Retour de Turquie

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueJe sais que les Marocains aiment se rendre en Turquie. Ils n’ont pas besoin de visa. Et puis Istanbul est une des plus belles villes du monde, avec le Bosphore qui coule en son milieu. C’est magique, c’est merveilleux.

Le 25/03/2024 à 12h06

Chaque fois que je me trouve en Turquie, je regrette que ce grand pays ne fasse pas partie de l’Union européenne. Le refus quasi hystérique, à l’époque, de la part de certains chefs d’État européens était motivé par la haine et la peur de l’islam. L’ancien président français Giscard D’Estaing l’avait formulé de manière claire: «Jamais nous n’accepterons une Europe où il y aura cent millions de musulmans». Dommage, car la Turquie fait partie de l’Otan et cela ne pose pas de problèmes particuliers.

Les Européens ont eu tort. D’abord la Turquie est un pays laïc depuis que Mustapha Kamel Atatürk (1881-1938) a aboli le califat en 1924 et mis en place la laïcisation de la société en la modernisant. Certes, l’islam y est pratiqué par une partie de la société, mais il n’est pas dominant.

Les Turcs ont leur fierté. Ils n’ont pas insisté et leur pays se développe et progresse dans la plupart des domaines.

On me dira «Oui, mais c’est un État policier». Oui, il est menacé par le terrorisme et fait tout pour assurer la sécurité de sa population. Depuis la tentative de coup d’État de juillet 2016, Erdogan en a profité pour éliminer certains officiers qui n’étaient pas de son camp et mis en prison des opposants. Erdogan n’est pas un tendre. Il aime le pouvoir et fait tout pour le garder.

«Il n’y a rien à voir à Ankara! La capitale! Une grande ville de province, construite il y a à peine cent ans», me dit un ami turc quand il apprit que je partais y donner une conférence à l’Université.

Il a raison. C’est une ville sans caractère, sans charme, peut-être sans âme. Les murs disparaissent derrière de grandes affiches pour les élections municipales de dimanche prochain. Erdogan n’est pas sûr que son parti l’emporte. On le voit sur des photos où il se penche sur un vieil homme, comme pour le rassurer.

Cinq-cents étudiants m’attendaient de pied ferme à l’entrée de l’Université. Le recteur, homme du pouvoir, me fait un accueil très chaleureux et me remet une médaille symbolisant la ville.

La plupart de mes livres sont traduits en turc. La séance de dédicace a duré plus que celle de la conférence sur «le rôle de l’écrivain par temps de crise».

Lisent-ils? Certainement. Ils m’ont dit que la société turque et la marocaine se ressemblent, notamment pour ce qui est de la condition de la femme. Ce n’est pas tout à fait vrai. Mais, ce qui est remarquable, c’est que c’est une société laïque malgré les tentatives du parti islamiste d’Erdogan d’islamiser le pays.

En plein ramadan, les restaurants sont ouverts. Tolérance absolue des Turcs qui déjeunent, boivent de la bière et fument tranquillement.

Pays émergent, il vit cependant sous la menace d’un séisme important. Déjà l’an dernier, la ville d’Antakya a été détruite par un tremblement de terre de haute intensité.

La hantise du tremblement de terre existe, mais on n’en parle pas. On continue de vivre. Les rues piétonnes d’Istanbul, notamment la rue Istiklal, sont pleines jusque tard dans la nuit avec leurs commerces ouverts.

On peut dire qu’une majorité de Turcs apprécient d’avoir un leader de la trempe d’Erdogan. Fier et fort, il s’est imposé comme un chef charismatique qui se permet de dire leurs vérités aux grands de ce monde. Son parti, l’AKP (Parti de la justice et du développement, M. Benkirane n’a rien inventé), est actif dans les villes et surtout dans les campagnes.

Dimanche prochain, des élections municipales auront lieu dans le pays. Erdogan compte «récupérer» Istanbul, la plus grande ville du pays avec ses 20 millions d’habitants.

