Jusqu’à tout récemment, on pensait que le Maroc était à l’abri de l’offensive douanière de Donald Trump et que les nouvelles mesures protectionnistes de son administration viseraient surtout les pays avec lesquels les États-Unis accusent un important déficit commercial. Hélas, il n’en était rien. Le Maroc figure bien sur la liste des pays auxquels Trump a imposé des droits de douane plancher de 10%. Ceux-ci entreront en vigueur le samedi 5 avril à 04H01 GMT.
Quelques jours plus tard, le 9 avril à la même heure, des dizaines de pays seront visés par des surtaxes sur mesure: 34% pour la Chine, 20% pour l’Union européenne, 30% pour l’Algérie et 28% pour la Tunisie. La Jordanie, seul autre pays arabe lié par un Accord de libre-échange (ALE) avec les États-Unis, a été quant à elle taxée à hauteur de 20%.
En 2024, les États-Unis ont enregistré un déficit commercial de 918 milliards de dollars, avec le reste du monde, en hausse de 17% par rapport à l’année précédente.. DR
Fondées sur les calculs des équipes gouvernementales américaines, ces surtaxes sont censées répondre aussi aux barrières dites «non tarifaires». Pour le cas du Maroc, parmi les «entraves au commerce» signalées dans le document officiel du bureau du représentant au Commerce des États-Unis (USTR), on peut citer la norme antipollution euro 6B «limitant l’importation de nombreux véhicules américains», des normes sanitaires qui «imposent des restrictions sur les aliments pour animaux d’origine non animale», la contrefaçon et le piratage numérique. L’administration Trump évoque également des «difficultés liées à des procédures administratives complexes et à des restrictions sur les paiements anticipés à l’importation». Cumulées, ces «barrières non tarifaires» ont joué en faveur de l’instauration de droits de douane de l’ordre de 10%, en lieu et place d’une exonération totale que stipule l’ALE liant le Maroc aux États-Unis.
«Cette imposition est une demi-surprise. Depuis l’investiture de Trump, l’administration américaine a annoncé à plusieurs reprises son intention d’établir des droits de douane généralisés sur toutes les importations», rappelle Hakim Marrakchi, président de la commission fiscalité et douane de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), également président du conseil d’affaires Maroc-États-Unis. «Jusqu’à la dernière minute, nous espérions que l’ALE prévaudrait et que les produits marocains ne seraient soumis à aucune taxation à l’entrée», regrette-t-il.
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Depuis l’entrée en vigueur de l’ALE Maroc-États-Unis, en janvier 2006, la balance commerciale entre les deux pays a toujours penché en faveur de Washington. Même si le volume des échanges a plus que quadruplé, atteignant, d’après les chiffres de l’Office des changes, 73 milliards de dirhams en 2023, le solde commercial, déficitaire côté marocain, a considérablement augmenté, culminant à 47 milliards de dirhams. «Seulement 3% des exportations marocaines prennent la destination des États-Unis. Le Maroc exporte des engrais, du textile, des semi-conducteurs, des agrumes et du poisson, entre autres», détaille l’économiste Abdelghani Youmni. Selon lui, l’effet de la nouvelle taxe sur les exportations sera minime au regard du dollar, «qui s’apprécie chaque année de 10 à 15% par rapport au dirham».
En revanche, notre interlocuteur n’exclut pas l’apparition d’externalités négatives liées à l’Union européenne, premier partenaire commercial du Maroc. «Si l’Europe est frappée par la récession ou l’inflation, le Maroc pourrait à son tour être touché par une inflation passagère, voire une baisse des investissements directs étrangers (IDE), car Trump cherche aussi à attirer plus d’investissements dans son pays afin de créer des emplois et faire reculer le chômage», analyse-t-il.
Léger avantage compétitif
De son côté, Ahmed Azirar, économiste et chercheur au Cercle de l’économie d’entreprise du Maroc (CEREM), estime qu’a priori, le tarif de 10% devrait renchérir les produits marocains et les rendre moins compétitifs. «Toutefois, pour mieux cerner l’impact de cette mesure, il faut également tenir compte des taux imposés aux pays concurrents», nuance-t-il.
«À titre d’exemple, les produits européens vont écoper de droits de douane de 20%. En termes de quantités exportées, le Maroc est derrière l’UE pour de nombreux produits agricoles. Dès le 5 avril, nous pourrons devenir compétitifs sur ces produits, sauf si les exportateurs européens réagissent en réduisant leurs marges ou leurs coûts. Sachant qu’ils ont toujours l’avantage du volume», explique l’économiste.
Et d’ajouter: «L’analyse doit se faire comparativement à nos concurrents sur toute la chaîne des prix, autant sur les produits que nous exportons déjà que sur les nouveaux produits que nous pourrons désormais exporter grâce au différentiel des droits de douane avec les pays qui subiront des taux plus élevés que le Maroc».
Une hausse de prix inévitable
Hakim Marrakchi abonde dans le même sens, estimant que, vu sous cet angle, le Maroc est logé à meilleure enseigne que de nombreux autres pays. «Hormis certains pays arabes et la Turquie, les produits marocains sont généralement moins taxés que les produits européens, chinois ou tunisiens. Ce qui leur confère un avantage compétitif», ajoute le président de la commission fiscalité et douane de la CGEM. Il précise au passage que les «droits réciproques» annoncés le mercredi 2 avril correspondent à des taxes ad valorem qui s’additionneront aux droits de douane déjà existants.
