Pas de «hawli» cette année pour Aïd Al-Adha!

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueOn l’espérait. On l’appréhendait! On la redoutait! La nouvelle est tombée: il n’y aura pas de sacrifice pour la fête du sacrifice!

Le 21/03/2025 à 11h59

Beaucoup de gens l’espéraient: «Pourvu que le Roi interdise le sacrifice.» Je répondais: «Mais décidez-le par vous-même.» Pas si simple face à la culpabilité religieuse. Si l’initiative vient du Roi, c’est lui et l’État qui en assument la responsabilité devant Dieu. Le discours religieux présente le sacrifice du mouton comme une obligation et effraie les croyants.

Le 26 février, le Roi, via le ministre des Habous et des Affaires religieuses, a appelé les Marocains à éviter de procéder au sacrifice de Aïd Al-Adha cette année. Il a rappelé que ce rituel ne fait pas partie des cinq piliers de l’Islam et que c’est une sunna, un ensemble de normes et d’usages traditionnels reconnus.

Aussitôt, les réseaux sociaux se sont enflammés, débordant de vidéos comiques où l’ont voyait des moutons danser en remerciant le Roi de les avoir épargnés. Surtout, la majorité de nos concitoyens a poussé un immense ouf de soulagement et demandé à Dieu de protéger notre Roi pour cette sage initiative.

Parmi eux, il y a les disciplinés, convaincus que cette décision était réfléchie, et qu’elle a été prise pour notre bien à tous.

Il y a les résignés, qui n’ont pas les moyens d’acheter un mouton, dont le prix peut dépasser le double du SMIG marocain. Des familles qui s’endettent tous les ans. À peine ont-ils fini de payer un crédit à la consommation que la nouvelle fête les plonge dans un nouveau. Ils sont sauvés cette année, mais ils regrettent quand même les joies du rituel.

Il y a les heureux, ceux pour qui ce sacrifice n’a aucun sens, mais qui s’y soumettent sous la pression sociale, pour ne pas être critiqués par leur entourage.

Il y a les «je-m’en-foutistes» qui n’ont jamais respecté le rituel. «Un mouton me coûte mon salaire mensuel. Le Prophète Ibrahim, lui, l’a eu gratuitement!», ironisent-ils. Ils profitent de la fête pour voyager et s’offrir un plaisir autre que celui de manger de la viande. Une viande refusée par des jeunes à cause de son apport en cholestérol… surtout la génération des hamburgers industriels.

Il y a aussi les écologistes. «Nos villes ne seront pas investies par les espaces où sont parqués les moutons. Il n’y aura pas de bottes de foin en vente partout. L’espace public ne sera pas jonché de déchets, ni enveloppé par la fumée grisâtre des têtes de moutons qui brûlent sur des braseros improvisés et exposés dans les coins de rue», s’enthousiasment-ils.

Il y a les révoltés qui jurent que rien n’arrêtera les recommandations divines. «Je sacrifierai mon mouton. Personne ne m’en empêchera. C’est mon argent et j’en fais ce que je veux!» Certains parmi eux sont hermétique à tout argument ou débat. Ils savent tout. «Hay hay! Ce n’est pas la sécheresse ! C’est Akhannouch, le Chef du gouvernement, qui a pris cette décision pour faire fructifier son cheptel et nous le vendre plus tard au prix fort!»

«Aïd Al-Adha est plus une fête sociale et familiale que religieuse, avec le rituel autour du sacrifice qui rassemble les familles et leurs membres dispersés à travers le pays. C’est la fête des retrouvailles.»

Il y a les chouïa paranoïaques: «Ils cherchent à brimer le peuple. Tout ce qui peut nous donner de la joie, ils le suppriment. Mais eux, ils font ce qu’ils veulent!» J’ignore qui sont les «eux».

Il y a les opportunistes: «Le prix du mouton est tombé de moitié. Je vais acheter un agneau pour la fête.»

Il y a les récalcitrants, butés, entêtés: «Impossible d’annuler. J’attendrai que les prix chutent pour en acheter un après la fête et faire tout le rituel.»

Il y a ceux qui se pensent très rusés: «Non, pas de mouton. Mais une naâja (brebi)s. Elle est moins chère!» Ce qui est pire, puisque c’est la brebis qui perpétue la race. D’ailleurs je viens d’apprendre que les autorités viennent d’interdire l’abattage des brebis dans les abattoirs.

Il y a ceux qui s’accommodent de cette décision, mais nombre d’entre eux disent: «Non, pas de mouton. Juste du boulfaf (les tripes) pour faire des brochettes et douwara.» Mais d’où ramèneras-tu ces tripes? Il faut bien tuer un mouton. Et si chacun de nous achetait du boulfaf, cela reviendrait à tuer des millions de moutons.

Les plus heureuses sont finalement les maîtresses de maison: «Dieu protège notre Roi. Nous échappons à la corvée cette année!»

Il en est de même pour les écœurées: «Je déteste le sang, l’odeur du mouton et de ses tripes. Je suis heureuse!»

Beaucoup envisagent de s’offrir un voyage lors de la fête, pour compenser. Beaucoup se demandent si leurs employeurs leur accorderont la prime de Aïd Al-Adha alors qu’il n’y a plus de sacrifice.

C’est la quatrième fois que le sacrifice est annulé. Ce fut le cas en 1963. Le Maroc, affaibli par la Guerre des sables, qui l’opposait à l’Algérie, a dû repousser les forces algériennes sur sa frontière et récupérer une partie de son territoire. Une crise socio-économique et une insuffisance du cheptel ont dicté cette interdiction. En 1981 et 1996, le défunt roi Hassan II, face à la crise économique et à une sévère sécheresse, a annoncé l’annulation du sacrifice.

Aujourd’hui, c’est une sage décision. Après sept ans consécutifs de sécheresse, le cheptel a diminué de 38%. Le prix de la viande a flambé. Sans pluie, les fermiers n’ont plus d’herbe pour leur troupeau. Ils le nourrissent avec de l’alimentation industrielle, dont le prix se répercute sur le prix de la viande. De trop nombreux fermiers n’ont plus de troupeaux, faute de moyens.

L’année dernière, près de cinq millions de moutons ont été sacrifiés. Si cela se répète cette année, les effets sur le prix de la viande seraient catastrophiques.

Aïd Al-Adha est plus une fête sociale et familiale que religieuse. Outre la viande, il y a tout le rituel autour du sacrifice qui rassemble les familles et leurs membres dispersés à travers le pays. C’est la fête des retrouvailles.

Sans oublier que pour la majorité de la population, cette fête est l’occasion de manger une viande à laquelle elle n’a pas accès toute l’année.

Espérons que l’année prochaine sera assez pluvieuse pour éviter les frustrations et permettre à chacun d’agir selon ses envies et ses convictions.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 21/03/2025 à 11h59

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