Erasmus EuroMed: bonne ou mauvaise idée?

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueDans le cadre du nouveau «Pacte pour la Méditerranée», la Commission européenne propose d’ouvrir le programme d’échange Erasmus aux étudiants de ses voisins méridionaux. Pour quels objectifs?

Le 25/10/2025 à 10h00

Erasmus en chiffres? Depuis près de 40 ans, plus de 50 milliards de budget, 13 millions d’étudiants… Un million de «bébés Erasmus» nés de ces rencontres estudiantines! Erasmus en lettres? Un acronyme dont tout le monde a oublié les termes– European Region Action Scheme for the Mobility of University Students– qui relie l’esprit du programme à Erasme, l’humaniste voyageur du 16ème siècle, qui lançait «Où que tu ailles, instruis-toi!» Voyager, disait Flaubert, «rend modeste: on voit quelle petite place on occupe dans le monde».

À mi-chemin entre le voyage organisé et l’exil choisi, le semestre Erasmus est, pour ses bénéficiaires, une école du déplacement de soi– un outil de développement personnel avant l’heure… pensé toutefois par des politiques, les héritiers de Jean Monnet qui avaient retenu sa leçon: «L’Europe? Si c’était à refaire, je commencerais par la culture

Accélérer la supranationalité par des politiques plus glamour que la PAC ou fin des voitures thermiques? Même Jacques Delors avouait qu’«on ne tombe pas amoureux d’un grand marché.» Voici le but premier de la politique la plus populaire de l’UE: faire aimer l’Europe, à des «générations Erasmus» qui, fortes de leurs «expériences de transculturation», selon les mots de l’universitaire bolognais Maurizio Ascari, deviennent les meilleurs ambassadeurs du projet européen.

Évidemment, de ce seul point de vue, l’extension du programme Erasmus aux pays du Sud de la Méditerranée n’a aucun sens. L’Union européenne est un projet d’intégration institutionnelle, qui n’a pas vocation à s’élargir aux pays de la zone MENA.

Quid du sentiment d’appartenance «EuroMed»? Si tous les pays du bassin sont géographiquement méditerranéens, peu d’entre eux se définissent ainsi. Pire, au Nord, moins du tiers des États européens sont bordés par la Méditerranée. Résultat, rares sont aujourd’hui les États qui revendiquent une identité culturelle, historique ou politique liée à la Méditerranée: 3 ou 4 au Nord? (France, Italie, Espagne, Grèce), pas davantage au Sud (Maroc, Tunisie, Liban, Égypte).

«On voit mal, dès lors, comment le budget communautaire pourrait financer des universités algériennes dépendantes d’un pouvoir qui emprisonne arbitrairement écrivains et journalistes européens»

—  Florence Kuntz

En revanche, si l’on tient compte de la réalité géographique de cette mer intérieure et des intérêts croisés autour de «ce grand lac du génie humain, qui a vu naître les trois religions, les trois formes de raison, les trois systèmes du monde», la définition de Paul Valéry plaide pleinement pour un Erasmus méditerranéen conçu comme un outil de réciprocité culturelle.

En réalité, l’Europe n’a pas attendu un «Erasmus régional» pour accueillir massivement des étudiants venus du Sud — même si l’on ne dispose pas de chiffres agrégés fiables, seulement de statistiques par État. Mais quid de la réciprocité? Si l’on considère qu’Erasmus sert à changer d’idées autant que d’université, c’est au caractère asymétrique de cette relation académique que l’Europe devrait s’attaquer prioritairement. Abdelkebir Khatibi écrivait déjà «Nous autres, Maghrébins, connaissons l’Europe mieux qu’elle ne nous connaît».

Au fil des 20 dernières années, les crises économiques et identitaires au Nord, les guerres et révolutions au Sud, ont restreint la mobilité vers le Moyen-Orient et nourri incompréhensions et préjugés sur l’ensemble de la région. Si rien n’enseigne mieux que le voyage, vive Erasmus en Méditerranée! Étudier à Jérusalem et apprendre à penser contre les simplifications, suivre un cours à Bethléem et côtoyer les derniers Chrétiens de Terre Sainte, choisir d’apprendre l’arabe au Caire, pour revenir à la langue d’Abu Nuwas et de Qabbani, loin des prêcheurs salafistes de Roubaix ou d’Anderlecht, vivre le syndrome de Stendhal à Petra et se souvenir, dans les ruines de Palmyre, de l’archéologue Khaled Assad, symbole de la résistance de la culture face à la barbarie des islamistes.

Jusqu’où ouvrir les échanges? L’UE compte dix partenaires sur la rive Sud. Si Erasmus est d’abord un outil politique, la Commission européenne ne s’en prive pas: en 2022, les universités hongroises ont été exclues du programme d’échanges pour sanctionner Victor Orban au nom de «l’État de droit». On voit mal, dès lors, comment le budget communautaire pourrait financer des universités algériennes dépendantes d’un pouvoir qui emprisonne arbitrairement écrivains et journalistes européens.

Au-delà du cas d’Alger, une question s’impose: quels filtres l’Europe entend-elle appliquer pour choisir ses partenaires? La Commissaire européenne à la Méditerranée évoque prudemment une «short list» des premiers concernés, promettant de «renforcer les partenariats de talents avec le Maroc, la Tunisie et l’Égypte». À Fès, l’Université Euro-Méditerranéenne incarne déjà cette ambition: labellisée par l’Union pour la Méditerranée, dotée d’un éco-campus ultramoderne, elle accueille plus de 30 nationalités, de l’Afrique subsaharienne à l’Ukraine, et délivre des diplômes conjoints avec plusieurs universités européennes.

Fès, un modèle de mobilité inversée, si le Sud de la Méditerranée devient terre d’accueil des étudiants Erasmus.

Par Florence Kuntz
Le 25/10/2025 à 10h00