.
C’est la thèse la plus logique en considération de l’implantation ancienne de leurs branches en Occident Extrême.
C’est en tous les cas de cette tribu, de la ramification parente des Oulhassa, qu’est issu Tariq ibn Ziyad.
C’est également la tribu d’origine de la mère du «Faucon des Quraych», ‘Abd-al-Rahmane.
D’où la protection et l’accueil accordés par ses membres partout où ils se trouvent, probablement une première fois en Tunisie, mais également, durant cinq ans, là où réside une importante branche dont le nom survit encore dans la toponymie locale.
Ce n’est pas un hasard si Abd-al-Rahmane a pris la mer depuis ces rivages, pour accoster juste en face, à Almuñécar, regagnant Séville, puis Cordoue, après des correspondances entreprises avec les élites locales partisanes des Omeyyades pour vaincre Youssef al-Fihri, ancien gouverneur omeyyade d’Al Andalus et de Narbonne.
Ce n’est pas un hasard non plus si les princes de Nekour ont marqué une fidélité à toute épreuve aux Omeyyades de Cordoue, même du temps des plus grandes pressions exercées par les Fatimides, n’hésitant pas à leur tour à faire de Cordoue ou de Malaga une terre momentanée d’exil.
L’éloignement géographique des troubles en Orient reste un argument de taille expliquant le choix du Maroc comme lieu de refuge pour quelques fugitifs notoires.
Ce fut le cas avec Ubayd-Allah al-Mahdi qui allait fonder l’empire fatimide.
Imam des ismaéliens, basé d’abord à Salamyeh en Syrie, il avait échappé à la vigilance des Abbassides pour trouver un bref refuge à Sijilmassa, déguisé en marchand, tandis que le missionnaire propagandiste chiite d’origine irakienne, venu le libérer en ces lieux, avait préparé le terrain politico-religieux en prêchant l’ismaélisme en Petite Kabylie au sein des tribus Ketama.
Cela n’occulte pas des facteurs décisifs telles les concordances doctrinales et les relations fortes de parenté nouées avec les tribus locales.
Illustration avec Moulay Driss dont le fidèle compagnon et protecteur Rachid est donné par plusieurs auteurs comme un membre de la puissante tribu hôte des Awraba.
C’est dire aussi le rôle décisif joué par les autochtones, loin d’être cantonnés à celui de simples spectateurs…