Avec «Il fait nuit chez les Berbères» (Éd. de l’Aube), Mohamed Nedali publie son dixième roman. C’est un écrivain discret. Il ne se fait pas voir et ne fait rien pour sa publicité. De nos jours, c’est une qualité. Il sait les limites de la littérature, surtout dans le plus beau pays du monde. La lecture n’est pas une pratique courante, et cela à tous les âges et dans toutes les classes sociales.
Nedali écrit dans son coin un Maroc de l’intérieur, qu’il connaît parfaitement. Certes, il imagine, mais on ne peut lui reprocher de ne pas être fidèle aux origines et aux racines. Né à Tahannaout, où il vit depuis toujours, Nedali fait ce que Victor Hugo disait des écrivains: «être témoins de leur époque».
Son nouveau roman est truculent. On y entre comme si, dans un de ces villages du Haut Atlas, une porte est entrouverte. On la pousse et nous voilà dans un temps qui échappe au temps, avec des personnages qui sont à peine inventés.
Nous sommes à Tizi Oundamme. Un village berbère paisible. Sans électricité, sans rien de moderne. Les gens vivent selon le rythme des saisons et des animaux. Un village isolé, enclavé, difficile d’accès, connu uniquement de ses propres habitants. Quelques troupeaux de chèvres, des poulaillers, du vent et l’attente de la pluie.
Une école située au pied du village. Moulay Taher, l’unique instituteur des lieux. Il aime son métier et pour rien au monde il ne quitterait sa petite école. Il n’est pas marié, mais des ragots racontent qu’il avait acheté en ville un paquet de préservatifs. Ces mêmes racontars désignent les chèvres du coin. De là à imaginer la naissance de monstres, des brebis à tête humaine, l’imagination des habitants ne se prive pas de le suggérer.
Les gens de Tizi Oundamme sont certes isolés, mais aiment la fête, le chant, la danse et le rire. Parmi eux, il y a même un poète. Ainsi va la vie. Mais, c’est sans compter avec l’imaginaire de Nedali.

L’arrivée de l’électricité et de la télévision va tout bouleverser. Les hommes découvrent qu’en dehors du journal du soir, des émissions venues de loin, mettent en scène des hommes et des femmes en train de copuler. Ce sera par les indiscrétions des femmes qu’on apprendra les nouvelles pratiques sexuelles des couples. Elles passent aux aveux pendant qu’elles font la lessive.
Mais cela ne suffit pas. Omar, parti quelque temps en ville, revient transformé. Il prêche un islam étrange, étranger à la population du village. Il a été endoctriné par «les frères en islam», des fanatiques qui cherchent à faire le malheur du pays.
Le roman se poursuit avec bonheur. L’exploitation de l’islam par des ignorants, allant jusqu’à créer un «Cercle des fidèles», occupe la suite du livre. Des personnages comme Dahmane (ancien gardien de voitures à Salé) seront en butte à cette mouvance. Un passage drôle sur la langue arabe qui, selon Ahmad Ibnou Taymiyya, «fait partie de la religion», pose un problème à Omar, qui souhaite traduire la parole de Dieu en berbère. Sacrilège! diront les fanatiques.
On mariera Omar à Zehra, connue pour son imposant fessier: «La forte croupe de Zehra s’avéra, pour Omar, à la fois un plaisir intense et une douce consolation».
Le tremblement de terre du 8 septembre 2023 a bouleversé le village. Pour certains, c’est la main de Dieu qui a puni le vice. En fait, c’est surtout de la bêtise humaine dont il s’agit, et que Nedali traque avec humour et une rare expertise. Un roman merveilleux à lire en ces temps où les grandes puissances nous font peur.
«C’est l’étrange histoire d’une passion racontée à un enfant qui, devenu plus tard écrivain, nous la raconte à son tour avec des mots simples, justes, étonnants.»
Kebir Mustapha Ammi, lui aussi un romancier et poète discret, nous surprend avec un petit livre sur Joséphine Baker! Un récit étonnant sur cette dame dont la dépouille est entrée au Panthéon le 30 novembre 2021.
Le président français Emmanuel Macron a salué cette dame en ces termes: «Héroïne de guerre, combattante, danseuse, chanteuse, noire défendant les noirs, mais d’abord le genre humain, américaine et française».
Que vient faire cette dame exceptionnelle dans l’œuvre littéraire de Ammi? Elle fut une figure qui avait hanté son oncle à Marrakech dans les années soixante. Cet oncle, homme formidable et iconoclaste, lui en parlait tout le temps. Il se trouve que Joséphine Baker est passée par Marrakech, où elle a séjourné durant la Seconde Guerre.
L’amour fou que portait cet oncle à Joséphine est des plus romantiques. Il en parlait tout le temps, connaissait ses chansons par cœur, obligeait le petit Kebir à répéter après lui les paroles chantées. En même temps, cet amour obsessionnel faisait de l’oncle un personnage de roman qui finit par disparaître sans laisser de traces. Un Américain, Brian, s’était déplacé à Marrakech pour enquêter sur Joséphine -il écrivait un livre sur elle. L’oncle ne supporta pas que quelqu’un d’autre que lui s’intéressât à son idole. Kebir retrouvera plus tard Brian, dont la mère était en prison avec celle de Joséphine, luttant ensemble contre le racisme anti-noir des Américains.
Le 28 août 1963, Joséphine Baker participa à la Marche pour les droits civiques à Washington aux côtés de Marlon Brandon, Paul Newman, Joan Baez, etc.
Joséphine avait «renversé l’âme» de cet oncle qui, depuis leur rencontre en 1943, était habité par son souvenir au point de s’identifier à tout ce qui lui arrivait.
C’est l’étrange histoire d’une passion racontée à un enfant qui, devenu plus tard écrivain, nous la raconte à son tour avec des mots simples, justes, étonnants. Tel est le petit récit de Kebir Mustapha Ammi, «Joséphine Baker, le rêve d’une vie», paru en versions française et italienne aux éditions Titani.
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