L’ouverture sur le monde est symbolisée par l’un des plus grands aéroports du monde, qui dessert pratiquement toutes les capitales de la planète. Un conseil pour ceux qui partent à Istanbul: prévoyez quatre heures d’avance avant le décollage. Tout est bien indiqué, mais c’est immense, au point que cela donne le vertige.

En dehors de l’arabe, les langues étrangères (français, anglais et allemand) ne sont plus enseignées dans les écoles publiques. Le privé et les instituts de ces pays s’en chargent. De plus en plus de familles aisées envoient leurs enfants étudier à l’étranger, aux États-Unis en particulier. Elles ne les encouragent pas à revenir faire leur vie en Turquie.

Je sais que les Marocains aiment se rendre en Turquie. Ils n’ont pas besoin de visa. Et puis Istanbul est une des plus belles villes du monde, avec le Bosphore qui coule en son milieu. C’est magique, c’est merveilleux.

J’ai appris par un ami marocain résidant à Ankara qu’il y a un réseau constitué de femmes marocaines qui viennent en Turquie pour se marier.

Souvent, les époux sont des paysans des régions du nord, frustes et assez violents. Certaines femmes ont essayé de s’enfuir, mais leur passeport était entre les mains du mari.

La violence contre les femmes est une réalité dont on ne parle pas, sauf dans certains films qui ont montré une société dominée par des hommes-brutes comme dans «Yol», de Yilmaz Güney (Palme d’or 1982 à Cannes) ainsi que son autre film, «Le mur», qui se passe dans un village reculé d’Anatolie.

À voir aussi une autre Palme d’or, le film «Winter Sleep» de Nuri Bilge Ceylan, dont le sujet traite de la condition de la femme dans un village de Cappadoce.

La littérature n’est pas en reste, de Yacher Kamal à Orhan Pamuk (Prix Nobel de littérature), la Turquie est décrite dans ses travers, dans ses contradictions et aussi dans son énergie et sa fierté.

L’opposition à la politique d’Erdogan existe, mais elle ne jouit pas des libertés dont elle a besoin. Le système politique turc est considéré par des observateurs comme «partiellement démocratique». La riposte d’Erdogan à la tentative de coup d’État de 2016 est passée outre toute démocratie.

Les relations avec notre pays sont bonnes, mais pas très actives. D’après un observateur, la Turquie est davantage tournée vers ses voisins les plus proches comme la Syrie, l’Irak et la Russie. Le Maroc paraît loin, géographiquement et culturellement. Dommage.

La beauté et la richesse des monuments à Istanbul, ses musées, ses mosquées, son bazar et son artisanat incitent nos compatriotes à faire le voyage et découvrir la civilisation d’un empire qui n’avait pas réussi à s’implanter au Maroc, au moment où il régnait sur l’Algérie, l’Égypte et les pays voisins.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 25/03/2024 à 12h06

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De Gaule,ex président de france,pour donner l'indépendance à l'algérie musulmane,a fait peur aux français colonisateurs voulant posséder l'algérie: l'algérie restant française,et musulmane,va islamiser la france,ainsi la france a lâché l'algérie de peur des musulmans,la turquie aussi peut faire mal aux européens si elle s'introduit dans l'union euro,les euros doivent refuser la turquie,c'est un danger pour eux,ils peuvent toujours réveiller leurs sentiments de l'empire ottoman malfaiteur

C est mieux pour la Turquie de conserver sa souveraineté et donc de ne pas être "fondue" dans l Europe dont l objectif est de lisser et nettoyer les pays européens de leur culture d'origine par un wokisme hyper offensif et que les citoyens européens de plus en plus nombreux ne veulent pas. M. Ben Jelloun aujourd'hui intégrer l'Europe voire l Otan n est plus un cadeau, l Europe est un boulet et un fardeau qui impose des règlements ineptes à des gens qui n en veulent pas. Aujourd'hui il faut fuir l Europe qui est devenue une dictature anti démocratique, restrictives, et alienante.l Europe n a plus d'avenir et va en mourir.

Un autre reproche, en 1927? Mustapha Kamal a abandonné la langue arabe et a latinisé le turc pour se rapprocher de l'occident. C'est pour cette raison que cet empire ne doit être nommé de Khalifa. Enfin, les marocaines des années 1980 portait un fichu "Darra". Le hijab a été introduit par les islamistes du PJD au Maroc.

