Tamesna: l’inadmissible fiasco d’une «ville nouvelle» devenue abri idéal pour terroristes

Une des principales artères de la ville de Tamesna. (Y.Mannan/Le360)

Le 23/02/2025 à 15h25

VidéoPensée pour désengorger la capitale voisine, la ville nouvelle de Tamesna s’est vite muée en une cité-dortoir sinistre, privée des services publics et des infrastructures les plus élémentaires. Résultat: un terreau idéal pour les dérives les plus inquiétantes. C’est là que des éléments terroristes ont été arrêtés, et où la dernière opération antiterroriste du pôle DGSN-DGST a mis la main sur un arsenal d’explosifs en pleine préparation. Plongée au cœur d’un échec urbain devenu une bombe à retardement.

Tamesna. Un nom censé incarner la modernité, une ville nouvelle promise à un avenir radieux. En réalité, un décor de béton figé dans l’abandon, un dortoir fantôme où s’entassent 100.000 âmes oubliées. Longtemps ignorée, la ville a été brutalement propulsée sous les projecteurs ce 19 février 2025, quand les unités d’élite du BCIJ et les Forces spéciales de la DGST ont débusqué, en son sein, l’un des réseaux terroristes les plus redoutables jamais démantelés au Maroc. Des caches d’explosifs prêtes à l’emploi, des ramifications dans huit autres villes: le cauchemar en préparation révélé au grand jour.

Mais qui s’étonne encore que Tamesna soit devenue un terrain fertile à la délinquance et au désespoir? Il suffit d’y mettre les pieds pour mesurer l’ampleur du naufrage. Une mer de béton, des immeubles sans âme, des montagnes de détritus qui s’amoncellent faute de ramassage. Pas de maisons de jeunes, pas de bibliothèques, pas de terrains de sport ouverts, pas d’espaces verts dignes de ce nom. Même les infrastructures de base sont une chimère. Pour se déplacer, il faut s’entasser dans un triporteur ou mendier une place dans un grand taxi. Bus? Tramway? Connait pas.

Les habitants suffoquent, submergés par la négligence. Fatima, les larmes aux yeux, craint pour l’avenir de ses enfants. Ici, on a bâti des murs, mais on a oublié d’y insuffler une vie. On a vendu du rêve, mais livré un cauchemar.

Un modèle en déroute

Tamesna n’est pas un cas isolé. C’est le symbole du fiasco des villes nouvelles au Maroc. Conçues en 2004 avec de grandes ambitions, Tamesna, Tamansourt, Lakhyayta et Chrafate sont aujourd’hui les vestiges d’une vision urbaine déconnectée de la réalité.

Pourquoi cet échec cuisant? Parce que la priorité a été donnée à la disponibilité du foncier plutôt qu’à une vraie planification socio-économique. Parce qu’aucun cadre juridique clair n’encadre leur développement. Parce que leur gestion a été confiée à un seul département, celui de l’Habitat, incapable de coordonner les multiples acteurs nécessaires à l’éclosion d’une ville viable.

Des chiffres alarmants

Les chiffres, relevés dans le tout dernier rapport de la Cour des comptes (synthèse en pages 75, 76 et 77), parlent d’eux-mêmes et dressent un constat sans appel. Pour les quatre villes, l’objectif initial était d’atteindre une population d’un million d’habitants. Or, seuls 169.036 résidents ont été recensés, soit à peine 17% de la cible fixée.

Concernant le logement, l’ambition était de construire 350.000 unités. Pourtant, seulement 71.486 ont vu le jour, représentant à peine 20% de l’objectif. Du côté des investissements, sur les 42,2 milliards de dirhams prévus, seuls 24,4 milliards ont été effectivement mobilisés, soit 58% du budget escompté.

Enfin, sur les 659 équipements programmés, seuls 169 ont été réalisés, dont 150 sont aujourd’hui fonctionnels. Cela représente un taux de mise en service de seulement 23%, révélant un écart significatif entre les prévisions et la réalité.

Pire encore, à la fin de 2023, sur 88 conventions signées avec le secteur privé, 52% étaient résiliés ou en passe de l’être. Les promoteurs se retirent, les projets stagnent, et les habitants trinquent.

Le rapport de la Cour des comptes est accablant: «Les projets des villes nouvelles ont été lancés en l’absence d’études d’opportunité et de positionnement permettant de s’assurer de leur viabilité socio-économique». Mieux: «l’absence d’un cadre stratégique formalisé a conduit à une gestion désordonnée et inefficace».

Un plan de relance en trompe-l’œil

Face à ce fiasco, des plans de relance ont été annoncés en 2013 et 2014, avec des milliards de dirhams promis pour réanimer ces villes mortes. Délai prévu: cinq ans. Résultat dix ans plus tard? La plupart des projets sont toujours en cours de réalisation. La Cour des comptes le dit sans ambiguïté: «Malgré les engagements budgétaires, les retards s’accumulent et la majorité des projets restent inachevés».

