Droits de douane de Trump: les textiliens marocains réclament une «zone franche» au Sahara

Les surtaxes annoncées par le président américain Donald Trump toucheront les exportations du secteur textile-habillement marocain vers les États-Unis.

La guerre commerciale engagée par les États-Unis aurait un impact limité sur l’industrie marocaine du textile-habillement, assure-t-on du côté de l’Amith. En revanche, certains opérateurs estiment que le Maroc pourrait profiter de la mise à mort de l’Africa Growth and Opportunity Act (AGOA) pour devenir une destination industrielle de choix pour les opérateurs américains. Des voix s’élèvent déjà pour suggérer l’installation au Sahara marocain d’une «zone industrielle qualifiée», à l’instar de celles mises en place en Égypte et en Jordanie.

Le 11/04/2025 à 08h00

Les droits de douane supplémentaires instaurés par le président américain Donald Trump ont relativement épargné le Maroc, dont les produits écopent d’une surtaxe limitée à 10%, un taux bien inférieur à celui appliqué à d’autres pays asiatiques ou africains parmi les principaux producteurs de textile, notamment la Chine, le Bangladesh ou le Lesotho.

Parmi les textiliens marocains interrogés par Le360, certains restent prudents, soulignant le faible volume des échanges entre Rabat et Washington en matière de textile-habillement. D’autres y voient plutôt une opportunité à saisir, pariant que le Maroc pourrait devenir de plus en plus visible sur les radars des investisseurs internationaux: «Cela va drainer beaucoup de prospects. À nous de transformer l’essai», résume un opérateur.

Mais avant de penser à une éventuelle reconfiguration des chaînes de valeur pouvant résulter de l’offensive douanière de Trump, les entreprises exportatrices vers les États-Unis devront d’abord ajuster leur politique tarifaire pour limiter l’impact sur leur compétitivité. «Notre principal client américain a demandé une compensation pour les commandes en cours. Nous sommes actuellement en négociation pour trouver un terrain d’entente», nous confie le dirigeant d’une usine de jeans basée à Casablanca, dont une bonne partie de la production se destine au marché américain.

Contacté par Le360, le président de l’Amith, Anass El Ansari, estime que les nouveaux droits de douane instaurés par l’administration Trump auront, globalement, un impact limité sur le secteur du textile-habillement au Maroc, et ce, pour trois raisons principales.

Il évoque d’abord des contraintes d’ordre logistique, pointant la quasi-absence d’un fret aérien ou maritime régulier entre les deux pays. Se pose également le souci de la taille «limitée» des entreprises marocaines, qui ne sont pas en mesure de répondre aux commandes américaines, qui portent généralement sur de gros volumes dépassant les 300.000 unités.

La question des règles d’origine

Mais la principale entrave au commerce bilatéral dans le secteur réside dans les règles d’origine prévues dans l’Accord de libre-échange (ALE) entre le Maroc et les États-Unis, qui imposent l’utilisation de matières premières issues de l’un des deux pays. Or, déplore Anass El Ansari, «le Maroc reste fortement dépendant de matières premières asiatiques, turques ou européennes. L’industrie marocaine demeure concentrée sur la confection à hauteur de 87%. Les règles d’origine limitent par conséquent le potentiel du business entre les deux pays».

Pour remédier à cette situation et déverrouiller la complexité de l’ALE, la solution passe par «l’amont textile», insiste-t-il, rappelant l’importance du deal récemment conclu avec le géant chinois Sunrise.

Pour bon nombre d’observateurs, à moyen terme, le positionnement de l’industrie marocaine du textile-habillement devrait se renforcer avec les nouvelles taxes de Trump qui annoncent clairement la fin de l’Africa Growth and Opportunity Act (AGOA), un accord commercial spécifique qui permettait à 30 pays d’Afrique subsaharienne d’exporter vers les États-Unis des milliers de produits en exemption de droits de douane. La remise en cause de cet accord va bouleverser les économies des pays adhérents, notamment l’Afrique du Sud (désormais taxée à 30%), premier exportateur (hors pétrole) dans le cadre de l’AGOA avec 3,6 milliards de dollars en 2023, ou encore le Lesotho (taxé à 50%), où le secteur du textile emploie plus de 35.000 personnes. Ces taxes ont été suspendues par Trump pour trois mois, mais ne sont pas annulées.

«L’AGOA n’existe plus. L’Afrique du Sud a perdu son crédit et son leadership. Le Maroc a un rôle clé à jouer pour devenir le point d’entrée des États-Unis en Afrique de l’Ouest. Avec le futur port de Dakhla, nous sommes en mesure de drainer énormément d’investissements américains», soutient ce membre de l’Amith.

Alors que Trump se dit ouvert à des négociations avec les pays qui l’ont demandé (à l’exception notable de la Chine), de nombreux textiliens marocains adhèrent à cette démarche et lancent un appel au gouvernement, l’incitant à s’y inscrire, main dans la main avec le secteur privé. «À travers l’Amith, le textile est l’un des rares secteurs à avoir fait appel aux services d’un lobbyiste aux États-Unis. Nous avons besoin de l’appui des pouvoirs publics. D’autant plus que ce dossier implique plusieurs parties prenantes (ministère de l’Industrie et du Commerce, ministère des Affaires étrangères et de la Coopération africaine, etc.)», poursuit notre interlocuteur.

Une «Zone industrielle qualifiée» au Sahara

Sachant que les règles d’origine prévues dans l’ALE Maroc-États-Unis avaient introduit le principe de triple transformation «filage-tissage-finissage» (le fil et le tissu doivent être originaires d’un des deux pays), l’Amith avait, dans un premier temps, entrepris des démarches visant à pousser l’administration américaine à autoriser les opérateurs marocains à intégrer certaines matières premières importées d’Asie. «Cette voie s’avère compliquée, car nécessitant une remise à plat de l’ALE et surtout le vote du Congrès», note la même source.

Les opérateurs marocains ont poussé l’effort d’imagination un peu plus loin, réclamant la création d’une «zone industrielle qualifiée» (ZIQ), un type de zone franche qu’on retrouve notamment en Jordanie ou en Égypte. Particularité: elle est assujettie à des droits de douane spécifiques à l’export vers les États-Unis, à condition que les produits soient partiellement fabriqués en Israël ou dans les territoires palestiniens.

«Nous avons demandé à ce qu’une zone de ce type soit installée au Sahara marocain, en synergie avec le port de Dakhla, dans la perspective d’un développement régional intégré avec les pays du Sahel, notamment le Burkina Faso et le Mali, où se concentrent plusieurs matières premières», fait savoir ce membre de l’association de l’industrie textile.

Si pour l’heure les textiliens marocains affirment n’avoir aucune visibilité sur le sort réservé à ces deux requêtes, ils restent persuadés que l’appui gouvernemental est nécessaire pour faire avancer ces dossiers. «Nous sommes convaincus que le déploiement de ces mesures, à savoir l’assouplissement des règles d’origine et la mise en place d’une ZIQ, pourrait générer jusqu’à 100.000 nouveaux emplois», conclut notre interlocuteur.

Par Wadie El Mouden
Le 11/04/2025 à 08h00

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