C’est désormais chose faite: la France a officiellement reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Bien qu’attendu, eu égard aux liens historiques, économiques et culturels qui unissent nos deux pays, l’événement peut et doit être considéré comme historique, du point de vue de la longue marche, au sens propre (Marche verte) comme au figuré, entamée par le Maroc depuis son indépendance jusqu’à aujourd’hui pour recouvrer sa souveraineté sur tout son territoire, illégalement démembré par une double occupation espagnole et française. Historique aussi car la France est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et un acteur central au cœur de l’Union européenne qui, à ce titre, pourra contribuer à infléchir la position de certains pays européens encore réticents à reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara.
Mais, comme après la reconnaissance américaine en 2020, se pose nécessairement la question de «l’après». Celle-ci peut être formulée de deux manières différentes: «Qui sera le suivant?» ou «Faut-il explorer de nouvelles perspectives stratégiques pour débloquer plus rapidement la situation?».
La situation actuelle est que, de facto, le Sahara est marocain, et cela est un fait. Il suffit de s’y rendre pour le constater de visu. De jure, il est marocain pour une partie du monde. Pour l’autre, c’est un territoire disputé, dont le destin devrait être résolu dans un cadre multilatéral, celui de l’ONU. Celle-ci se subdivise globalement en deux catégories. La première est celle des États dont le rapport au droit international et aux droits de l’Homme relève de la bigoterie et du littéralisme. Il s’agit principalement des États scandinaves qui, du fait de leur méconnaissance du dossier et de leur prisme idéologique, constituent des proies faciles pour le discours misérabiliste et fallacieux qui leur est vendu par Alger.
La deuxième catégorie regroupe les États qui faisaient anciennement partie du bloc de l’Est et qui, du fait de l’inertie de leur histoire, ont du mal à se soustraire aux anciennes grilles de lecture imprégnées d’idéologie et totalement en inadéquation avec la réalité actuelle.
Mais il y a peut-être une troisième catégorie qui regroupe des États très disparates, et dont le noyau dur est constitué de pays formant actuellement le nouveau pôle de puissance alternatif à l’Occident, et dont j’ai déjà parlé dans ma précédente chronique, à savoir le Sud Global ou, pour le dire plus simplement, les BRICS.
Constitué par la Chine, la Russie et l’Inde, le noyau dur de cette organisation a réussi, malgré les apparences, à s’extraire du tropisme idéologique du passé.
La Chine, par exemple, n’a plus de communiste que le nom et la couleur, puisque dans les faits, il s’agit d’un capitalisme d’État et d’un grand défenseur devant l’Éternel de la mondialisation. Et ce sont paradoxalement les initiateurs de cette même mondialisation (les États-Unis et le Royaume-Uni) qui cherchent depuis quelques années à s’en extraire (Brexit, Trump…).
Quant à la Russie, son modèle économique depuis les années 2000 est celui d’un libéralisme classique, que je qualifierai de continental ou de territorialisé. Rappelons que depuis les années 2000 jusqu’en 2014 et même jusqu’à 2022, la Russie a tout essayé pour se rapprocher du monde occidental et en faire partie intégrante. C’est finalement le rejet occidental qui amena la Russie à redécouvrir sa profondeur stratégique et ses ancrages pluriels.
Enfin, il y a l’Inde. Vue par l’Occident comme la future Chine en termes de potentiel, l’Inde a réussi à développer durant les dernières décennies une diplomatie multivectorielle, à travers laquelle elle ne s’interdit aucun partenaire. D’ailleurs, rappelons les propos du président indien Narendra Modi lors du dernier sommet des BRICS à Kazan, où il affirma clairement qu’il était hors de question de faire de ce groupement un bloc anti-occidental.
Ainsi, le point commun entre ces trois puissances est bel et bien le pragmatisme et le désir de rééquilibrer les rapports de forces dans le monde, quitte à créer des institutions financières et économiques alternatives à celles de l’Occident.
