Le roman est une quête de sens, un univers où se croisent des destinées, le lieu par excellence où s’exprime un auteur qui pose des questions, pour ouvrir des portes et nous ouvrir au monde.
Dans son nouveau roman, «Splendeur et disgrâce de Aabir alias Hans», Noureddine Bousfiha dissèque, sur plusieurs décennies, la vie d’un homme, parti de rien et de Marrakech.
Aabir entre dans la vie par son plus mauvais côté, par les mauvais coups du sort et la malchance. Fils d’un dépravé, qui essaie de se tirer d’affaire en s’acoquinant avec les mauvais garçons, et d’une mère, incapable d’affection, qui n’attend que le moment pour larguer son époux, Aabir n’imagine pas un seul instant qu’il est possible de se défaire de ce lourd patrimoine.
Mais il croise la route de Freddy Keller et surtout celle de Aarab, le leader d’une troupe de Ouled Sidi Hmed Ou Moussa, et tout devient possible, la vie promet de lui tresser des lauriers.
Aabir est heureux. Il met de l’entrain et de l’ardeur à se préparer pour une nouvelle rive. Un détail cependant survient et met en péril le voyage. Mais il part. Ne le tenaille aucun doute, quand il quitte le pays natal, droit dans ses bottes. Il ignore qu’il part pour toujours et que les années vont s’ajouter aux années.
Le temps passe trop vite. On ne le sait jamais assez. On ne sait jamais que le temps travaille dans l’ombre et qu’il n’a pour objectif que de torpiller les plus belles entreprises.
Aabir est jeune et il est heureux en compagnie de la troupe qui doit se produire à Berlin.
Il traverse l’Espagne, la France, la Suisse… On a droit au cours de ce voyage à de fabuleux portraits, Noureddine Bousfiha excelle dans l’art de saisir la vérité intime de ses personnages. Le portait de Abbas et celui de Aarab ainsi que celui de son grand-père, Brahim Ousemlal, sont brossés par un peintre. On voit dans le clair-obscur d’une toile les hésitations de l’âme.
D’autres personnages vont s’ajouter à ceux-là. Notamment Yacub. Tous ceux-là gravitent autour de Aabir, pour l’éclairer et nous permettre de le connaître encore mieux. Outre sa mère, sa sœur, Hilda, sa belle-mère, contrariante et contrariée, restée fidèle au souvenir de son mari disparu pendant la guerre, Katarina…
Dans «Splendeur et disgrâce de Abir alias Hans», les personnages ne sont jamais saisis de manière irrévocable ou définitive. Il y a une part d’ombre qui persiste et qui fait de ce roman, porté par une langue somptueuse et puissante, une œuvre à part.
Quand Hans arrive en Allemagne, il ne sait rien de ce pays ni de sa culture, mais il va se battre, pour mériter sa place dans cette arène. Il va fractionner son nom de famille, Hansali, en deux, et devenir Hans.
Il apprendra la langue de Goethe et finira par rencontrer Katarina, qui deviendra son épouse. Leur rencontre fortuite dans une rue de Berlin, puis au cours de langue pour étrangers est un morceau de bravoure. Ils finiront par s’unir au grand désespoir de Hilda, la mère de Katarina, qui rêvait d’un meilleur parti pour sa fille: elle ne supporte pas ceux qui ne sont pas chrétiens comme elle.
Hilda conspirera pour faire avorter cette union. Elle veut croire que ce n’est qu’une amourette de passage et espère que sa fille finira par épouser le fils du bourgmestre, un allemand pur-sang. Les gens du village vont s’y mettre aussi et jaser, car Hans passe beaucoup de temps… dans le cimetière.
Ils ne savent pas que Hans essaie simplement de retrouver la tombe du grand-père de… Aarab. L’homme qui lui a donné une chance de s’en sortir et à qui il a promis de continuer de chercher la sépulture de son aïeul.
Quoi qu’il en soit, l’amour de Katarina et Hans est plus fort que tout et aura raison de tous les complots ourdis par la vieille belle-mère.
Il y a dans ce roman une liberté réjouissante, qui nous permet de passer avec l’auteur par divers et nombreux registres. C’est cette grande liberté qui permet aux personnages et à l’action de trouver leur sens.
Le roman est un jeu cérébral et Noureddine Bousfiha le sait, le romancier ne peut jeter sur la tête du lecteur un cours magistral, un traité d’histoire... Il a besoin de cet instant de la vie qui essaie de divertir ses lecteurs en même temps qu’il les soumet à sa propre lecture du monde.
Si le monde est cruel et tragique, le roman nous permet de comprendre, glisser dans l’âme de notre prochain... Nous entrons dans les sentiments d’un personnage et les tremblements de la vie.
La fiction ouvre des portes pour voler au secours de la réalité. On accède grâce à elle à ce qui était jusque-là inaccessible.
Le roman invente tous les mondes possibles et imaginables. Il ne s’interdit rien. Il traverse les apparences, dissèque les peurs et les rêves, franchit des terres réputées infranchissables, des vallées de la mort, le paradis et l’enfer.
Le roman dénonce, montre les dysfonctionnements de tous ordres et de toutes natures. Il interroge et invente sa propre langue. Cette autre langue qui fait qu’il est ce qu’il est et rien d’autre. Il explore, défriche, découvre, révèle... Il réinvente ses codes en réinventant sa forme.
Le roman est un formidable outil pour comprendre nos contemporains et ce qui nous entoure.
Ici, les destins se croisent. Les personnages sont des hommes et des femmes blessés, qui se ressemblent. Ils sont d’ici et de là, et leurs souffrances sont les mêmes.
La fin de ce roman est saisissante. On se gardera de lever le voile sur elle. On réalise que c’est la fin que vise un auteur quand il commence à écrire. C’est à elle qu’il pense inlassablement. C’est une obsession de tous les instants. Si l’art est émotion, comme disait Cézanne, ce roman en offre un merveilleux exemple avant de laisser tomber le rideau sur une fin bouleversante et magnifique.
On ferme l’histoire de Aabir alias Hans en se disant que rien ne nous oppose vraiment d’où que nous soyons et que nos blessures, nos peurs et nos sentiments sont identiques.
«Splendeur et disgrâce de Aabir alias Hans». 256 pages. Éditions Afrique Orient, Casablanca, 2024.