Road trip de l’été: au Moyen Atlas, sur la route des Kasbahs ismaéliennes

Mouna Hachim.

ChroniqueImaginons un tracé de visite inédit et grand circuit régional, reliant plusieurs kasbahs ismaéliennes, dans lequel se mêlent découvertes historiques, visites ludiques, mise en valeur des produits du terroir et gîtes d’étapes authentiques…

Le 29/06/2024 à 11h01

À l’heure où l’on parle de patrimoine sous toutes ses formes, entre tentatives d’appropriation, projets de réhabilitation et négligences, qu’en est-il du sort réservé à nos kasbahs et forteresses?

Au-delà des indignations, des vœux pieux et des effets d’annonce, on se plaît à rêver d’une profonde réflexion multidisciplinaire et d’une réhabilitation essentielle, suivies d’une promenade insouciante entre legs architectural et panoramas naturels.

Imaginons un tracé de visite inédit et grand circuit régional, reliant plusieurs kasbahs ismaéliennes, dans lequel se mêlent découvertes historiques, visites ludiques, mise en valeur des produits du terroir et gîtes d’étapes authentiques au charme rustique, adaptés à cette forme d’itinérance loin des mégastructures clinquantes!

Vu la densité exceptionnelle de l’héritage du sultan Moulay Ismaïl, dont le règne ne cesse d’enflammer l’imaginaire, j’ai choisi de m’arrêter cette semaine sur quelques-unes de ses kasbahs au Moyen Atlas.

À l’aide de son armée de métier, le puissant monarque alaouite, dont la capitale était la grandiose Meknès, avait édifié plus de 76 forteresses, construites de toutes pièces ou remises à neuf, disposées stratégiquement à travers le royaume.

Construites en pierre, pisé et moellons, elles sont typiques avec leur enceinte rectangulaire crénelée, renforcées par un ensemble de bastions, assurant une fonction de défense et de résidence avec leurs différentes infrastructures depuis la mosquée et le hammam jusqu’aux logis d’habitation, en passant par les bâtiments militaires.

Depuis, certaines ont servi de noyau à des villes considérables, pendant que d’autres ont fait office de casernes durant l’ère coloniale, avec les destructions que l’on imagine de ces lieux de mémoire. Quand elles n’ont pas sombré dans les affres de l’abandon, victimes de négligences ou des séquelles irrémédiables des guerres telles Ighrem Laâlam, où avait installé plus tard sa base et fait flotter l’étendard blanc le grand chef Moha Ou Saïd, caïd des Aït Serri sous le règne du sultan Moulay Hassan 1er.

Notre point de départ pourrait commencer au pied du Moyen Atlas avec Béni Mellal, sur le territoire de laquelle se trouvaient d’anciennes villes prestigieuses, aujourd’hui disparues: Day, vidée de ses habitants au milieu du 12ème siècle des suites d’un fléau; Tagrart, du nom de la forteresse fondée par l’Almoravide Youssef ben Tachfine, appelée aussi Mahallat Daoud, en référence au gouverneur du règne Daoud ben Aïcha; Tagzirt ou Tagrourart, appelée Afza par Léon l’Africain et Tebza par Luis del Mármol Carvajal, aujourd’hui un simple village…

Plus tard, lors de son expédition contre les tribus rebelles du Moyen Atlas et son installation en 1688 pendant près d’un an dans la région, le sultan Moulay Ismaïl bâtit ou reconstruisit un ensemble de forteresses dont celle de Béni Mellal, appelée Kasbat Bel-Kouch, surplombant la ville, près de la source d’Aïn Asserdoun.

Comme pour Aïn Leuh ou Guigou, la Kasbah, restaurée plus tard par le sultan Moulay Slimane, avait reçu une garnison de cavaliers, exactement cinq cents.

Pour autant, elle n’était qu’un anneau dans ce vaste dispositif mis en place afin de surveiller la montagne, empêcher le mouvement des tribus vers la plaine, sécuriser les déplacements et les échanges, en protégeant le vaste réseau de pistes, la route commerciale et la Voie royale ou Triq Soltane.

L’historien Zayani rapporte, en matière de cette sécurité légendaire des routes durant ce règne, qu’un non-musulman ou une femme pouvaient voyager sans être inquiétés ni interpellés depuis Oujda jusqu’à Oued Noun.

Pour rester au Moyen Atlas, il est impossible de ne pas mentionner Kasbat Tadla, fondée sur la rive droite de l’Oued Oum-Rbia sur le site d’une forteresse bien plus ancienne, datant du règne almoravide, probablement disparue sous le règne mérinide à la suite de sa dévastation par les bédouins Beni Hilal.

Assurant des rôles militaires, judiciaires et administratifs, Kasbat Tadla fut érigée sous forme de citadelle, en tout premier lieu pour maintenir la sécurité et assurer le contrôle du pont à dix arches, tout nouvellement construit, reliant les deux rives du fleuve; et par là, la voie de communication entre le Nord et le Sud.

Le prince Ahmed Dahabi s’y établira plus tard en tant que gouverneur de son père dans la région, bâtissant à son tour une nouvelle forteresse, pourvue d’une garnison et dotée de quelques infrastructures dont subsistent les vestiges d’une mosquée remarquable.

De là, nos pas nous guident vers Adekhsan, située sur l’emplacement d’une vieille kasbah almoravide, liée elle-même à la citadelle du Fazaz, nommée Qal’at al-Mahdî, du nom de son fondateur, Mahdi ben Tawala, chef des tribus zénètes Beni Ifren qui avaient dominé la région au 10ème siècle.

Elle est dotée d’une garnison de 1.500 cavaliers et de soldats originaires de Doukkala par le sultan Moulay Ismaïl, qui y réunit encore ses forces pendant son expédition de 1692-93.

Adekhsan devait s’illustrer plus récemment en tant que siège de la résistance au Moyen Atlas contre l’occupation française, après avoir été la demeure du héros national Moha Ou Hammou Zayani, dont la Kasbah d’Adekhsan porte aussi le nom.

Celui-ci y avait reçu, en août 1888, le sultan Moulay Hassan qui l’avait nommé caïd en 1883 et avait conclu cette alliance politique par une alliance matrimoniale en épousant la fille du chef des Zayane.

Avec l’essor de Khénifra, naguère un simple gîte sur la route de Tadla, promu dès la fin du 19ème siècle avec ce charismatique dirigeant, Adekhsan, située juste à 8 km au sud-est, sera reléguée au rang de petit douar de banlieue, pendant que sa citadelle résiste encore, tant bien que mal, à l’abandon et à l’oubli dans un état avancé de ruine.

Nous pouvons continuer longtemps notre périple, de découverte en découverte: à Azrou, citée déjà comme forteresse par l’historiographe des Almohades al-Baydaq en tant qu’étape pour Abd-el-Moumen lors de ses affrontements contre les Almoravides.

Que dire d’Agourai, nichée au milieu de jardins et de vergers, cernée de remparts bastionnés, œuvre des captifs chrétiens selon les récits?

Tout aussi incontournable: El Hajeb, avec pour noyau une kasbah édifiée durant le règne almohade, connue sous le nom de Jâma’ el-Ḥammâm, détruite au début du 15ème siècle lors des guerres survenues durant la période de décadence mérinide!

La liste est bien longue et n’a d’égal que l’ampleur de la responsabilité qui nous incombe de réhabiliter à sa juste valeur ce patrimoine inestimable.

Par Mouna Hachim
Le 29/06/2024 à 11h01