Ainsi, pour la Chine, l’addition est la plus salée: les 34% nouvellement instaurés viennent s’ajouter aux 20% mis en place depuis l’investiture de Donald Trump, pour donner un astronomique droit de 54%. Le même cumul atteint 33% pour la Tunisie (28%+5%), 35% pour l’Algérie (30%+5%) et 25% pour l’UE (20%+5%).
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En revanche, les produits marocains sont moins favorisés que les marchandises d’origine canadienne et mexicaine. Couverts par un accord de libre-échange (ACEUM), ces deux pays sont soumis à un régime spécifique et ont, pour le moment, échappé aux nouvelles taxes américaines.
Hakim Marrakchi évoque également l’impact que cette mesure pourrait avoir sur les clients américains des entreprises marocaines, qui «vont demander à la partie marocaine soit de baisser ses prix, soit d’assumer la hausse des droits de douane». «Les entreprises marocaines qui ont signé des contrats à prix fixes, notamment celles qui considèrent l’ALE comme étant non dénonçable, vont se retrouver dans l’obligation de supporter cette hausse pendant un certain temps, jusqu’à l’ouverture de nouvelles négociations», note-t-il.
«Nous n’avons d’autre choix que de répercuter la hausse des droits de douane. Nous serons obligés d’augmenter nos prix de 5 à 7%.»
— Adil Douiri, président du groupe Mutandis.
D’autres entreprises ne tarderont pas à réajuster leurs prix pour s’adapter à la nouvelle donne. C’est le cas du groupe Mutandis, propriétaire de la marque Season, numéro 1 de la vente de conserves de sardines «premium» aux États-Unis, avec un chiffre d’affaires annuel frôlant les 700 millions de dirhams. Sur le marché américain, Season détient 25% de parts de marché de la conserve de sardine et 50% de parts de marché des filets de sardine sans peau et sans arêtes. «Nous n’avons d’autre choix que de répercuter la hausse des droits de douane sur le consommateur. Nous sommes obligés d’augmenter nos prix de vente de 5 à 7%», nous confie Adil Douiri, président du groupe. Mais avant de prendre une telle décision, Mutandis «devra d’abord se mettre d’accord avec les grandes chaînes de supermarchés américaines comme Walmart, Costco, Wholesale Club, Albertsons, Kroger, etc.».
Pour autant, le patron de Mutandis exclut tout risque de perte de compétitivité en lien avec la décision de Donald Trump. «Dans notre catégorie, les produits concurrents sont fabriqués en Thaïlande (frappée d’une surtaxe de 36%, NDLR), en Europe (20%) et au Maroc (10%). Par rapport à nos concurrents sur le marché américain, la répercussion de la hausse des droits de douane sur nos prix sera moins importante. Si nous parvenons à augmenter notre prix de vente de 5 à 7%, nous aurons zéro impact sur nos résultats», rassure-t-il.
Des zones d’ombre persistantes
Vu le caractère inédit de son offensive, Trump semble décidé à bouleverser l’ordre économique mondial. «L’inflation que cette décision va causer aux États-Unis et la réaction qui s’en suivra de la part des consommateurs américains, sont à surveiller de près. La réaction des puissances mondiales se précise d’ores et déjà, avec le rapprochement annoncé entre la Chine, la Corée et le Japon», admet Ahmed Azirar.
Pour Hakim Marrakchi, à moyen et long terme, le problème est beaucoup plus grave que les 10% imposés aux exportations marocaines. «C’est de la folie! Le monde rentre dans une spirale qui fait peur plus que les mesures annoncées mercredi. Il est évident que si les États-Unis continuent sur cette politique isolationniste, cela va impacter tout le commerce mondial. Les conséquences seront dévastatrices. Les Américains ne vont pas accepter que leur pays s’appauvrisse et vont exiger de leurs partenaires commerciaux des dispositions qui leur sont défavorables».
Le président du conseil d’affaires Maroc-USA va jusqu’à évoquer un scénario remettant en question les accords signés par le Maroc avec des industriels étrangers qui espéraient bénéficier de l’ALE. «Une forme d’incertitude s’est créée et elle constituera un frein pour l’investissement. Celui qui investit aujourd’hui prend forcément des risques», dit-il.
Batteries, automobile, engrais…
Interrogé notamment sur l’évolution du positionnement du Royaume sur l’écosystème des batteries pour véhicules électriques, Hakim Marrakchi rappelle que le marché américain ne représente que 15% à 20% de la consommation mondiale. «On va commercer davantage avec le reste du monde. Il y a de nouvelles opportunités qui peuvent apparaître».
Globalement, tous secteurs confondus, «c’est un moindre mal pour les entreprises marocaines par rapport à de nombreux pays concurrents. Dans cette partie du monde, que ce soit en Tunisie ou en Europe, les opérateurs sont nettement plus taxés que nous», tempère-t-il. Toutefois, de nombreuses zones d’ombres demeurent, notamment concernant le secteur des composants automobiles, surtout après la nouvelle taxe américaine généralisée de 25% sur les importations de véhicules.
Il y a lieu de regarder également de près l’évolution des exportations d’engrais marocains vers les États-Unis. Déjà pénalisé par un droit compensateur de 16%, dans le cadre du litige qui l’oppose à son concurrent américain Mosaïc, le groupe OCP va désormais subir un droit supplémentaire de 10% et, en même temps, relever le défi de préserver la compétitivité de ses engrais auprès des agriculteurs américains. Le Maroc a tout intérêt à ce qu’il réussisse à le faire. Car quand le géant des phosphates éternue, c’est toute l’économie nationale qui s’enrhume.
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