Historiquement, le Maroc a longtemps porté le nom officiel d’«Empire du Maroc» ou d’«Empire Chérifien». Mais depuis quand, au fil des siècles, et surtout jusqu’à quelle date dans les temps modernes, il a été un empire? Sur quelle durée historique s’étend cette appellation?
L’usage de cette appellation est formel et documenté dès le 13ème siècle dans les sources arabes et andalouses, et à partir du 16ème siècle dans les correspondances européennes (françaises, espagnoles, portugaises et anglaises) et ottomanes. Moins connu, le nom d’empire a perduré jusqu’en novembre 1957 dans les correspondances officielles du protectorat français, soit un an et demi après l’indépendance du Maroc. Cette longévité de la perception de sa dénomination historique témoigne de la réalité profonde d’un Maroc rayonnant bien au-delà de ses frontières actuelles.
Le Bulletin officiel du 22 novembre 1957
Au niveau du Bulletin officiel, l’appellation «Empire chérifien» est utilisée pour la dernière fois dans l’en-tête du numéro 2352 du 22 novembre 1957:

Cette appellation d’Empire est remplacée, une semaine après, dans le Bulletin officiel suivant, par «Royaume du Maroc» dans l’en-tête du numéro 2353 du 29 novembre 1957 et suivants:

Ce n’est qu’après l’indépendance que le mot «Empire» a définitivement disparu des documents officiels du Maroc, remplacé par «Royaume du Maroc».
La France a maintenu dans ses courriers le nom d’«Empire» pendant toute la durée du protectorat (44 ans: 30 mars 1912 - 2 mars 1956). On peut se demander quelles raisons ont poussé Paris à garder cette dénomination jusqu’à son départ. Pour l’influence diplomatique que cherchait la France à asseoir en Europe, il était à la fois plus prestigieux et politiquement avantageux de présenter le Maroc conquis sous l’appellation d’empire.
Le régime politique coutumier sera désigné comme royal après la fin du protectorat, le Maroc indépendant aspirant à se conformer aux standards politiques modernes tout en engageant un processus d’institutionnalisation. Cette dynamique aboutira à l’adoption de la Constitution de 1962, consacrant l’instauration d’un régime de type monarchie constitutionnelle. Dans cette logique de modernisation, le monarque abandonne son titre traditionnel de «Sultan» pour celui de «Roi», affirmant ainsi la nouvelle identité politique du pays.
Le titre d’«Empire du Maroc» dans l’Histoire
En 1154, le célèbre géographe Al-Idrissi, dans son œuvre «Nuzhat al-mushtaq fi ikhtiraq al-afaq» (Le Livre de Roger), évoque l’idée d’un empire marocain dans sa description des dynasties maghrébines. En 1377, Ibn Khaldoun, dans son «Kitāb al-’Ibar» (Livre des exemples), décrit le Maroc comme un «grand royaume impérial».
Dès le 16ème siècle, le vocable se répand chez les explorateurs et diplomates des puissances européennes, notamment sous Moulay Ahmed al-Mansour (Ed-Dhahbi, règne de 1578 à 1603). Le pays s’était imposé comme une grande puissance régionale après la bataille des Trois Rois (1578) et l’expédition africaine de Tombouctou et Gao en 1591.

Avec l’avènement de la dynastie Alaouite au 17ème siècle, le Maroc poursuit son rôle de puissance indépendante face aux Ottomans et aux Européens. Les documents diplomatiques européens de cette époque mentionnent le «Grand Empire du Maroc» pour désigner la puissance du sultan, notamment sous Moulay Ismaïl (règne de 1672-1727), qui a renforcé le caractère impérial du royaume avec ses expéditions militaires et ses relations diplomatiques.
Exemples de livres mentionnant «Empire du Maroc»:
Luis del Mármol Carvajal, «Descripción General de África» (1573), qui décrit «l’Empire du Maroc sous les Saadiens».
Jean-Baptiste Gramaye, «Africae Illustratae» (1600), qui parle de «l’Empire du Maroc et ses relations avec l’Espagne et l’Empire ottoman».
Jean-Baptiste de la Faye, «Histoire de Barbarie et de ses corsaires» (1682), qui parle des relations entre «l’Empire du Maroc et les corsaires barbaresques».
François Pidou de Saint Olon, «Relation de l’Empire de Maroc» (1695) est une relation diplomatique de l’ambassadeur de Louis 14 au Maroc.

William Lemprière, dans son «Voyage dans l’Empire du Maroc et le Royaume de Fès» (1791), décrit la capitale Marrakech comme impériale.
Edgard Rouard de Card, «Une compagnie française dans l’Empire du Maroc au XVIIème siècle» (1884), retrace l’histoire d’une entreprise française opérant au Maroc, offrant un aperçu des relations commerciales et diplomatiques entre la France et le Maroc durant cette période.
Jules Cambon, «Documents pour servir à l’étude du Nord-Ouest africain» (1894), réalisé par le gouverneur général d’Algérie mentionne fréquemment l’«Empire chérifien» en parlant du Maroc.
Marcel Monmarché, «Le Maroc» (1919), publié par Hachette, désigne souvent dans ses pages le Maroc sous le terme «Empire chérifien».
Des villes impériales et un état monarchique enraciné
Jusqu’en 1957, le Maroc a conservé son statut d’Empire, tant sur le plan symbolique que politique, malgré les bouleversements qu’il a traversés. Cette continuité étatique a profondément marqué l’histoire du pays et façonné ses grandes cités. Parmi elles, Fès, Marrakech, Meknès et Rabat, les quatre dites à juste titre «villes impériales», qui ont successivement administré l’Empire, témoignant de la grandeur et de la stabilité du pouvoir marocain à travers les âges. Dans l’époque moderne (à partir de 1453 conviennent les historiens) aucun autre pays dans la région, ni la Tunisie ou la Lybie, ni l’Égypte ou la Mauritanie, et encore moins la très «nouvelle» Algérie, ne peuvent prétendre avoir une histoire impériale.

L’héritage impérial du Maroc demeure néanmoins un élément fondamental de son identité politique et culturelle. L’appellation «Empire chérifien» reflète toujours le statut du pays en tant que nation historique et souveraine, avec une monarchie qui puise sa légitimité dans un passé glorieux. Aujourd’hui, le Maroc continue d’entretenir cette mémoire impériale à travers son attachement aux traditions millénaires, à son rôle géopolitique en Afrique, en Méditerranée et dans le monde arabe.
Bienvenue dans l’espace commentaire
Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.
Lire notre charte