Mais ce qui est problématique pour le Maroc dans cette nouvelle tectonique des plaques géopolitiques, c’est que nous ne nous trouvons pas très loin d’une faille sismique, pour rester dans la métaphore. De ce fait, nous nous retrouvons parfois entre deux feux, dans des règlements de comptes qui ne nous concernent pas directement.
«C’est bien cette approche de diversification stratégique qu’a enclenchée Sa Majesté le Roi à partir de 2015, et c’est celle-là même qu’il nous faudra accélérer dans ce momentum géopolitique.»
Ainsi, des résolutions peuvent être rejetées par les États-Unis, uniquement parce qu’elles sont proposées par la Russie, et inversement. Et dans ce bras de fer, le contenu ou l’objet de la résolution est secondaire.
Par conséquent, obtenir un consensus au sein d’un Conseil de sécurité plus clivé que jamais est un vrai défi diplomatique. Un défi, certes, mais pas forcément impossible à relever. Car depuis la fin de la guerre froide, le droit international est systématiquement maltraité, et ce, dans un contexte où, paradoxalement, tout le monde s’en revendique.
Le précédent a été indiscutablement l’opération, illégale du point de vue du droit international, menée par les États-Unis et l’Otan contre la Serbie en 1999, et qui a abouti à la création tout aussi illégale du Kosovo. Viendra ensuite la guerre illégale contre l’Irak en 2003 et une multitude d’autres cas de violation qu’il serait trop long de citer ici.
Depuis, ayant compris les nouvelles règles du jeu, la Russie justifie également toutes ses interventions par le droit international, en invoquant en particulier le devoir de se protéger, dans le cas de la Géorgie en 2008, de la Crimée en 2014 et du Donbass en 2022.
Seule la Chine semble se retenir de franchir ce pas, en particulier vis-à-vis de Taïwan. Mais là où elle s’interdit de défendre ses intérêts militairement, elle réussit à le faire brillamment sur le plan économique et commercial.
Quoi qu’il en soit, l’idée est que le rapport de ces États au droit international n’est aucunement idéologique, mais instrumental. C’est-à-dire qu’il évolue en fonction de leurs intérêts. De même, concernant le Sahara, leur argumentation, qui souvent se cache derrière les résolutions de l’ONU, ne dénote ni plus ni moins qu’une absence ou un faible intérêt de ces derniers pour ce dossier et ce territoire. Ou, dans le cas de la Russie, la nécessité de ménager un grand client, l’Algérie, sur le plan de l’armement.
Ainsi, l’inflexion de leur position dépend en grande partie de notre capacité à leur faire découvrir de nouvelles perspectives, de nature à leur créer des intérêts dans notre Sahara.
Citons l’exemple de l’accord de pêche que nous avons depuis des décennies avec la Russie, dont les bateaux opèrent au large de nos côtes au Sud sans que cela lui pose un cas de conscience, sachant que cela est en contradiction avec sa position officielle concernant ce territoire.
Par conséquent, si nous trouvons les clés adéquates pour attirer les capitaux de ces pays sur le territoire du Sahara, sans les mettre en porte-à-faux avec certains de leurs partenaires, cela pourrait non seulement contribuer à infléchir leur position, mais permettrait aussi de les mettre en concurrence avec nos partenaires occidentaux.
Car en diplomatie, rien n’est acquis. Et il est nécessaire de rappeler, de temps en temps, à nos partenaires occidentaux que le monde est grand, en tout cas plus grand que l’Occident.
C’est bien cette approche de diversification stratégique qu’a enclenchée Sa Majesté le Roi à partir de 2015, et c’est celle-là même qu’il nous faudra accélérer dans ce momentum géopolitique qui ne risque pas de se reproduire de sitôt, vu que la dynamique actuelle mène nécessairement les deux pôles antagonistes, Occident et Russie/Chine, à radicaliser de plus en plus leurs positions.