Mes professeurs marocains et non "canadiens" avaient une dent contre l'empire ottoman. Il m'ont transmis cette méfiance. C'est la raison pour laquelle je n'aime pas le PJD. Les dirigeants de ce partie avaient une sympathie excessive à l'égard de M. Rajab Erdogan. Inconsciemment il sous estimaient les capacités du du Maroc qu'ils censé diriger...Actuellement, je considère que la décadence du monde arabe est de la responsabilité de l'empire turc. En effet, il a privilégié la force qui était nécessaire au début et a sous estimé la science et la culture. L'empire portugais a et à moindre degré l'espagnole ont également sombré pour les mêmes raisons....

Eh oui la langue mère bascule les peuples en haut pas l’inverse. On souhaite bien que notre langue prenne sa place dans notre maison. C’est hyper drôle

Certains oublient que les Turcs ottomans ont colonisés les pays arabes pendant des siècles à l exception du Maroc ! Eux n ont jamais été colonisés . Alors pourquoi parleraient ils une autre langue que le Turc ?

J'admire chez les Turcs leur patriotisme et leur dynamisme, ils aiment leur pays et leur langue jusqu'à la moelle. En visitant la Turquie j'étais étonné de constater qu'il n'y a usage que de la langue Turque, aucune trace du Français et très peu d'Anglais. Istanbul, avec ses 16 millions d'habitants trés activent, est une ville immense très bien gérée et son aéroport est une ville ds la ville, mais quel contraste avec Casablanca qui n'arrive pas à se maîtriser avec ses 4 millions d'habitants seulement!

Quand on lit ce billet de Monsieur Ben Jelloun et celui de Florence Kuntz ,sur ce même site,on réalise à quel point une même réalité peut être perçue différemment selon que l'on soit un(e) politique ou un homme de lettres ! Dans le premier cas,la réalité semble indépassable.Alors que Monsieur Ben Jelloun ''regrette que ce grand pays(la Turquie) ne fasse pas partie de l’Union européenne'', Florence Kuntz estime que déjà l'élargissement à 27 complique le fonctionnement du club,et que la situation risque de s'aggraver par l'adhésion de l’Ukraine et de la dizaine d’États de l’Est et des Balkans occidentaux . Si maintenant on y ajoute la Turquie,l'UE aura des frontières communes avec la Syrie,l'Irak,l'Iran et l'Arménie,et Bonjour les dégâts 🙀 .

Driss comment l'arrogance politique de la Turquie la brouille tout, ce n'est pas parce qu'elle 1/10me de son territoire sur la partie Europe que le reste pèsera, arrogance qui l'empêche de faire avec l'irak et les autres au lieu e chercher a s'atteler a l’Europe de 27 (y a bousculade) Peut-être que la turquie traine encore son complexe "Ottoman" au mépris des pays arabes qu'elle a dominé au siècle dernier, alors Ankara veut jouer dans la coure de Bruxelles et non dans celles de Bagdad et des EAU

Les Turcs sont fiers de leur langue qui est utilisé comme langue officielle dans l'éducation et l'économie.

La Turquie est un pays important, mais a mon avis La diplomatie turque est très changeante . Cette fluctuation rapide est une force parce que la Turquie s'adapte rapidement aux diverses circonstances de manière pragmatique. Mais c'est une faiblesse parce que personne ne peut considérer la Turquie comme un allié fiable..et les positions turques restent instables ..

sachons que si cette Turquie n'était peuplée que 5 a 12 millions d'âmes, y a belle lurette qu'elle serait européenne mais avec 90 millions de musulmans, aucun pays européen ne voudrait de la Turquie en son sein. tous les sondages et a tous les niveaux : hommes et femmes politiques et simples citoyens (surtout) en Europe ont une crainte assez implantée en eux

"Son parti, l’AKP (Parti de la justice et du développement, M. Benkirane n’a rien inventé)" Ce sont les turcs qui ont pris le nom du PJD marocain pas l'inverse.

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