Alors que la polémique enfle sur les 13 milliards de dirhams évaporés au titre de subventions aux importations des viandes rouges, le gouvernement daigne enfin réagir. Le mercredi 2 avril, le ministère de l’Agriculture a publié un communiqué qui se voulait détaillé et explicatif, mais qui a surtout péché par son caractère tronqué. Et c’est peu dire. Une sortie tardive, étriquée, qui tente de justifier les subventions pour les ovins de l’Aïd, mais qui ne fait en réalité qu’esquiver le gros du troupeau en panique.
Ainsi donc, la tutelle limite les dépenses engagées à (seulement) 437 millions de dirhams. Un montant qui a servi à importer 875.000 têtes d’ovins (386.000 en 2023, 489.000 en 2024), dans le but de compenser le déficit enregistré sur le marché et juguler ainsi la flambée des prix à l’occasion des célébrations de Aïd Al-Adha au titre des deux années indiquées.
Techniquement, cette enveloppe a financé la subvention de 500 dirhams par tête instaurée par le gouvernement, mesure accompagnée de la tonte des droits de douane et de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), pour le plus grand bonheur de 156 importateurs (61 en 2023, 95 en 2024). Selon le communiqué, cette opération, ouverte à tous les opérateurs répondant aux critères d’un arrêté conjoint avec le ministère de l’Économie et des Finances, visait à garantir l’approvisionnement pour l’Aïd, stabiliser les prix des viandes rouges et préserver un cheptel national ravagé par la sécheresse et l’inflation. Le tout, avec «un effet tangible», se félicite le département d’Ahmed El Bouari, qui doit au demeurant son poste à un certain Akhannouch. Sauf que, plutôt qu’une réponse sérieuse aux critiques, ce texte et ces chiffres sonnent comme une comptine destinée à les endormir.
Le communiqué se limite en effet au seul dispositif lié à Aïd Al-Adha, et occulte le fait que l’aide étatique va bien au-delà. Le scandale, comme le rappelaient notamment Nizar Baraka, secrétaire général du Parti de l’Istiqlal et pourtant ministre du gouvernement Akhannouch, et Nabil Benabdallah, secrétaire général de Parti du progrès et du socialisme (PPS), l’une des rares voix audibles de l’opposition, ne se limite pas aux ovins de l’Aïd, mais englobe aussi les bovins.
Concernant les ovins, Nabil Benabdallah pointait d’ailleurs le montant de 237 millions de dirhams de subventions pour l’importation de 474.312 têtes en 2024, mais aussi, et surtout, plus 3,86 milliards de dirhams de droits de douane et 1,16 milliard de dirhams de TVA sacrifiés entre février 2023 et octobre 2024 au profit de 144 importateurs. S’agissant des bovins, il faut compter 7,3 milliards de dirhams sous forme d’exonérations de droits d’importation entre octobre 2022 et décembre 2024, pour l’importation de 120.000 têtes, et 744 millions de dirhams de TVA envolés entre février 2023 et octobre 2024, au profit de 133 importateurs.
Circulez, il n’y a rien à voir!
Des accusations face auxquelles le ministère de l’Agriculture réagit bien timidement. Même l’esquive est laconique: «La suspension des droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée n’a eu aucune incidence financière sur le budget de l’État, en ce sens que l’application de ces droits au cours des années précédentes (200%) avait pour objet de protéger le cheptel national et n’a pas généré de recettes pour la trésorerie de l’État», lit-on encore dans le communiqué. Entendez donc que le manque à gagner accusé par l’État n’en est pas vraiment un. Ce sera tout, circulez, il n’y a rien à voir!
Les 437 millions de dirhams, puisés directement dans les poches des Marocains et accordés généreusement à une poignée d’importateurs, ont-ils servi à juguler la hausse des prix? La réponse est clairement négative. La politique du gouvernement Akhannouch en la matière est donc un échec manifeste, à ajouter à bien d’autres. Le silence sur le reste est, lui, coupable. Dans «le reste», citons les accusations d’opacité dans la gestion des subventions et la sélection des heureux importateurs qui en ont bénéficié. Le favoritisme voulant que dans le lot se trouvent de nombreux élus de la nation encartés au Rassemblement national des indépendants (RNI), parti dirigé par le Chef du gouvernement, qui se sont bien engraissés, on en parle? Quant à l’absence de résultats concrets et de réel impact sur les prix, l’exécutif préfère éhontément y voir une prouesse. Affaire à suivre.
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