«Le Maroc, deviendra-t-il un champ de bataille dans une guerre commerciale entre puissances mondiales?». C’est la question que se pose le prestigieux think tank britannque Institut royal des affaires internationales britannique, plus connu comme Chatham House. Une analyse dédiée et rendue publique vendredi 6 décembre met les projecteurs sur la place du Maroc dans le nouvel échiquier commercial international, fait notamment d’une véritable guerre entre l’Occident, les Etats-Unis en premier, et la Chine. Le document est signé par le chercheur égyptien Ahmed Aboudouh, grand spécialiste de la Chine et chercheur au programme Moyen-Orient et Afrique du nord et du centre.
Partant de la récente visite du président chinois, Xi Jinping au Maroc à son retour du sommet du G20, tenu en novembre dernier au Brésil, l’analyse revient sur la symbolique du déplacement. Cette visite témoigne de «l’émergence du pays nord-africain (le Maroc) comme champ de bataille dans une prochaine guerre commerciale entre les grandes puissances», lit-on.
Il s’agit également d’un «signal quant à l’importance que la Chine attache à la sauvegarde de sa domination de l’industrie des véhicules électriques». Un impératif qui passe par le Maroc. Face aux politiques protectionnistes qui se renforcent contre la Chine aux États-Unis et en Europe, Beijing se tourne vers le recours à l’offshoring. Les industriels chinois devront ainsi commencer à délocaliser leurs opérations à l’étranger pour éviter les nouvelles restrictions à l’exportation et, partant, continuer à approvisionner les marchés européens et américains.
C’est là où le Maroc devient un maillon essentiel pour l’Empire du Milieu. Le Royaume a tous les atouts pour jouer le rôle de plateforme d’exportation vers l’Europe et ailleurs. Disposant de 72% des réserves mondiales en phosphates et de nombreux autres minerais essentiels à la production des batteries, le pays se positionne d’ores et déjà pour devenir un hub mondial de production de batteries pour véhicules électriques, poursuit Chatham House.
Le Maroc jouit aussi des infrastructures de l’industrie automobile les plus développées en Afrique, en plus d’autres atouts, dont un réseau de transport routier et ferroviaire développé et une main d’œuvre qualifiée. «À ces atouts s’ajoutent un cadre de gouvernance industrielle mature, une stabilité politique et sociale et une ouverture économique», autant de facteurs qui font du Maroc une destination attrayante pour les investisseurs étrangers, souligne le centre de recherche londonien.
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Le cadre est d’ores et déjà tracé. Le centre de recherche rappelle, dans ce sens, que le Maroc avait rejoint en 2017 l’Initiative chinoise «la Ceinture et la Route» suite à la signature d’un accord de partenariat stratégique avec la Chine durant la visite d’État effectuée par le roi Mohammed VI en Chine en 2016. Cet accord fait du Maroc un «choix idéal» pour le passage en offshoring de l’industrie chinoise de véhicules électriques, indique le centre. La Chine ne vient pas seule. Des entreprises du Canada, d’Australie et de Corée du Sud ont conclu des deals avec les entreprises chinoises pour construire au Maroc des usines de batteries pour véhicules électriques.
Pour le Royaume, c’est une «excellente opportunité» dans le cadre de son plan pour devenir un pôle industriel et un centre commercial mondial à cheval sur les principaux marchés mondiaux. Ceci, tout en oeuvrant à protéger son économie et sa souveraineté.
Chatham House souligne que Beijing peut accélérer la vocation du Maroc à devenir un plateforme industrielle de taille mondiale. Le think tank cite, dans ce contexte, la signature en juin 2023 d’un MoU d’une valeur de 6,4 milliards de dollars pour la construction d’une usine de production de batteries pour véhicules électriques près de Rabat, et qui sera la plus grande usine en Afrique.
Et de rappeler qu’en novembre dernier, l’Office national des chemins de fer (ONCF) a dévoilé l’heureux gagnant du dixième lot relatif aux travaux de terrassement, ouvrages d’art, rétablissement de communications et de clôtures sur la ligne classique en exploitation au niveau de Casablanca. Ce marché, qui fait partie intégrante du projet de la LGV Kénitra-Marrakech, a été attribué au groupe China Overseas Engineering Corporation (Covec). Ceci, au détriment du groupement français NGE Contracting/Guintoli (1,72 milliard de dirhams).
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L’arrivée de Covec porte à quatre le nombre des entreprises chinoises désignées à ce jour pour mener les travaux de génie civil de la future LGV. Sur le tracé de la ligne en site propre, trois autres contrats avaient été remportés par CRCC 20 (2,83 MMDH), China Railway No.04 Engineering (3,4 MMDH) et Shandong Hi-Speed Engineering-Construction (4,5 MMDH). Les autres lots ont été attribués à GTR, filiale du Français Colas (2,2 MMDH), et aux Marocains TGCC (2,83 MMDH), Jet Contractors (2 MMDH) et au groupe Mojazine (1,97 MMDH).
Le Maroc table également sur le soutien de la Chine pour le projet de gazoduc Nigeria-Maroc (NMGP), dont la phase d’appel d’offres initiale est prévue pour 2025. Comme Rabat s’active sur le terrain diplomatique. En vue, un soutien plus actif de la Chine sur le dossier du Sahara.
En attendant, la stratégie commerciale du Maroc suppose beaucoup de doigté. Pour le think tank, l’Administration du président élu Donald Trump, les USA et la commission européenne pourraient introduire de nouvelles mesures contre les investissements chinois dans le domaine des véhicules électriques dans des pays tiers, dont le Maroc. D’où probablement, indique Chatham House, le peu d’entrain du Maroc à rejoindre des alliances tels que les BRICS, menée notamment par la Chine, alors que le voisin algérien avait tour misé là-dessus…avant d’être sévèrement débouté.
«Le Maroc pourrait ainsi devenir la cible d’une guerre commerciale à venir. Cela pourrait créer des défis considérables. Mais s’il parvient à protéger ses intérêts et à s’en sortir indemne, il pourrait servir de modèle à d’autres pays du Sud», conclut l’auteur.