Alors, jusqu’à quand cette mascarade? Jusqu’à quand ces villes resteront-elles des terrains délaissés où se nourrissent la misère et l’extrémisme? Jusqu’à quand nos «villes nouvelles» ne seront que des incubateurs de frustration et de colère et des abris pour terroristes?

Le gouvernement est appelé à prendre enfin ses responsabilités: une gouvernance dédiée, des financements sécurisés, une stratégie claire, un cadre juridique robuste. Et surtout, qu’on cesse de vendre des illusions aux citoyens. Dans son rapport, la Cour des comptes ne manque pas dégager nombre de responsabilités.

Le chef du gouvernement doit impérativement élever la gestion des villes nouvelles à un niveau stratégique, assurant la convergence et la coordination entre tous les acteurs concernés. Il doit immédiatement mettre en place un plan de redressement pour les villes nouvelles actuelles et contraindre le département de tutelle à soutenir les communes hôtes afin qu’elles assurent progressivement la gestion des services publics.

Le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville se voit dans l’obligation de créer un cadre juridique spécifique pour les villes nouvelles, fixant clairement les règles de conception, planification, gouvernance, financement, gestion et la protection des zones périphériques avant leur urbanisation.

Enfin, le holding Al Omrane, qui supervise ces villes nouvelles, est sommé de recentrer ses sociétés sur leur mission fondamentale, telle qu’établie dans leurs textes de création, et de structurer les partenariats avec le secteur privé en définissant à l’avance les garanties indispensables à la bonne exécution des conventions.

En attendant, Tamesna, elle, continue de s’enfoncer dans l’oubli. Et avec elle, ses habitants. À l’alternative qu’elle était supposée apporter, cette cité ne fait qu’engendrer davantage de misère… et nous fabriquer de vrais monstres capables du pire des crimes. Jusqu’à quand?

Par Tarik Qattab, Mohamed Chakir Alaoui et Yassine Mannan
Le 23/02/2025 à 15h25

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L'aménagement des villes dortoirs n'est pas une priorité : les élus et les partis politiques ont bien d'autres chats à fouetter ! La conception et l'impact d'un projet urbain sur la vie quotidienne de ses habitants étaient tout simplement un raté. Tamesna compte plusieurs dizaines de milliers d'habitants et ne dispose pas des infrastructures de base du XXI^e siècle ! Cela me rappelle un documentaire retraçant l'histoire vraie d'un train au pays du soleil levant qui dessert une maison située au bout d'une ligne pour permettre à un enfant d'aller à l'école le matin et de rentrer le soir. Nous avons encore beaucoup de chemin à faire. Le développement d'une nation commencent par celui de ses habitants.

C'est pas evident d'y vivre a moins d'etre motorisé ou au moins avoir un velo pour les jeunes. Le bus devrait etre renforcé dans les plus brefs delais, quitte a ramener des epaves d'autres regions - ca aidera au moins ceux qui ne sont pas motorisés. Le distanciel aide mais il faut que les patrons cooperent, et que les administrations et entreprises qui n'ont pas un besoin critique d'etre a la capitale soient deplacés la bas et incitent ou soutiennent le logement de leurs employés dans leurs environs, quitte a en faire des logements de fonction.

J'habite Rabat. Je suis conscient que les habitants de Tamesna vivent un calvaire pour se déplacer. Ainsi, j'ai écrit une lettre au directeur de l'ONCF pour suggérer la création d'une gare à Tamesna. J'ai écrit une autre lettre au conseil régional. Que fait le conseil régional de Rabat-Salé-Kénitra ? Que fait-il ? C'est ca la régionalisation ? C'est trop facile d'accuser seulement le gouvernement S'occuper du transport en commun, c'est la responsabilité des élus locaux et régionaux.

Bonjour, il ne faut pas exagérer et jeter la pierre du terrorisme sur Tamesna. Malheureusement et on en convient c'est un échec urbanistique mais ce n'est pas perdu. Il faut mettre en place des transports public et localiser plus d'activités économiques dans cette ville pour qu'elle prenne véritablement son essor.

Un seul mot : corruption

Vous pensez qu'il n'existe pas de corruption en Chine ou en Espagne ? Je déteste la corruption. Ca me rend furieux. Mais c'est aussi une bone dose d'incompétence.

Un échec urbanistique et sociétal total...comme.l'INDH

Mon fils habite à fadaat saada près de Tamararis dans la banlieue asablancaise. Depuis que sa fille est à la fac de la rue d'el jadida,ils habitent chez moi. Comment aller aux cours? Cette année le busway s'est un peu approché de l'espace d'habitation,mais il est encore à plus de 8 km..c'est vraiment désert,et les jeunes filles risquent de se faire agresser. en plein jour. Quand à l'infrastructure de la ville ,c'est rien que du béton. Les enfants jouent au foot dans la rue,pas de hammam,pas de marché. seulement des marchands ambulants. Pas de bus que des taxis blancs ,qu'ils faut attendre longuement Pas un seul médecin à la ronde. L'urbanisme a prévu un étroit trottoir planté d'arbres qui empêchent le passage. Ces arbres doivent être arrachés,DANGER POUR LES BÂTIMENTS !!!!!!!!!!!! .

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