Le petit Bachar

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.. Le360

ChroniqueComme un lâche, un pauvre type, sans dignité ni courage, il a pris la fuite. Ce n’est pas étonnant de la part d’un héritier de la barbarie telle qu’elle a été enseignée par son père. Bachar est un minable.

Le 09/12/2024 à 11h01


1- S’il y a un pays, une société où la laïcité est de l’ordre de l’impossible, c’est bien le Maroc. Pas par excès de religiosité. Pas par haine de la séparation de l’État et la chose publique. Non, simplement parce que l’Islam est présent partout, se manifeste à tous les niveaux et constitue un ciment important et une source d’apaisement dont nous avons besoin. L’Islam est certes une religion, la dernière révélée, mais c’est aussi une morale, un réservoir des valeurs régissant la vie en commun, un référent, une maison, une sécurité.

Ce qu’en font les hommes est une autre histoire. Je constate objectivement que la plupart de nos actes font d’une façon ou d’une autre référence à l’Islam.

La laïcité à la française (loi de 1905) s’inscrit dans une histoire propre et a été arrachée à l’Église par de grandes luttes. Elle s’est imposée à la société suite, une suite lointaine, mais logique, à la révolution de 1789.

Notre histoire est différente. Notre langage est truffé de références à Dieu et à son Prophète. Chez certains, chaque phrase est accompagnée par une prière verbale. In Cha Allah, Hamdoulillah, Allah Yahfed, Allah Akbar, Bismi Allah, Allah Ma’ak, Fi wajhi Allah, Allah Chahed, etc.

Notre arabe dialectal est ainsi traversé de tous côtés par des références à la divinité. C’est Pr Abdallah Laroui qui me l’avait fait remarquer lors d’une discussion sur l’avenir de l’Islam chez nous.

L’Islam est bien installé, bien ancré dans les mentalités, bien respecté et bien aimé.

Non, pas de laïcité. Ce qui ne nous empêche pas, en construisant l’État de droit, de faire la part des choses et de privilégier la rationalité du droit au prêche.

Le fait en plus que le rite que nous suivons soit le rite malékite fait de nous des musulmans très modérés.

L’apparition ces dernières décennies du phénomène de l’intégrisme islamique, qui a politisé la religion, ne doit pas nous éloigner d’une réalité sociale qui est plus tolérante et plus raisonnable.

Cela étant, nous ne jouissons pas de «la liberté de conscience» (du moins jusqu’à présent). Croire ou ne pas croire. Être seul responsable de ses actes et de ses pensées. Cela, nous ne l’avons pas inscrit dans la Constitution.

L’athéisme manifeste reste de l’ordre de l’interdit. C’est une des libertés que la Constitution n’accorde pas et n’accordera jamais aux citoyens de ce pays.

Le fait que la foi reste du domaine du privé (mon voisin n’a pas le droit de me faire la morale si je ne prie pas, par exemple) est une liberté de conscience que l’État a des réticences à accorder. Ce serait ouvrir une brèche dans la muraille. Or, Dar al Islam, on ne peut pas la quitter. C’est ainsi.

«En réponse à des manifestations pacifiques des Syriens, réclamant liberté et démocratie, le petit Bachar fait appel à l’armée et donne l’ordre de tirer sur tout ce qui bouge.»

2- Comme un lâche, un pauvre type, sans dignité ni courage, il a pris la fuite. Ce n’est pas étonnant de la part d’un héritier de la barbarie telle qu’elle a été enseignée par son père. Bachar est un minable.

Bon débarras. Sauf que la justice syrienne, ou au moins celle du Tribunal pénal international, doit l’arrêter et le juger pour tous ses crimes abominables.

Son père, Hafez al-Assad, a pris le pouvoir en Syrie à la suite d’un coup d’État en 1971. Il est connu pour le massacre de toute une population, une nuit de 1982, à Hama, où étaient réunis des Frères musulmans. Vingt mille morts.

Le fils, Bachar, suivait des études en médecine en Grande-Bretagne. Il était destiné à soigner des gens. Le hasard fait que le successeur du père meurt dans un accident de la route. Hafez al-Assad rappelle son rejeton et lui dit: «Tu me succèdes».

Ce que Bachar fit à la mort de celui-ci en 2000. Le même système des Moukhabarate, avec arrestations, tortures et disparitions des opposants, s’est poursuivi. Une machine bien huilée.

Onze plus tard, en mars 2011, le «Printemps arabe» passe par là. En réponse à des manifestations pacifiques du peuple syrien, réclamant liberté et démocratie, le petit Bachar fait appel à l’armée et donne l’ordre de tirer sur tout ce qui bouge.

La guerre civile a commencé. Six millions de Syriens sont déplacés, réfugiés un peu partout dans le monde (trois millions en Turquie, un million en Allemagne, dont Angela Merkel régularise la situation et qu’elle intègre dans la société).

Des centaines de milliers de morts, sans compter des milliers de disparus à jamais. Les amis de Bachar sont à l’œuvre: la Russie bombarde Alep et Homs, et l’Iran, à travers le Hezbollah installé chez le voisin libanais, lui prête main-forte. Il fait venir de mercenaires afghans et pakistanais pour achever d’installer le chaos dans toute la Syrie, en dehors du palais.

Le pays est en ruines. Et la minorité des Alaouites Nassyriens, vaguement chiite, domine.

Hier, l’histoire a mis fin à un demi-siècle de barbarie et de dictature. La suite, comme l’a dit un manifestant, «ne pourra pas être pire».

Par Tahar Ben Jelloun
Le 09/12/2024 à 11h01